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Un peu de gaieté

Le trac aux examens

oici le mois d'octobre, époque de « repêchage » pour les candidats bacheliers qui ont eu la malchance de ne pas réussir à la session de juin. Cela m'a suggéré l'idée, afin de varier un peu, pour une fois, la manière de mes contes (de La Motte, le poète bien inconnu aujourd'hui, n'a-t-il pas écrit ce vers, le seul de toutes ses œuvres qui ait brisé la barrière de l'oubli et même soit parvenu à l'immortalité : L'ennui naquit un jour de l'uniformité ?), de vous raconter quelques souvenirs personnels.

Je les retrouve dans un vieux carnet où je notais mes impressions du temps où j'étais membre de l'enseignement. J'étais examinateur et j'ai récolté quelques réponses bizarres, voire profondément ridicules, de candidats handicapés par le terrible trac, qui ôte si souvent, malheureusement, au plus studieux, au plus méritant, une grande partie de sa valeur.

Voici quelques-unes de ces réponses. Elles sont d'une rigoureuse authenticité. Vous vous rendrez compte, en lisant ces anecdotes, qu'il est parfois fort difficile, pour un examinateur, de conserver son sérieux, sa gravité ...

Un petit jeune homme tout gracieux, tout frisé — je me le rappelle fort bien — se présente un jour devant M. S ..., professeur de physique. C'est d'une main tremblante qu'il tire le billet. Il l'ouvre. Il doit parler du principe d'Archimède.

Remarquez qu'il connaissait fort bien son sujet, donc il aurait dû reprendre immédiatement tout son aplomb. Eh bien ! non. Le trac le tenaillait. Au lieu d'énoncer le principe, normalement, en ses termes classiques : « Tout corps plongé dans un liquide perd une partie de son poids égale au poids du liquide déplacé par ce corps », il nous dit en bégayant :

— Tout corps plongé dans l'eau d'une baignoire perd une partie de son poids, etc.

Il était hanté par la figure du géomètre de Syracuse trouvant, dans son bain, la manière de peser la couronne du roi Hiéron ! Vous savez ? Eurêka ! Eurêka ! ...

Un grand gaillard taillé en hercule, beau comme l'antique, se présente devant l'examinateur de chimie. Le professeur le prie de l'entretenir de l'acide cyanhydrique, vulgairement appelé acide prussique.

Après quelques secondes de réflexion, le candidat décrit cet acide, parfaitement, du reste, comme un liquide incolore, d'une odeur forte d'amandes amères ; il précise qu'il cristallise en masse fibreuse, parle de sa décomposition en ammoniaque, cyanhydrate d'ammoniaque et charbon azoté, puis, pour exprimer toute la force du poison foudroyant qu'est cet acide, il ne trouve rien de mieux que de formuler cette phrase convaincante — ô combien ! — mais assez inattendue :

— Une seule goutte d'acide prussique instillée dans l'œil d'un chien suffit pour tuer un cheval !

Les examens d'histoire sont ceux au cours desquels on entend les réponses les plus pittoresques.

Je me souviens d'un gros garçon réjoui qui me déclara nettement que :

— ... Clovis, n'ayant pu se faire rendre un vase d'or dérobé dans une église par un de ses soldats, se vengea brutalement sur celui-ci en lui fendant le crâne d'un coup de sabre (sic), sous le prétexte que ses armes étaient en mauvais état, pendant une revue qui réunissait les soldats francs sur le Champ-de-Mars, à l'occasion du 14 juillet !...

Celui-là, je me suis souvent demandé s'il n'avait pas voulu, tout simplement, se payer notre tête ... Je ne me souviens plus s'il a réussi son examen, mais j'aime à croire qu'il a fait son chemin, sinon comme historien, du moins comme humoriste.

Parfois l'élève est si troublé qu'il ne comprend pas bien l'énoncé même de la question. S'il n'ose pas prier l'interrogateur de répéter, le malheureux s'embourbe, perd la tête, ce qui produit des coq-à-l'âne du plus curieux effet.

Un jeune professeur, natif de Beaucaire, très érudit et fort aimable, interrogeait en histoire des candidats au baccalauréat es lettres. À l'un d'eux, il posa la question suivante : Les causes de la Renaissance en France.

L'élève alors sur la sellette pâlit, fronça les sourcils et entama une brillante dissertation sur l'alliance de Jacques VII avec la France contre Henry VIII, sur la bataille de Flodden, la régence de la reine Marguerite, sur le mariage, en 1536, de Jacques V avec Madeleine, la fille de François 1er, sur le mariage de Marie Stuart avec le dauphin de France, plus tard François II ...

Nous étions sidérés ! ... Le gamin sortait visiblement de la question. Je l'interrompis en souriant :

— Pardon, jeune homme, avez-vous bien saisi la question ? Il se troubla et fit un grand signe de tête affirmatif.

— Veuillez répéter ce que monsieur vous a demandé.

Nous retînmes difficilement un éclat de rire. Le professeur était doué d'un splendide accent du Midi et le pauvre élève avait compris : L'Écosse de la Renaissance en France ! ...

Il avait fait preuve de tant de savoir et d'habileté que, nonobstant son erreur, nous lui donnâmes une note excellente.

L'accent d'un autre professeur, berrichon celui-là, fut également la cause d'une amusante confusion. Interrogeant en géographie, il demanda à un candidat :

— Dites-moi ce que vous savez sur l'Autriche-Hongrie (c'était avant la guerre de 1914 et les deux pays ne formaient qu'un seul et même empire).

L'élève manifesta une surprise non dissimulée et se mit à nous parler des « oiseaux-chameaux » des anciens, dont Aristote avait dit : Partim avis, partim quadrupes, que Linné avait classés dans les gallinacées et que Cuvier, à tort, avait classés dans les brévipennes. Il nous dit que si, du moins, il fallait croire les croquis laissés par Ulysse Aldrovandi, ils mangent des os, des cailloux et même des lingots de fer ...

— Quant aux espèces spécialement grises, dit-il enfin, connues sous les noms de Struthio Rea, de Nandu, de Churi, on les trouve surtout en Amérique et les petits ...

Nous nous regardions, l'interrogateur et moi, et nous demandions, par signes, si le pauvre garçon jouissait bien de toutes ses facultés mentales ...

Enfin, nous eûmes la clef de l'énigme : le candidat avait compris : « Dites-moi de ce que vous savez sur l’autruchon gris » ... Alors il nous parlait des autruches à plumes grises et de leurs petits !

Je ne puis finir sans citer la réponse d'une charmante enfant, jolie petite blondinette de douze ans, qui se présentait au bénin certificat d'études, et qui m'affirma, avec une grâce, une assurance et une volubilité déconcertantes, que :

— ... Dans la langue française, les trois mots : amour, délice et orgue sont masculin au féminin et singulier au pluriel ! ...

Roger DARBOIS.

Le Chasseur Français N°668 Octobre 1952 Page 640