J'ai fait ici même, il y a deux ans, une chronique sur le
black-bass. Il me semble utile de revenir sur cet intéressant vorace qui
s'implante de plus en plus et est très demandé par les pêcheurs sportifs.
Il est bien entendu qu'en France il ne s'agit que du
black-bass à grande bouche (Hurosalmoïdes), poisson qui, comme le
brochet, est exclusivement carnassier. On ne le trouve que dans les basses
rivières de plaine à eau courante lente et pourvues de lônes calmes, ou dans
les lacs et les étangs à eau tiède et bien enherbée.
Dans son pays d'origine, c'est-à-dire aux États-Unis, où il
constitue le poisson de sport par excellence, à part la truite et le saumon, il
peut atteindre une dizaine de kilogrammes ; on n'a pas connaissance en
France de captures dépassant 5 livres.
C'est également un poisson d'élevage dans certains
étangs de Sologne. Le Centre d'hydrobiologie du Paraclet, dans la Somme, en élève des alevins. Il s'étend surtout dans le Midi de la France, notamment dans la vallée du Rhône, la Garonne et l'Adour. Ces dernières années, il a
manifesté une grande extension dans les étangs du Sud des Landes et le bas
Rhône.
Le black-bass à petite bouche (Micropterus dolomieu)
est également un vorace, mais ses mœurs se rapprochent plus de celles de la
perche. Il admet les eaux relativement fraîches et courantes et les lacs aux
eaux claires. Il s'est fort bien acclimaté dans la Semois, en Belgique. C'est naturellement la grandeur de la gueule qui le différenciera de
l'autre black-bass : la commissure de la mâchoire n'atteint pas l'aplomb
de l'œil, alors que, dans celui à grande bouche, l'axe de l'œil tombe au milieu
des articulations de la mâchoire. Ses écailles sont plus petites et, enfin, la
couleur générale vert sombre du black-bass à grande bouche porte une large
bande brune et une pigmentation brunâtre sur le dos.
Revenons à notre black-bass à grande bouche, qui est, à ma
connaissance, le seul représenté en France. Ce sera une espèce à introduire
dans le Midi. Il faudra éviter de le mettre dans les étangs d'alevinage et là
où la pêche au coup est principalement recherchée. Mais on l'introduira avec
succès dans les eaux calmes et chaudes toutes les fois qu'on voudra un beau
poisson de sport. On se rappellera ses deux grandes qualités de destructeur de
poissons-chats et de grenouilles.
Sa reproduction est très spéciale. Elle se fait à la fin du
printemps quand les eaux atteignent et dépassent 18°. Il pond donc en même
temps que la carpe. Il exige pour pondre un fond propre de gravier et de sable,
ou, à la rigueur, des racines immergées de plantes aquatiques telles que aunes
ou saules. C'est le mâle qui fait le nid — ou plutôt plusieurs nids, — qui
se compose d'un creux de 30 centimètres à 60 centimètres de diamètre, profond de quelques centimètres et soigneusement débarrassé de sa vase. Le mâle prépare
toujours plusieurs nids avant de choisir le nid définitif. La femelle vient
pondre plusieurs milliers d'œufs de lmm,5
à 2 millimètres de diamètre. Les œufs éclosent au bout d'une dizaine de jours
sous la surveillance du mâle, qui attaque tout poisson qui cherche à s'en
approcher. Les alevins, une fois éclos, vivent en bancs et se dispersent au
bout de quelques jours, surtout lorsque leur père commence à les attaquer pour
les dévorer. Il est très facile de préparer une frayère artificielle à
black-bass ; si le fond de l'étang est argileux ou vaseux, il suffit de
préparer sur une berge, dans une anse tranquille, sur un espace de quelques
mètres de longueur et 1 mètre de large, noyé par 50 centimètres d'eau, un fond propre de sable et graviers, maintenus au besoin par une planche. Il y
a intérêt à séparer cet espace en plusieurs compartiments par quelques planches
afin d'éviter les bagarres entre les divers couples.
Le jeune black-bass se nourrira très vite de plancton d'abord,
de larves d'insectes ensuite, et, à l'âge de deux ou trois mois, quand il
atteint déjà 4 à 5 centimètres, il attaque avec ardeur les jeunes alevins.
Jeune, il se laisse prendre avec facilité à tous les appâts ;
plus âgé, il devient malin, et sa pêche devient rapidement irrégulière et
capricieuse. Les black-bass de toutes tailles peuvent se pêcher au coup avec un
ver. Les black-bass pesant au moins 300 grammes seront capturés au vif en appâtant avec un gardon, une perchette, une perche-soleil ou même un petit black-bass.
Au lancer léger, avec cuiller ou devon, on aura d'excellents résultats en début
de saison, mais l'été, dans les lacs enherbés, l'action de la cuiller est
beaucoup moins efficace, car elle est souvent paralysée si on la fait passer
trop près des herbiers. Le black-bass sommeille alors en surface et on le voit
regarder passer la cuiller avec indifférence. Il existe un truc qu'il est bon
de connaître pour le pêcher en plein été : on peut tout d'abord essayer
une petite grenouille vivante que l'on pique dans la peau du dos avec un
hameçon n°2 ou 3 ; la petite grenouille pourra être lancée dans les herbes
soit avec une canne ordinaire, soit avec un lancer léger. C'est en partant de
cette donnée qu'un fabricant d'articles de pêche vient de réaliser une petite
grenouille verte en caoutchouc mousse qui permet à certains moments des
captures sensationnelles et que j'ai expérimentée moi-même. Cette reinette
dissimule une olive et porte en son arrière-train un hameçon pointé vers le
haut, ce qui permet de la lancer sans risque d'accrochage dans les places
enherbées, endroits fort goûtés du black-bass pendant la période estivale. Le
ventre de la grenouille est peint en blanc, et le plomb qu'il contient permet
sa chute dans l'eau toujours sur le ventre ; cette grenouille est dotée de
deux petites pattes mobiles toujours en caoutchouc mousse. Après l'avoir lancée
à une quinzaine de mètres avec le lancer léger, on imprime à la grenouille de
petites secousses qui la font progresser lentement à la surface de l'eau par
petits bonds de 15 à 20 centimètres. Les pattes de la grenouille artificielle s'ouvrent et se ferment comme s'il s'agissait d'un animal vivant. Cela permet
en quelque sorte la pêche du black-bass à la mouche : on a la joie de voir
l'animal bondir à la surface pour engamer la reinette. Il sera prudent d'être
monté au moins sur 22/100 : le black-bass, on le sait, oppose une défense
très vigoureuse, plus forte que celle du brochet. On n'oubliera pas, d'autre
part, que, péchant dans les herbiers, le black-bass, après quelques sauts, s'y
réfugiera à coup sûr et que, le plus souvent, on le ramènera dans l'épuisette
tout emmailloté d'herbes, d'où la nécessité d'être monté assez fort.
Naturellement, cette pêche originale permet en même temps la
capture de brochets et, plus rarement, de quelques grosses perches. Très
fructueuse l'été, elle est également très amusante. Elle a, d'autre part,
l'avantage de faire perdre infiniment moins de matériel qu'en pêchant à la
cuiller.
La reinette en caoutchouc peut également pêcher en
profondeur en la plaçant 40 centimètres après une olive de 10 grammes.
DELAPRADE.
|