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Maquillages d'autrefois

La femme semble bien s'être fardée depuis la plus haute antiquité. Longtemps, des substances minérales fort simples enluminèrent les joues de nos ancêtres, puis les parfumeurs mirent au point des pâtes, des pommades plus ou moins perfectionnées. Ce n'est pas sans une certaine émotion que l'on retrouve, de nos jours, dans les tiroirs d'une coiffeuse un pot de fine porcelaine, au fond duquel adhère encore un peu de rouge qui brilla sur le joli minois d'une actrice du XVIIIe siècle ...

Sans remonter au déluge, passons rapidement en revue l'histoire du maquillage en France. Les prédicateurs du moyen âge menaçaient de leurs foudres les jolies pénitentes qui se barbouillaient effrontément ; mais en vain, la mode l'emportait sur les conseils. Cependant, mieux avisés, certains auteurs du XVIe siècle tentèrent de montrer le danger de ces compositions chimiques et leur action nocive sur la peau. Au temps d'Henri IV, un petit livre, écrit en forme de dialogue entre une mère et sa fille, nous apprend que les contemporaines du Vert Galant se servaient de sublimé, de rouge et de blanc d'Espagne ; cela, paraît-il, leur donnait mauvaise haleine et gâtait leurs dents. Mais, là encore, cet épouvantail à l'usage des jeunes filles échoua, elles continuèrent, comme par le passé, à se « graisser le museau » comme écrivent irrévérencieusement les poètes satiriques. Ceux-ci, au temps de Louis XIII et de Louis XIV, blâment les femmes d'emprunter des couleurs à une petite boîte, dont ils nous tracent d'ailleurs une description fort peu ragoûtante.

Mais c'est principalement au XVIIIe siècle que l'on peut noter un véritable abus des fards, dont les portraits du temps nous ont d'ailleurs conservé le souvenir.

Ces pommettes passées au vermillon indignaient fort les étrangers. Une Anglaise visitant la France vers 1720 écrit :

« J'ai vu celles qui passent pour des beautés parmi les dames françaises. Elles sont en vérité dégoûtantes par leur façon de se mettre, et par le fard dont elles se couvrent leur visage ; leurs cheveux courts et crêpés ressemblent à de la laine blanche et, avec leur visage couleur de feu, elles n'ont pas figure humaine ; on les prendrait pour des moutons nouvellement écorchés ... »

C'est que le maquillage est devenu presque une affaire d'État. Sous le règne de Louis XVI, quelques années avant la Révolution, Louis-Sébastien Mercier note, dans son Tableau de Paris : « On ne voit qu'à Paris de ces femmes fardées ... Choisir son rouge est une affaire capitale. » C'est qu'à cette époque celui-ci variait suivant les personnes : « Le rouge de la femme de qualité, écrivent les Goncourt, n'était pas le rouge de la femme de Cour ; le rouge d'une bourgeoise n'était qu'un soupçon de rouge, une nuance ... » Il y avait même, si nous en croyons un ouvrage du temps, un demi-rouge pour la nuit !

Le coloriage d'un charmant minois demande alors beaucoup de temps et de réflexion ; après avoir pris ses godets et ses pinceaux, Madame régularisait ses sourcils et grandissait ses yeux à l'aide de noir. Puis elle couvrait ses joues d'une couche de vermeil et étendait sur le reste de sa figure une bonne couche de blanc, une touche de bleu servait à affirmer la finesse de la peau et à en faire ressortir la blancheur.

Les parfumeurs, on doit s'en douter, réalisaient alors de gros bénéfices ; on prétend qu'en 1781 ils vendaient près de deux millions de petits pots par an. Ces derniers étaient de prix fort divers : certains coûtaient jusqu'à soixante ou quatre-vingts livres ; en général, leur valeur moyenne était d'un louis ou d'un demi-louis.

Ces onguents plus ou moins gras étaient parfois à base de rouge de Portugal ou de produits assez variés. On continuait à utiliser le cinabre, qui avait le grave inconvénient de faire perdre les dents et principalement de favoriser une salivation par trop abondante et disgracieuse au possible. Les manuels de soins de beauté du temps donnent d'innombrables formules de rouges d'une préparation aisée. L'un d'eux conseille même l'usage d'un ruban ponceau trempé simplement dans de l'eau-de-vie ; il paraît que, par cette méthode, on obtenait des couleurs naturelles.

Au milieu du XVIIIe siècle, la coquette porte sur elle une boîte, plus ou moins richement décorée, dans laquelle sont rangés les mouches, le rouge, le pinceau et le miroir dont elle se sert n'importe où, au grand scandale des moralistes.

Au temps de Louis XV ou de Louis XVI, l'élégante possède un nécessaire de toilette, ancêtre en quelque sorte de notre poudrier, mais plus important. Certains, conservés dans des collections particulières, ou des musées, sont de vrais chefs-d'œuvre de bon goût. L'intérieur, doublé de velours en divers tons de rouge, renferme la minuscule reproduction d'une toilette portative avec ses flacons de cristal à bouchons d'or.

Passant en revue les merveilles de l'Exposition centennale de 1900, le poète Robert de Montesquieu écrivait : « Viennent ensuite les boîtes à rouge et à mouches ; closes, on dirait des tabatières ; l'intérieur se divise en trois compartiments, dont deux sont eux-mêmes fermés d'un couvercle à charnières : le troisième, assez souvent encore enduit de parcelles de rouge, contient le pinceau qui servait à l'étendre. »

Les marchands, comme de nos jours, avaient leur « conditionnement » particulier, leurs emballages ornés d'une vignette publicitaire. Le fard était vendu dans de petites boîtes de carton avec un pinceau et une houppette.

Ces produits à maquiller se sont parfois conservés jusqu'à nous. Nous avons eu l'occasion, il y a quelques années, d'admirer une ravissante coiffeuse de style Louis XVI, qui avait appartenu à une grande actrice du temps. Dans les tiroirs, on avait pieusement laissé de petits pots de porcelaine, analogues à nos pots à crème, dans lesquels étaient restés un peu de couleur factice qui enluminait les joues de la tragédienne.

Voici comment une parfumeuse de 1785 vantait son fard :

« Avis aux dames ! Le rouge est très ancien. Il était même chez les reines d'institution divine. Junon s'en servait ; sans doute ce n'était pas le jour où elle emprunta la ceinture de Vénus. Ce qui est sûr, c'est qu'une de ses suivantes vola un pot de fard sur sa toilette pour le donner à Europe.

» Europe l'apporta dans cette partie du monde qui porte son nom ; c'est en France surtout que les dames s'empressèrent d'adopter une mode qui venait du ciel ; et, depuis les Pictes, l'art a conservé le droit d'embellir la nature.

» Cet honneur coûta à l'art bien des travaux et bien des peines. Combien de fois les grâces, rebutées de ses essais infortunés, et peut-être dangereux, implorèrent les lumières des savants chargés de veiller sur leurs charmes ! Enfin, voici un nouveau procédé que la Société royale de médecine approuve et garantit. C'est Flore elle-même qui l'a fourni à la demoiselle Latour. Son rouge a le parfum et le coloris de la rose. Elle demeure rue Montmartre, n°182, vis-à-vis le Bureau des Messageries. »

La Révolution supprima en partie ce commerce. Les jolies femmes ne se maquillèrent plus en public comme au temps des rois, elles ne se regardèrent plus dans leur petite glace de poche pour faire un « raccord », ce qui exaspérait certains mémorialistes contemporains de Louis XVI ; elles attendirent des jours meilleurs. Ils vinrent bientôt et, sous le Directoire, les coquettes purent se rendre chez Fargeon, faubourg du Roule, ou surtout au magasin de Provence et d'Italie, situé dans la vieille rue Montorgeuil. « Quel atelier ! s'exclament les frères Goncourt dans le vivant ouvrage sur le Directoire, les amours y battent la moelle de bœuf et la bergamote ! Et poudre à la maréchale, amidon de Hollande, poudre à la rose muscade, rien n'est bon, rien n'est de ton, rien n'a une fleur d'arôme, s'il ne vient du magasin de Provence. »

Dans un passage de leur fameux Journal, ils raillent férocement « ces femmes enfarinées de poudre de riz, blanches comme un mal blanc avec les lèvres toutes rouges, peintes au pinceau, l'œil charbonné ... »

Fait piquant, la belle et excentrique Lola Montez, qui défraya la chronique, était de l'avis des Goncourt. Dans un curieux petit livre qu'elle publia sous le second Empire, elle s'élève avec force contre le maquillage, lui attribuant les pires méfaits, tels que des paralysies et des morts prématurées ! Elle est l'adversaire résolue du blanc, mais admet le rouge végétal sur les joues. L'égérie du roi de Bavière lutta en vain contre la mode. Déjà, d'astucieux commerçants avaient monté des maisons de soins de beauté où l'on enseignait l'art de se peindre le visage et même les ongles, art, on a pu le voir, vieux comme le monde ou presque.

Roger VAULTIER.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 639