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Les jeux du siècle

Toute la presse, à la clôture des Jeux Olympiques d'Helsinki, a glorifié cette grande quinzaine du sport international en la qualifiant de « Jeux du siècle », tout comme, après chaque guerre, on déclare que c'est la dernière ; sous prétexte qu'elle a été plus spectaculaire et plus meurtrière que les précédentes.

Et pourtant il me semble qu'on abuse de ce slogan, car il y aura encore dans l'avenir des Jeux Olympiques, heureusement, et des guerres, malheureusement. Et j'ai déjà entendu la même déclaration aux Jeux Olympiques où j'ai eu l'honneur d'être présent, en 1928 à Amsterdam et en 1936 à Berlin.

Il est bien présomptueux de prévoir l'avenir et de croire que chaque génération a atteint le niveau supérieur du progrès.

Certes, les Jeux Olympiques de 1952 ont été magnifiques, et il n'est pas question de le contester. D'abord parce qu'ils ont eu pour siège cette courageuse Finlande, petit pays mais grande nation, où l'athlétisme, plus que partout ailleurs, est une véritable religion ; ensuite parce qu'ils furent remarquablement organisés sur le plan technique ; enfin parce que trente records olympiques furent pulvérisés et une demi-douzaine de records du monde améliorés.

Mais à ceux qui disent : « On ne pourra faire mieux, nous arrivons à la limite des possibilités humaines ! » je réponds : « Qu'en savez-vous ? »

Il est en effet impossible de prévoir jusqu'où les records pourront être portés. Il est des domaines, comme celui de l'aviation, où l'on peut prévoir, parce que la technique de la machine progresse beaucoup plus vite que la race humaine, que très prochainement (on a déjà dépassé la vitesse du son) l'organisme humain, même protégé, ne pourra plus supporter les pressions, la température imposées par une augmentation illimitée de la vitesse, et que les machines de demain ne pourront plus être pilotées que par des robots. Mais, en athlétisme, cette limite n'est pas à prévoir, puisque l'homme ne peut risquer de tomber plus haut qu'il aura pu, par ses propres moyens, s'élever.

Ce qu'on oublie, c'est que l'homme est, comme toutes les espèces animales, en perpétuelle évolution, et que, d'un siècle à l'autre, il est impossible de comparer deux individus de la même espèce ou de la même race. La preuve, c'est qu'après être devenu plus petit et plus robuste que dans l'antiquité, ou, semble-t-il, au moyen âge (si l'on s'en rapporte aux dimensions des costumes des guerriers par exemple), l'homme, depuis deux siècles, recommence à devenir plus grand, plus lourd, plus fort.

C'est ainsi que la moyenne de la taille, la moyenne de la durée de la vie ont augmenté progressivement et de façon constante, depuis cent cinquante ans. Les progrès réalisés dans l'hygiène, l'alimentation, la médecine, l'allégement en durée et en intensité du travail par le machinisme ont obtenu ces résultats.

Dans l'organisation matérielle, même évolution. Il n'y a pas de comparaison possible entre les pistes en herbe de 1910 et les pistes en cendrée de 1952. Il est probable que, si Jean Bouin, aux Jeux de Stockholm, avait pu courir, il y a quarante ans, sur de telles pistes, il aurait égalé les temps que réalise aujourd'hui Zatopek.

Enfin, la technique progresse au même rythme que le matériel. Il n'y a pas non plus de comparaison possible entre le saut « de face » des Jeux de 1900 et le « roulé horizontal » d'aujourd'hui, pas plus qu'entre la façon de franchir les haies du 110 mètres du temps d'Hervoche ou du temps de Heinrich.

La médecine sportive elle aussi, inexistante il y a cinquante ans, progresse à pas de géant.

Il est donc certainement faux de croire que, en matière de sports et en particulier d'athlétisme et de natation, nous soyons arrivés à la limite des records possibles. Il est, au contraire, vraisemblable que, pendant de nombreuses olympiades encore (rappelons qu'une olympiade est la période des quatre années qui séparent les Jeux Olympiques), nous verrons les records parvenir à des temps et à des distances auprès desquels les performances de 1952 seront, par rapport à celles de l'an 2000, ce qu'est aujourd'hui le monoplan de Blériot par rapport aux avions à réaction.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 607