Avec octobre commencent, pour beaucoup de sportifs, les
vacances. Pour plusieurs mois, le cyclisme routier et l'athlétisme sont mis en
sommeil. Résistant mieux à la pluie et à la froidure, le football, le rugby
s'emparent des stades. S'adaptant aux salles comme au plein air, la balle au
panier pourrait être le jeu des quatre saisons si la lassitude des pratiquants
n'imposait une trêve estivale.
Le moment paraît donc bien choisi pour dresser le bilan des
sports qui connaissent actuellement leur éclipse annuelle. Notre propos n'est
pas de nous livrer à une étude d'ensemble en passant en revue toutes les
disciplines ni même de marquer les principaux événements dignes de s'inscrire
dans l'histoire du sport, à l'échelle mondiale.
Nous nous bornerons à considérer deux manifestations
privilégiées qui ont, plus ou moins, retenu l'attention de ceux que le sport
laisse indifférents d'ordinaire : le Tour de France cycliste et les Jeux
Olympiques. Et c'est du point de vue français que nous les examinerons.
Disons tout de suite que nous ne plaçons pas sur le même
plan une course pratiquement réservée aux représentants de quelques pays
européens et la fête grandiose qui, à Helsinki, a vu s'affronter les élites
physiques de l'univers. Les Jeux ont une ampleur, une signification qui
dépassent, écrasent toutes les épreuves sportives, si retentissantes
soient-elles.
Le Tour de France a été pour nos compatriotes une déception
avant même que fût donné le départ. Louison Bobet, malade, déclarait forfait
et, avec lui, disparaissait l'idole des foules. Dès lors, la supériorité de
Fausto Coppi — qui, sans doute, se serait accusée même si Bobet et Koblet
avaient été présents — devenait évidente.
Un seul problème se posait : où et quand Coppi
dominerait-il ses adversaires ! On connaît la réponse. Le champion italien
aurait pu, s'il avait voulu donner le meilleur de lui-même jusqu'à
l'épuisement, gagner avec une marge supérieure à celle, déjà coquette, qu'il
s'était assurée. Son succès se trouvait amplifié par la victoire d'ensemble de
l'équipe italienne, où les « domestiques » se haussaient souvent à la
taille des maîtres. Autre désillusion : dans le sein de nos équipes
régionales aucun jeune ne se signalait comme un vainqueur possible pour le Tour
de 1953, voire pour celui de 1954. Sauf de rares exceptions, les sélectionnés
semblaient borner leur ambition à boucler la boucle.
Certains ont proclamé la fin du Tour. N'écoutons pas ces
prophètes de malheur. Rituellement, il s'en manifeste plusieurs chaque année.
Et le Tour continue et il passionne la masse. Qu'il subisse une crise, nous ne
le nierons pas. Cette crise est matérielle. Si l'on excepte quelques vedettes,
les coureurs ne sont pas payés de leurs efforts. Les hommes de second plan ne
recueillent que des bribes des prix inscrits au programme. Déjà, des
professionnels de bonne classe ne sollicitent plus l'honneur de participer à
une tâche harassante et mal rémunérée.
Ces considérations matérielles ne sont pas de saison quand
il s'agit des Jeux Olympiques, réservés, en principe, à des amateurs parfaits.
Que la règle ne soit pas toujours respectée, c'est le secret de Polichinelle.
Les athlètes ne touchent pas d'argent, certes. Mais des emplois fictifs leur
sont accordés pour qu'ils poursuivent leur entraînement en toute quiétude. L'amateurisme
intégral est devenu un mythe, sauf en Angleterre, pour le champion dont
l'organisme, sensible comme celui d'un pur sang, doit être ménagé, et qui doit
se plier à une discipline de vie quasi monastique. Ne crions pas au scandale.
Le champion authentique est rarissime. Il constitue un exemple, un idéal. Il
suscite des vocations. Et, parce que le sport est un langage universel, il est
pour son pays un merveilleux agent de propagande. Qu'on l'approuve ou qu'on le
regrette, un vainqueur olympique, un recordman du monde est considéré dans
presque tous les pays comme un héros, comme un porte-drapeau.
Ceci, la France l'a compris. En vue des Jeux Olympiques, le
gouvernement a consenti des crédits mieux que convenables. De l'avis des
critiques les plus sévères, notre organisation s'est révélée impeccable. Nos
représentants ont été entourés de soins, nourris de denrées choisies apportées
de France et préparées par des cuisiniers de chez nous.
Malgré cette sollicitude, le résultat a été décevant. Les
succès remportés par nos escrimeurs, nos rameurs, nos nageurs et quelques-uns
de nos athlètes n'ont pu masquer une faiblesse d'ensemble lamentable. Nous
avons offert le beau voyage de Finlande à de braves garçons, à de gentilles
jeunes filles qui n'avaient absolument rien à faire dans une société aussi
relevée. D'aucuns se sont montrés tout bonnement ridicules. Ce n'était pas de
leur faute, mais de celle des dirigeants qui les ont fourvoyés.
Nous avons tenu à concourir partout, et nous avons gaspillé
les crédits en les répartissant sur des centaines d'engagés et d'« accompagnateurs ».
Nous avons présenté des équipes, des individualités qui n'avaient pas la
moindre chance de passer le cap de la première éliminatoire. C'était inutile.
Si nous voulons figurer honorablement en 1956, à Melbourne,
il faut reprendre à sa base le problème de l'éducation sportive. L'athlète de
classe internationale ne naît pas d'un phénomène de génération spontanée. Il se
détache de la masse après une série de sélections progressives. Pour qu'il existe,
il est nécessaire que les pratiquants soient nombreux. Courir, sauter, lancer
sont des gestes naturels. Les mieux doués pour les accomplir ignorent le plus
souvent leurs dons. Il s'agit, à l'école, au lycée, dans les universités, dans
l'armée, dans les sociétés amicales, là ou des enfants, des adolescents, de
jeunes hommes se trouvent réunis, d'organiser des courses, des concours
proportionnés à la vigueur, à l'âge des participants, de choisir les meilleurs,
de leur donner le goût du sport désintéressé, de leur apprendre les secrets
d'une technique tout ensemble simple et subtile. Le travail sera long, rebutant
parfois. Mais nous ne concevons pas d'autre moyen de replacer la France à son véritable rang.
Certains objectent : des gens qui galopent en culotte
courte ont donc tant d'importance ? Déjà honorés par la Grèce, mère des arts et de la pensée, les athlètes n'ont peut-être pas une haute valeur dans
l'absolu. Mais, dans le monde, ils sont représentatifs de leur nation. Avec
eux, pas d'arguties, de polémiques. Un saut en hauteur de 2m,10 est péremptoire.
Il est aussi, du point de vue esthétique, d'une
extraordinaire beauté.
Jean BUZANÇAIS.
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