erre de légende dont le roman s'est emparé, l'Atlantide
ne serait-elle réellement qu'une grande île de rêve dont l'existence ne
correspondrait à aucune réalité sérieuse ? C'est ce que nous nous
proposons de dire ici.
C'était bien plutôt, pense-t-on, une île immense de
l'Atlantique Nord dont les habitants, parvenus à un haut degré de civilisation,
après avoir vainement tenté de pénétrer en Europe, auraient, en un temps de
sinistre mémoire, sombré avec leur terre dans les profondeurs de l'Océan.
Si sa réalité rencontre quelques sceptiques, elle est
cependant pour certains savants plus qu'une probabilité. C'est ainsi que la
grande voix, aujourd'hui éteinte, de Pierre Termier affirmait sans ambages :
« Libre à tous les amoureux des belles légendes de croire à l'existence de
l'Atlantide ; c'est la science, la plus moderne science, qui, par ma voix,
les y invite. »
À cette réalité vraisemblable, M. Poisson apporta, il y
a quelques années, dans un intéressant ouvrage : L'Atlantide devant la
Science, des preuves rationnelles qui pourraient emporter facilement
l'adhésion des plus sceptiques.
L'auteur admet, de prime abord, qu'une grande île a fort
bien pu disparaître par étapes, dans l'Atlantique, la dernière phase du
cataclysme s'étant produite il y a dix ou douze mille ans. Un grand peuple y
vivait dont la marche vers l'Europe occidentale et l'Afrique du Nord fut
arrêtée par ceux que la légende appela « Athéniens ». Alors se livra
une bataille gigantesque dont la disparition de l'Atlantide allait sonner le
glas. « Il y eut d'abord, écrit le philosophe grec Platon, dans le Timée,
d'effroyables convulsions ... Dans l'espace d'un jour et d'une nuit
terribles, toute notre armée fut engloutie d'un seul coup sous la terre et de
même l'île Atlantide s'abîma dans la mer et disparut. »
Mais, dira-t-on, pourquoi n'avoir point fait de sondages là
même où sombra la grande île présumée, large comme un continent ? L'essai
en fut tenté, mais se révéla infructueux.
Pourtant la géologie nous apprend que l'océan Atlantique
présente une grande chaîne parallèle au nouveau et à l'ancien continent et cela
à une profondeur voisine de 2.000 mètres, s'amorçant à la hauteur du Spitzberg
et finissant à l'île Bouvet, à mi-chemin entre l'Afrique et les terres
antarctiques. De cette chaîne médiane se détachent des chaînes latérales qui
auraient pu jouer le rôle de pont entre les deux mondes. Et Termier d'en
conclure : « Toute une région au nord des Açores, comprenant
peut-être les Açores, et dont ces îles, dans ce cas, ne seraient que les ruines
visibles, s'est effondrée tout récemment, probablement à cette époque que les
géologues appellent actuelle, tant elle est récente, et qui, pour nous, les
vivants d'aujourd'hui, est quelque chose comme hier. »
Mais la répartition actuelle ou passée des diverses espèces
animales et végétales nous apportera peut-être une preuve plus convaincante. En
effet, que des représentants d'espèces identiques se retrouvent des deux côtés
de l'océan suppose qu'un pont en a permis le passage. Tel est, par exemple, le
cas du mastodonte que l'on trouvait, il y a quelques centaines de milliers
d'années, en même temps en Europe occidentale et dans le Texas ; tels
encore le bœuf musqué, le bison, le glouton, le castor, le renard bleu et le
loup polaire, encore que ces derniers auraient pu cheminer à travers la
banquise. Mais cette dernière voie, impraticable à des poissons d'eau douce ou
à des vers, laisse donc le problème entier et présuppose toujours une voie de
passage.
À cela s'ajoute l'énigmatique mer des Sargasses. Qui nous dit
que l'étrange migration des anguilles allant pondre dans cette lointaine
région, les jeunes anguilles regagnant ensuite les rivières et les étangs des
deux mondes, ne serait pas la signature de quelque condition biologique
favorable, au voisinage d'une île disparue, vers laquelle tendent encore
aujourd'hui ces poissons guidés par quelque ancestral appel ?
Mais l'argument le plus sérieux paraît résider dans l'étude
de la Préhistoire. Si les prestigieux habitants de la grande île, les Atlantes,
ont essaimé en effet des deux côtés de leur terre, on doit retrouver sur les
rivages des deux mondes des vestiges ethniques reliés à la souche commune d'un
homme fossile dont l'existence coexisterait avec celle de l'Atlantide. Cet
homme fossile serait l'homme dit de « Cromagnon », dont les
descendants se retrouveraient encore aujourd'hui sur l'ancien et le nouveau
continent et dont les représentants seraient, d'un côté, particulièrement les
Basques et, de l'autre côté de l'Océan, les Peaux-Rouges de l'Amérique du Nord,
formés de peuples qui, à l'origine, habitaient les solitudes de la côte
atlantique du Canada et des États-Unis. Car, parmi ces deux groupes raciaux, G. Poisson
relève des analogies extrêmement curieuses. Ainsi note-t-il chez ces deux
peuples la tente conique en peau, le port de plumes sur la tête, des sifflets
de commandement creusés dans des phalanges de rennes ou dans des os longs,
l'usage de la peinture corporelle et plus particulièrement du rouge, la
position accroupie des cadavres, la curieuse croyance aux « loups-garous »,
que l'on retrouve aussi en France, le réalisme et la stylisation dans l'art
animalier, les ramures de cerf ornant la tête du sorcier dans la grotte des
Trois-Frères et la danse des cerfs, visions préhistoriques des danses sacrées des
Peaux-Rouges ... Certitudes ? Non pas, mais similitudes pour le moins
impressionnantes, lorsqu'on y aura adjoint des caractères raciaux comme la
haute taille, puisqu'elle dépasse généralement un mètre quatre-vingts, la
dolichocéphalie relative du crâne à contour pentagonal, le front haut, la face
droite et large, de vastes orbites rectangulaires, le nez long, fort et mince,
le thorax allongé et large au niveau des clavicules, de type nettement
respiratoire, une musculature puissante et des extrémités développées.
Le Peau-Rouge, qui régresse aujourd'hui devant l'implacable
rouleau uniformisant de la civilisation, n'est-il pas demeuré jusqu'à ce jour
une survivance attardée de l'âge du renne, au temps où l'homme de Cromagnon
parcourait les solitudes vertes de ce qui devait être la France ?
De la coexistence des caractères précédents chez certains
groupes humains d'Europe occidentale et d'Amérique du Nord, on a donc pu
inférer à la dissémination de la race de Cromagnon à partir d'un centre
atlantique, cette race de Cromagnon, si évoluée relativement, pouvant
s'identifier avec la race des Atlantes dont parle Platon.
Peut-être aussi doit-on voir dans les druides, dont
l'élévation de pensée et les connaissances paraissent surpasser infiniment
celles du peuple gaulois, un vestige de la brillante civilisation atlante,
disloquée à son apogée.
Des îles naissent et s'évanouissent dans les solitudes
marines et le mystère les entoure aux deux termes de leur existence. Ainsi
repose aujourd'hui au fond d'un océan sans couleur et sans voix ce monde
fabuleux, lourd d'un passé que recouvrent d'ombre et de mystère dix
millénaires.
Pierre GAUROY.
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