Octobre, où nous arrivons, clôt la pêche aux crustacés,
ouvre la pêche aux poissons (de sable) et, tout en continuant à se montrer
propice à la cueillette des mollusques, favorise singulièrement la pêche aux
huîtres.
Seuls des lecteurs non avertis s'étonneront que l'huître
puisse se « pêcher », acte gratuit dans tous les sens du terme. Ils
n'ignorent point que ce savoureux mollusque peut s'acquérir, à des prix
prohibitifs du reste, en provenance des parcs d'élevage, mais ils ne savent pas
que l'huître vît également à l'état sauvage et souvent en des points côtiers fort
accessibles aux bassiers, donc qu'on peut se la procurer de la façon la plus
économique.
Sans vouloir remonter jusqu'au déluge dans l'histoire de
l'huître, il n'est pas mauvais de rappeler ici que les Grecs et les Romains
aimaient à s'en régaler. Il faut croire que la consommation qu'ils faisaient de
ce mollusque de qualité était considérable, puisque, selon la tradition, ils
exprimaient leurs suffrages électoraux sur des coquilles d'huîtres. Déplorons,
au passage, que les bureaux de vote contemporains aient pris la sotte habitude
de substituer à ce curieux mode de scrutin celui des bulletins imprimés. Moi,
je verrais très bien, à l'entrée de chaque isoloir, une distribution gratuite
d'huîtres de diverses espèces, une espèce par liste, et je reste convaincu que
la dégustation, même d'une seule huître par tête d'électeur, serait souvent de
nature à lui éclaircir les idées.
Mes propos étant halieutiques et pas électoraux — sinon
je serais depuis beau temps sénateur (peut-être), — je ferme cette
parenthèse quasi digressive pour entrer de plain-pied dans le vif de mon sujet.
Dans la plupart des cas, l'huître d'élevage procédait
directement de l'huître sauvage. Au début du présent siècle, je me souviens que
les ostréiculteurs saint-vastais, race d'huître à juste titre fameuse, allaient
draguer les huîtres naturelles sur des fonds au large des îles Chausey. Une
pittoresque flottille à voile, qu'on appelait la « Caravane »,
partait en grande pompe vers les lieux de pêche, aux environs de la
mi-septembre, et en ramenait, quinze jours plus tard, des palanquées de « pieds-de-cheval »
fécondés. Le naissain que ces huîtres femelles lâchaient en automne était
recueilli sur des claies et alors élevé en parcs, selon les classiques méthodes
ostréicoles.
Il existe ainsi, au large des côtes de France, d'assez
nombreux secteurs huîtriers, dans l'Atlantique surtout, des points où, par
suite de diverses conditions favorables, l'huître sauvage se reproduit, d'année
en année, sans jamais pulluler toutefois, hélas ! La densité des bancs
d'huîtres n'atteint pas, en effet, celle des bancs de coquilles Saint-Jacques,
qui arrivent à s'entasser sur plusieurs mètres de hauteur, singulièrement au
lendemain des guerres. On comprend pourquoi. Mais ces huîtrières naturelles
sont parfois décimées par la drague et bien davantage par certaines tornades
sous-marines.
Bien que l'huître sauvage s'arrime soigneusement à ses
fonds, où elle « talonne », il tombe sous le sens que les tempêtes
parviennent à l'arracher à son ancrage. L'huître détachée se trouve alors
charriée par les courants, presque toujours en direction des côtes, et chaque
sujet ainsi isolé n'a d'autre ressource que de se fixer le plus rapidement
qu'il le peut en quelque lieu propice à son alimentation, dès que la violence
des eaux décroît.
Ceci explique comment et pourquoi, sur les côtes rocheuses
de Vendée, de Bretagne ou de Normandie, par exemple, on peut découvrir assez
près du rivage, mais toujours dans des zones riches en pierrailles et en
varech, des huîtres sauvages refixées. Il n'est pas exclu de supposer, d'autre
part, que des naissains, arrachés au large ou même à des parcs d'élevage,
toujours à la suite de perturbations sous-marines, s'attachent et se développent
de même manière, sur tant de points du littoral, en deçà des limites des basses
eaux.
Les données du problème qui se pose au bassier amateur
d'huîtres étant ainsi définies, il ne reste plus qu'à déterminer quand et
comment le pêcheur à pied peut atteindre les proies convoitées.
On ne rencontre presque jamais d'huîtres sauvages en petites
marées, même aux basses lisières du flot. C'est seulement vers le large qu'on
les trouve, aux très grandes mers et particulièrement aux marées d'équinoxe,
mais généralement en toute marée dès qu'elle dépasse le coefficient 110.
Cette pêche à l'huître isolée requiert une parfaite
acuité visuelle. Le plus souvent, les huîtres sauvages se découvrent à plat sur
le rocher, parmi les algues, ou sur des fonds de roches un peu sableux (de
sable à gros grain), où elles se confondent, à première vue, avec de multiples
débris de pierres. Parfois aussi les huîtres se soudent au flanc de quelque
rocher, et presque toujours dans la position horizontale.
L'huître se cueille alors à la main, mais rarement. Dans la
plupart des cas, on est obligé de la détacher de son support, soit au moyen
d'un coutelas, soit, ce qui est bien plus expéditif, d'un coup sec du crochet
marin dont aucun bassier en prospection ne devrait jamais se démunir. On la trouve
souvent dans des coulées, entre deux massifs de rochers entre lesquels le
courant du flux l'a roulée, mais ce n'est nullement là une règle constante.
De telles huîtres sont fréquemment recouvertes de
coquillages parasitaires, ce qui en rend mal commode la découverte,
quelquefois, aussi de touffes de jeunes algues. Leur forme ne diffère guère de
celle des « plates » d'élevage, à cela près que leur valve supérieure
présente des rebords ondulés, fort friables, et que leur valve inférieure est
plus renflée, voire rebondie, que celle de l'huître de parc. Leur couleur est
aussi nettement plus foncée. Quant à leur dimension, elle atteint fréquemment
la largeur d'une soucoupe, parfois d'une assiette à dessert, ou celle d'un pied
de cheval, d'où leur nom commun.
Il existe un autre procédé de pêche à l'huître sauvage, fort
curieux, mais d'un bien rare usage, dans la mesure où l'on ne peut l'utiliser
que les années où la pieuvre pullule. Dieu merci, ce n'est plus le cas présent !
Il faut d'abord savoir que la pieuvre est très friande
d'huîtres. Constatation en faveur de ses goûts. Or cette horrible bête,
dépourvue de protection naturelle, sinon de puissance et d'astuce, gîte
volontiers dans des cavités verticales, en zone de rocher, ou, parfois, dans
des sortes de nids qu'elle se confectionne elle-même, en assemblant
concentriquement des galets pour en former un puits, à la dimension de son
corps. Ces abris si particuliers, elle les aménage en terrain mou, dans des
sables vaseux, à la limite même des basses eaux de grandes marées, mais
toujours à proximité de plateaux rocheux.
La pieuvre se protège-t-elle ainsi des tempêtes d'automne ?
Hiverne-t-elle, ou se prépare-t-elle à la reproduction ? J'avoue n'en rien
savoir. Ce qui est sûr, c'est que, prudente et précautionneuse, la pieuvre
accumule alors autour de son trou des réserves alimentaires et souvent de
magnifiques pieds-de-cheval, ramenés un à un de fonds inaccessibles aux
bassiers. Comme ces « puits à pieuvre » sont aisément repérables du
premier coup d'œil à qui aime à s'aventurer aux limites du reflux, car ils
forment une légère et apparente saillie, il ne reste plus au pêcheur qu'à
s'approprier le garde-manger de la pieuvre, en fouillant et grattant du bout du
croc les environs du « nid », dans un périmètre d'un à deux pieds.
Les huîtres qu'il découvrira seront presque constamment de belle taille, et
d'une parfaite saveur.
C'est là une pêche « par la bande » très
pittoresque et fort fructueuse, la pieuvre ayant à la fois bon appétit et bon
goût. On ne saurait lui reprocher qu'une certaine inélégance à l'égard de la
pieuvre. Mais c'est un prêté pour un rendu, la pieuvre ne se gênant jamais pour
priver le bassier de ses bouquets si estimables, par exemple.
Maurice-Ch. RENARD.
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