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Cynologie

La queue du chien

On dit avec raison que la race d'un chien est indiquée par sa tête et sa queue. C'est dire l'importance de cet appendice au point de vue des caractères physiques et de l'esthétique de l'animal ; mais ce n'est pas en définir le rôle et l'utilité.

Comme élément des particularités raciales, la queue, selon les races, varie, tout comme les oreilles, par son point d'attache, sa forme, sa longueur et son port.

Prolongement de la colonne vertébrale, la queue complète la silhouette du chien ; elle ne saurait, en conséquence, présenter un style différent de celui du corps sans rompre l'harmonie de l'ensemble. Un bouledogue à queue de pointer serait une aberration que ne commet pas la Nature. C'est pourquoi celle-ci, dans la parfaite ordonnance de ses œuvres, dote les longilignes d'une longue queue (lévriers) et les brévilignes d'une queue courte (bouledogues) ; entre les deux, les médiolignes (chiens de berger, braques, épagneuls) portent un appendice proportionné. Lorsque l'homme intervient pour raccourcir la queue, c'est pour aider artificiellement son œuvre, ce dont nous donnerons quelques exemples, ou dans un but pratique et, quelquefois, conventionnel, comme nous le verrons aussi.

L'attache de la queue avec la croupe doit relier les deux avec une harmonie qui n'en rompt pas la ligne. Une croupe avalée s'accorde mal avec une queue haut placée. Mais l'attache ne doit pas être confondue avec le port. Celui-ci varie pour un même sujet avec ses attitudes ; le port normal est celui du repos ; il peut être alors relevé, horizontal ou bas. Chaque race a son port de queue particulier, dont il peut s'éloigner peu ou prou, ce qui constitue un défaut.

La forme de la queue varie aussi selon les races : droite, recourbée vers le haut ou le bas, voire enroulée ou tire-bouchonnée. Une queue droite (type pointer) peut néanmoins présenter de légères courbures ou sinuosités. D'un autre point de vue, la queue peut être fine, grosse, épaisse sur toute sa longueur ou amincie vers son extrémité. À celle-ci peut se trouver un épi de poils longs ; chez les setters et épagneuls, la queue porte des franges ou panache ; chez les griffons, le poil est, en principe, uniformément réparti.

Tels sont, en gros, les aspects naturels principaux de l'appendice caudal chez le chien ; leurs variétés caractérisent chaque race. Mais quelle en est l'utilité ?

On peut se poser la question pour bien des animaux. Je n'ai pas vu de rats se servir de leur queue pour se faire traîner sur le dos par un complice, en emportant un œuf ; mais d'autres, plus chanceux ou plus observateurs, prétendent avoir vu cela, et des livres de fables l'affirment. Les singes et les castors se servent de la leur comme d'un membre, les premiers pour se suspendre aux branches, les seconds pour bâtir leur maison. Les bovidés et équidés s'en servent pour chasser les mouches, et c'est sans doute à cette fin que leur queue est garnie de poils. En tous les cas, chez tous les animaux, la queue remplit un rôle protecteur vis-à-vis de l'anus et des organes génitaux ; souvent sa dimension ne permet pas d'autres fonctions ; il ne faut donc pas l'oublier quand on la raccourcit conventionnellement chez les chiens. Chez ces derniers, on lui impute parfois un rôle de membre secondaire : lévriers et pointers, quand ils sont en pleine vitesse, s'en serviraient comme d'un gouvernail ou comme stabilisateur, pour effectuer de brusques changements de direction. Comparer, en l'espèce, l'action d'une aussi mince queue à celle d'un gouvernail est sans doute une erreur ; mais il est, par contre, certain qu'elle agit, dans une certaine mesure, comme un balancier ou stabilisateur. C'est parce qu'elle fouette l'air, tant dans ce cas qu'en d'autres attitudes, que l'on donne à la queue du chien le nom de fouet ; mais, pour cette raison, on ne saurait à proprement parler donner cette appellation aux queues courtes.

Longue ou courte, la queue du chien remplit toujours un autre rôle : elle exprime les sentiments. L'expression du regard d'un chien, qui remplace souvent la parole, a son prolongement dans celle de sa queue. Il serait superflu d'insister sur ce point, car tout le monde sait qu'un chien portant la queue entre ses jambes n'a pas la conscience tranquille ou manifeste une inquiétude, de même qu'un frétillement annonce joie ou pose une question. Il y a toujours une corrélation entre les mouvements ou l'attitude de la queue et ceux de ses oreilles. Le chien d'arrêt, comme le chien courant, agite d'autant plus son fouet qu'il a le sentiment de la présence du gibier, jusqu'au moment où ce dernier est découvert. Le fouet s'immobilise dans l'arrêt ; s'il continue à l'agiter en prenant cette pose, le chien, en général, n'est pas encore sûr de lui, et c'est à cette différence que le chasseur fait le départ entre l'arrêt sur place chaude et l'arrêt sur présence réelle.

Quand on connaît les habitudes de son chien on peut ainsi, en observant les mouvements de son fouet dans la quête, savoir tout ce qu'il nous dirait s'il pouvait nous parler pour nous communiquer son sentiment. La queue du chien de chasse est, en somme, une antenne avec laquelle il transmet des messages au chasseur ; il appartient à ce dernier de savoir les utiliser par ses observations et de rester ainsi en contact avec son auxiliaire.

Mais alors, si la queue, chez les chiens, est de si grande conséquence, on peut se demander pourquoi l'homme l'ampute chez certains. On peut en voir trois motifs différents, selon les races qui sont victimes de cette opération.

Comme nous l'avons vu plus haut, dans son souci de l'harmonie, la nature a doté d'une queue longue les chiens aux formes allongées et l'a réduite à l'état d'embryon chez ceux aux formes refoulées ou s'inscrivant dans un carré. On peut, certes, objecter qu'il n'en est pas ainsi chez toutes les espèces animales (lièvres, lapins ...) ; mais, chez les chiens, on se trouve en présence d'êtres évolués, probablement issus d'un ancêtre commun, mutés par sélection, naturelle ou artificielle, vers un type aberrant dans le sens allongé (lévriers) ou refoulé (bouledogues). Il est donc tout à fait normal que, dans les types refoulés, la colonne vertébrale se soit atrophiée vers son extrémité, dans sa partie la moins utile. Si l'épagneul breton, originellement, naissait sans queue (anoure), ou à queue courte (brachyoure), c'était probablement parce qu'il est de formule cob ; mais, allié à d'autres chiens (setter), il naît généralement aujourd'hui avec un fouet normal. Or le standard veut que ce chien soit cob ; il est maintenu tel par sélection ; mais l'homme doit intervenir pour corriger l'influence étrangère et pour maintenir l'harmonie. C'est pourquoi l'éleveur doit écourter artificiellement la queue de la plupart des épagneuls bretons.

Les braques ne sont pas des cobs ; mais il n'est pas exclu qu'à l'état pur ils se trouvaient en voie d'évolution pour atteindre cette formule : dos court, croupe plus ou moins avalée. C'est ce qui expliquerait pourquoi (braques artificiels exclus : Saint-Germain et Dupuy) ils naissaient fréquemment anoures ou brachyoures. Le Bourbonnais, qui est le plus ramassé de tous dans sa formule pure, dont le corps est plus court, la croupe plus harpée, arrondie et oblique, dite « en chien de fusil », naissait toujours sans queue ou à queue courte. Ainsi attachée bas, la queue ne pouvait être longue sans rompre l'harmonie. Pour le régénérer, on lui infusa du sang braque français ou pointer. En 1925, le standard admit donc l'amputation du fouet pour les sujets qui naissaient à queue longue, cette dernière n'étant pas admise. La tolérance ne devait durer que dix ans ; mais, depuis 1935, elle a dû être prorogée. Comme pour l'épagneul breton, les éleveurs ne font ainsi que remédier artificiellement à la rupture provoquée d'une ordonnance naturelle. Ces deux exemples illustrent le premier motif de l'ablation du fouet chez certaines races.

La même opération qu'on fait subir à la plupart des terriers a aussi surtout un but esthétique : médiolignes naturels, la mode en fait pratiquement des cobs, inscrits dans un carré ; l'amputation du fouet complète l'illusion. Il est évident, toutefois, que le fouet long serait gênant, et même dangereux, pour travailler dans les galeries souterraines et s'exposer à la mâchoire du renard et du blaireau.

On s'explique moins bien pourquoi des races comme les caniches subissent cette amputation, que ne commande pas une raison utilitaire et que n'exige pas l'harmonie naturelle du corps. Sans doute la coutume avait, à ses débuts, des raisons qui nous ont échappé, et, peu à peu, la mode aidant, nos yeux se sont habitués à leur silhouette ainsi tronquée, au point d'être choqués quand l'amputation est omise.

Un troisième motif fait écourter le fouet à des races utilitaires : griffons d'arrêt et braques, sauf le Saint-Germain et le Dupuy.

En ce qui concerne les braques, la raison en serait que, dans les céréales, pour la chasse aux perdreaux, l'agitation du fouet provoquerait un bruit qui mettrait le gibier à l'essor, et que, dans les ronciers, la queue s'écorcherait, car son poil court la protégerait mal. À cela on peut rétorquer qu'à la saison où la chasse est ouverte les céréales sont fauchées, et, s'il est vrai que les ronciers mettent souvent la queue des chiens en sang, les chiens courants n'ont jamais été mutilés et le pointer n'aspire point à l'être. Néanmoins, si l'on considère que le braque ancestral est un chien du Midi, surtout gascon (braque français), il est absolument certain que, pour chasser la caille et le perdreau dans les maïs et les millets, qui ne se coupent qu'en automne, l'agitation du fouet est un très sérieux handicap. En outre, en ces régions, le braque étant utilisé, bien plus qu'ailleurs, pour chasser dans les bois fourrés bécasses et lapins, il est normal que les chasseurs aient, depuis très longtemps, pris l'habitude d'écourter une queue constamment écorchée et dont les plaies étaient sujettes à infection. Peu à peu on s'est habitué à cette silhouette tronquée, d'autant mieux que les braques, Saint-Germain et Dupuy exceptés, ont plus ou moins le corps trapu, le dos court et la croupe fuyante. Ils ne sont pas très loin, en effet, du braque bourbonnais, et il faut convenir que cette amputation ne les dépare pas. Le braque de Saint-Germain et le braque Dupuy, métis braque-pointer, et, l'un d'eux, lévrier, ayant des lignes plus fuyantes, se concevaient moins bien avec un fouet tronqué ; en outre, la végétation de leur berceau originel non plus que leur genre de chasse n'ont imposé cette mutilation.

Pour les griffons d'arrêt, l'amputation du fouet semble plus difficile à expliquer. D'origine nordique, en général, la question des maïs ou millets n'a pas dû se poser pour eux. Sans doute, dans le Nord, les blés sont ramassés plus tard, mais l'ouverture est aussi plus tardive. Chassant beaucoup au bois, leur fouet est protégé par un poil dur, compact, épais. Cependant, dès avant Korthals, on amputait leur fouet ; ils ne sont pourtant pas brévilignes. À tout considérer, c'est contre le standard qu'on les mutile, bien souvent, en leur laissant juste un moignon de queue ; ce n'est que son extrémité qu'il convient d'enlever pour ne pas nuire à l'harmonie du corps, dont la longueur est trop souvent perdue de vue.

Ceci conduit à dire dans quelle proportion, suivant les races, il convient d'amputer les queues ; j'en dirai aussi les moyens ; ce sera le sujet d'une autre causerie.

Jean CASTAING.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 593