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Les poissons électriques

Les quelques questions que nous avions posées dans Le Chasseur Français de février nous ont valu quelques réponses que nous croyons utile d'exposer ici.

M. L. L ..., de la Seine-Inférieure, propose une explication très originale, fort intéressante, mais qui demande des études beaucoup plus approfondies pour pouvoir en parler ici.

M. G. G ... (Allier) met en valeur une théorie vibratoire qui peut servir de base pour une étude plus serrée, car la mécanique ondulatoire n'a pas dit son dernier mot.

M. D. L ..., de Joinville, futur explorateur sous-marin, croit, en effet, aux poissons électriques et s'en intéresse particulièrement.

Quant à M. L. B ..., de Marseille, électricien et chasseur sous-marin, il a eu maille à partir avec ces bêtes étranges et, à deux reprises, il a été réellement commotionné par des raies de 0m,40 de long. Il se félicite (on comprend ça) d'avoir raté une raie géante qui l'aurait certainement laissé sur le flanc.

M. E. B ... (Maroc) cite des expériences faites à l'Université de New-York sur l'anguille électrique. Il a été enregistré des différences de potentiel, de l'ordre de 550 volts et des puissances de décharge dans l'eau de 40 watts. Nous apprenons également avec surprise que le gymnote se sert de ses organes électriques pour se diriger suivant le principe des chauves-souris, qui possèdent générateurs et récepteurs d'ultra-sons pour se diriger dans les cavernes obscures.

M. Vz ..., qui a étudié ces animaux en laboratoire, nous apporte des indications précieuses et nous fait de la description des organes générateurs un exposé assez complet.

Il nous apprend que les cellules génératrices sont disposées en deux groupes montés en parallèle et non en série. Ce montage, comme disent les électriciens, permet en effet des décharges d'une intensité considérable, mais, ce qui s'explique moins, c'est cette tension anormale aux « bornes » (?) de chaque cellule. Or n'oublions pas qu'aucun générateur chimique construit par l'homme ne dépasse 2 volts (la classique lampe de poche à trois piles en série).

M. Vz ... nous parle ensuite du système de décharge, mais là, dit-il, seule l'hypothèse nous permet d'apporter une réponse, et son explication nous fait supposer ceci en prenant toujours comme exemple la raie torpille. Par la disposition de ses organes générateurs, une des faces de l'animal est positive et l'autre négative ; l'ensemble est séparé par un tissu ou membrane isolant, et le récit suivant confirme cette hypothèse. Que se passe-t-il lorsque la bête est en danger ? M. L. B ..., déjà cité, va nous le dire, lorsqu'un jour, en chasse sous-marine, il avait harponné une raie et regagnait le rivage en entraînant sa proie : « Au moment précis où l'animal a quitté la surface de l'eau, j'ai reçu une violente décharge, qui m'a fait tout lâcher. » Une deuxième expérience n'a pas eu plus de succès. M. L. B ..., très astucieusement, a grimpé sur un rocher, tenant toujours la bête immergée, et a attendu que les organes soient complètement déchargés avant de la sortir de l'eau. Le héros de cette aventure, par pure représaille, pensa emporter cette bête pour la manger ; mais finalement il a abandonné cette proie qui l'avait si fâcheusement impressionné.

Dans l'inoubliable Jules Verne, pareille aventure est arrivée au sympathique « Conseil » lorsqu'il a voulu saisir une torpille échouée sur le pont métallique du Nautilus.

Voici donc un fait qui nous éclaire. Le chasseur sous-marin ne ressentit rien dans l'eau, et pourtant le poisson harponné devait se défendre. Au moment précis où la bête quitta l'eau, la décharge a eu lieu ; le chasseur avait les pieds dans l'eau ; de ce fait, à un instant donné, le circuit fut fermé par le corps du pêcheur.

Nous pouvons également supposer qu'un poisson de ce genre échoué et vivant serait rendu inoffensif en le court-circuitant par un câble ou filet métallique jeté sur lui jusqu'à complet épuisement de ses générateurs.

Sur la puissance des décharges, la question semble loin d'être résolue, quoique nous puissions compter sur un minimum de 500 volts et de 7 ampères pour des animaux moyens ; mais certainement la différence de potentiel aux bornes, si l'on peut dire, doit dépasser les 1.000 volts dans les animaux de grande taille.

Ainsi donc, puisque la chasse sous-marine est un sport qui prend de plus en plus d'extension, il serait peut-être prudent de mettre en garde les amateurs sur le danger qu'il y a de harponner des raies électriques de grande taille.

Nous n'avons examiné que le cas de la raie torpille, mais il y a d'autres types de poissons électriques : gymnote, poisson-chat, etc., et il est possible que les systèmes électriques diffèrent selon les bêtes et soient disposés tout autrement. Je signale à M. Vz ..., s'il l'ignore, que la question électrique du gymnote a été traitée sur The Atlantic Monthly Boston. Référence qui m'a été aimablement communiquée par un lecteur.

P. DE BERNADE.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 602