La question des pouvoirs de l'Administration en matière de
chasse a toujours soulevé des discussions et a souvent créé des situations
délicates ; la jurisprudence semble avoir tardé à se fixer, et rien de
très clair ne résultait des rares décisions intervenues. Dans ces colonnes, la
question a été plusieurs fois examinée et, dans un récent article, nous nous
élevions contre la situation faite aux chasseurs, laissés, en définitive, dans
l'ignorance de leurs droits et de leurs obligations puisqu'ils étaient en
présence d'arrêtés dont la légalité était contestable.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation vient, dans
deux arrêts du 13 mars 1952 (rapportés à la Gazette du Palais du 30 mai
dernier), d'éclaircir la question et de fixer plus précisément les droits de
l'Administration.
La Cour de cassation, confirmant la jurisprudence
antérieure, a d'abord précisé que si l'Administration, et plus précisément le
ministre de l'Agriculture (et seulement lui, puisque aussi bien les pouvoirs
que détenaient les préfets lui ont été transférés par l'article 7 de la loi du
28 juin 1941), tient de la loi du 3 mai 1844 des pouvoirs pour
réglementer la chasse, elle ne peut le faire que dans les cas prévus par le
législateur ; elle a des pouvoirs strictement limités, sur des questions
limitativement énumérées ; elle n'a pas le droit de prendre des mesures
qui sont en dehors des prévisions de la loi de 1844 ; et il est sûr qu'il
ne peut y avoir délit de chasse que lorsqu'il y a infraction à une
réglementation légalement prise, les tribunaux examinant à l'occasion de chaque
poursuite la légalité du texte auquel le prévenu aurait contrevenu.
Les pouvoirs que l'Administration tient de la législation en
vigueur sont énumérés par la loi du 3 mai 1844 et concernent, outre le
droit de délivrer ou de refuser, selon les circonstances, le permis de chasse :
l'ouverture et la clôture de la chasse en général (art. 3, § 1er),
l'ouverture retardée et la fermeture avancée pour certains gibiers (art. 3,
§ 2), l'ouverture retardée dans certains bois (art. 3, § 3),
l'époque de la chasse des oiseaux de passage (art. 9, § 3, 1°), le
temps de chasse du gibier d'eau (art. 9, § 3, 2°), les espèces
d'animaux nuisibles (art. 9, § 3, 3°), les mesures de prévention de
la destruction des oiseaux ou pour favoriser leur repeuplement (art. 9, § 4,
1°), l'emploi de chiens lévriers pour les animaux nuisibles (art. 9, § 4,
2°), l'interdiction de chasser en temps de neige (art. 9, § 3, 3°).
La Cour de cassation, à l'occasion de deux espèces qui lui
étaient soumises, avait à examiner, le 13 mars dernier, si avaient été
régulièrement prises certaines dispositions de l'arrêté général du ministre de
l'Agriculture du 7 mai 1949 interdisant dans son article 2, pour toute
l'année et même en période d'ouverture, d'une part, « la chasse aux
poules de bruyère, grouses, spatules, flamands, ibis, cygnes sauvages,
mouettes, goélands et hirondelles de mer », et, d'autre part, « la
chasse à l'ours, au jeune chamois, à l'izard de l'année, au bouquetin et au
mouflon de Corse ».
La Cour a décidé, en un premier arrêt, que la disposition
prohibant la chasse des « poules de bruyère, grouses, spatules, etc. ... »,
avait été légalement prise par l'Administration, celle-ci étant fondée à
édicter toutes mesures utiles pour prévenir la destruction des oiseaux et
pour favoriser leur repeuplement, d'après l'article 9 de la loi du 3 mai
1844 ; attendu, dit-elle, que cet article a une portée générale et ne
fait aucune distinction entre les différentes espèces d'oiseaux vivant sans
maître et à l'état sauvage, et qu'il suffit par suite qu'il s'agisse d'oiseaux
pouvant donner lieu à un fait de chasse pour que l'autorité compétente puisse
en interdire la capture et la destruction. Et elle a décidé, par contre,
dans un second arrêt, que la disposition prohibant la chasse à l'ours, au jeune
chamois, à l'izard de l'année, au bouquetin et au mouflon de Corse, n'avait pas
été prise régulièrement, l'Administration ayant sans doute « le droit de
retarder l'ouverture de la chasse ou d'en avancer la clôture pour certaines
espèces de gibier, mais non celui de l'interdire », et ne pouvant
confisquer ainsi abusivement une partie des droits légalement attribués aux
particuliers par la loi du 3 mai 1844.
Ainsi l'Administration doit s'en tenir strictement aux
mesures énumérées par la loi de 1844 ; en particulier, elle a bien le
droit de retarder l'ouverture de la chasse pour certaines espèces de gibier ou
d'en avancer la fermeture, quelles que soient ces espèces de gibier ; mais
elle n'a pas le droit d'interdire totalement la chasse de telles espèces, sauf
en ce qui concerne les oiseaux. Légal sera le texte interdisant pendant
toute l'année la chasse de la poule de bruyère, de la poule faisane ou du
flamant ..., parce qu'il sera pris « pour prévenir la destruction des
oiseaux ou pour favoriser leur repeuplement », en application de l'article
9, § 4 de la loi de 1844 ; illégal, par contre, sera le texte
interdisant pendant toute l'année la chasse à l'ours, à l'izard, au chamois, au
bouquetin, au lièvre (sait-on jamais ?), etc., parce que ne pouvant être
pris en application d'une disposition quelconque du même texte ; et pour
toutes les espèces de gibier, bien sûr, la chasse pourra être avancée ou
retardée.
Est-ce le point final de la discussion engagée sur cette
question des pouvoirs de l'Administration ? Peut-être. Sans doute l'arrêté
du 14 mai 1952 relatif à la campagne 1952-1953 semble-t-il tenir compte
des principes ainsi posés ; l'interdiction « toute l'année » ne
vise que des oiseaux, tels la poule de bruyère, la grouse, la spatule, etc. ...
Y aura-t-il encore des contestations sur la légalité de ces dispositions ? ...
Peut-on savoir ? Et il reste les arrêtés ministériels spéciaux intervenant
sur proposition de chaque préfet, après avis du conservateur des Eaux et Forêts
et du président de la Fédération départementale des chasseurs ! ...
En outrepassant trop fréquemment ses droits, l'Administration n'a-t-elle pas
pris une bien dangereuse habitude ? et n'y perd-elle pas son crédit ? ...
À l'occasion de telle ou telle poursuite, on aura sans doute
encore beau jeu de soutenir que telle ou telle disposition de tel ou tel arrêté
est illégal, à moins que les textes ne prêtent plus à discussion ou à confusion ...
Espérons-le sans trop y croire ; cela est pourtant à
souhaiter pour le plus grand bien des chasseurs.
Jacques GUILBAUD,
Docteur en droit.
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