Octobre est un mois idéal pour la pêche à la mouche. Les
grosses chaleurs sont finies, le temps est doux, l'eau est claire, c'est tout
le jour que le pêcheur peut lancer ses mouches sans être trop gêné. Le poisson
a retrouvé sa tranquillité. Il fait bon vivre en ce nouveau printemps ...
Pêche à la mouche sèche, pêche à la mouche noyée, pêche à la
nymphe : je ne parlerai ici que de cette dernière, ayant découvert que je
pratique depuis bien longtemps, sans le savoir, ce genre de pêche, à l'instar
de M. Jourdain faisant de la prose.
Certes, un puriste comme Skues distinguerait. Il dirait
probablement que ma nymphe n'est pas une nymphe, mais un insecte parfait
entraîné par le courant ; que ma pêche n'est tout simplement que de la
mouche noyée, donc destructive et indésirable. Pourtant je pêche les éclosions
et, si, laissant noyer, même draguer ma mouche, je transforme cette pêche en
pêche à la nymphe, suis-je coupable de non-sportivité ? Subtilités
d'archipuriste ? Voire ...
Je sais toutes les objections que Skues aurait pu faire très
justement à ce sujet. Cependant il ne s'agit pas spécialement de pêche à la
truite, mais surtout de pêche à la vandoise, et pour cause. Il en serait de
même si c'était de la truite, j'en ai la conviction, s'il y en avait encore.
Octobre nous apporte de belles éclosions de petits
éphémères, particulièrement de petites Beatis. Par les belles journées de
soleil clair, au ciel pur, au vent agréablement frais et léger vers 13 heures
et jusqu'au soir, presque quotidiennement, on observe ces éclosions sur les
courants lisses, à fond de gravier, quelquefois en eau profonde. Le pêcheur,
presque toujours très éloigné de l'éclosion — il s'agit de rivière large,
— ne voit pas le poisson : il ne peut l'observer et dire s'il est ou
non « en position », c'est-à-dire si, posté en un point de la
rivière, il attend en regardant le ciel que nymphe ou insecte apparaisse
dans sa fenêtre visuelle et qu'il s'en empare juste au moment, si c'est une
nymphe, où elle atteint la surface.
Le poisson, en ce cas assez particulier, ne voit que par
réflexion l'image de la petite bête qui monte pour éclore dans le miroir de
l'eau. C'est au moment où image et objet se confondent à la surface que le
poisson s'en empare. Le poisson ne regarde pas en bas monter l'animal et tout
se passe, en somme, comme s'il attendait les insectes qui flottent à la
surface. N'est-ce pas une subtilité créée pour embarrasser le pêcheur qui veut
savoir ? ...
Je ne soulèverai pas, après les puristes anglais, la
question, controversée, de savoir si la nymphe est immobile ou animée de
certains mouvements qui la font frétiller, ce qui justifierait la technique des
relâchers. Celles que j'ai pu observer, sur nature, arrivant à la surface dans
un courant assez vif, juste au moment où elles éclataient et s'envolaient
simultanément, se tortillaient vivement. Il est possible que le cas ne soit pas
général. Cette question, soulevée par Halford à propos du montage de la nymphe,
est d'ailleurs actuellement résolue, puisqu'on fait des nymphes frétillant de la
queue, chose qu'Halford avait jugée irréalisable. En tout cas, comme en réalité
le courant porte très souvent les insectes fraîchement éclos à la surface de
l'eau tandis que les nymphes montent à la surface pour éclore, les vandoises
gobent ... mais quoi ? Skues aurait dit : « Les nymphes
seulement, si la truite est bulging », et il aurait prouvé en
vidant l'estomac de la truite et ... négligeant les « exceptions »
que l'examen lui révélerait.
Peu nous importe d'ailleurs, à nous qui, n'étant pas des
puristes, avons résolu la question en pêchant en mouche sèche et en mouche
noyée en même temps : expliquons-nous.
En ce cas, je lance ma mouche en amont et, jusqu'au moment
où elle se trouve sur la perpendiculaire au courant qui passe par où je me
trouve, je pêche en sèche à l'amont, puis en sèche à l'aval, et ma foi, à fin
de ligne, si la mouche se noie, je fais un ou plusieurs relâchers. Voilà pour
la pêche en mouche classique. Si je pêche au flotteur lesté, il en est de même,
mais avec cet avantage énorme qu'à l'aval je peux donner, et je donne, du fil.
En même temps, je fais des relâchers, souples, longs et lents, sans draguage,
dans le sens du courant, grâce au flotteur qui permet au bas de ligne de
s'orienter au gré du courant, qui font noyer et remonter lentement et
alternativement en surface mes petites mouches. La pratique montre que c'est
surtout lorsque l'on donne du fil, c'est-à-dire au moment où la mouche descend
le courant, qu'elle est prise ; le retrait coïncide avec un ferrage
automatique, à l'aveuglette si on veut. Or, comme rien ne ressemble davantage à
l'insecte que la nymphe qui va éclore — n'oublions pas que même Skues
enroule le thorax de sa nymphe d'un hackle court et souple ; qu'il a même
écrit que « la couleur dominante (de la nymphe) a des chances d'être celle
du « spinner », qui est l'insecte naturel à l'état parfait », — il
s'ensuit que vandoise et truite prennent ma mouche.
J'ai souvent confectionné mes petites Beatis avec des plumes
de jeune coq à barbules souples et courts, parce que, par expérience, j'avais
reconnu qu'elles étaient souvent meilleures que celles à barbules raides de
vieux coq quand elles étaient en pointe (mouche classique), ou en aval du
flotteur (au flotteur lesté). Je pense, depuis quelque temps, qu'elles ont dû,
bien souvent, être prises pour des nymphes lorsqu'elles péchaient dans ces
conditions. Andrieu croyait qu'elles étaient, alors, prises pour des alevins et
préconisait, en ce cas, des mouches en hackles souples de bécassine.
Ce qui justifie, à ses yeux, le puriste dans son action
limitée à la nymphe, à vue, sur un seul poisson déterminé, repéré, c'est qu'il
sait que le poisson qu'il vise est « en position » sur les nymphes.
Or il n'est pas toujours possible de le vérifier, ni de le savoir, même si l'on
veut s'embarrasser d'une jumelle. Cela dépend beaucoup de la rivière. Pour ma
part, péchant avec la mouche exacte, que le poisson la prenne pour l'insecte ou
la nymphe, peu m'importe, j'ai la même joie puisque les deux sont sur l'eau et
qu'ils sont, très souvent, pris indifféremment.
Mais que penseront de moi non seulement les Skues, mais
aussi les Halford ? Heureusement, nous ne sommes pas en Angleterre, où les
gens ne sont pas toujours aussi libres qu'ils le disent ..., c'est
d'ailleurs peut-être pour cette raison qu'ils ont encore des truites et que
nous, nous n'en avons plus ...
P. CARRÈRE.
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