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Libres propos

A propos du futur statut

L'article paru dans Le Chasseur Français (n° de mai), sous la signature de ce brillant cynophile et très compétent cynégète qui a pris le pseudonyme de Garrigou, renferme des vérités essentielles. Beaucoup de chasseurs, qui ne veulent pas réfléchir, les ignorent, et la presse spécialisée n'insistera jamais assez pour les répandre. Aussi est-il très intéressant de rapprocher de cet article la note diffusée par Radio-Toulouse et émanant de la Fédération des chasseurs des Hautes-Pyrénées.

En voici le texte :

« Je voudrais vous parler aujourd'hui des ennemis du gibier. Sujet singulièrement rebattu et sans grand intérêt, dites-vous. Et vous pensez tout de suite aux animaux nuisibles. Sans aucun doute, ce sont là des ennemis du gibier, et il faut les détruire par tous les moyens. Nos dévoués lieutenants de louveterie font tout ce qu'ils peuvent avec leurs battues administratives. Il faut, surtout, que, dans chaque commune, particulièrement dans celle où il existe une société de chasse, quelques personnes entreprennent une lutte de tous les instants contre renards, belettes, oiseaux de rapine, etc. Il faut, pour cela, beaucoup de temps et de dévouement. À vrai dire, il y eut toujours des nuisibles et il y avait jadis du gibier. C'est que le plus grand ennemi de ce gibier, c'est l'homme, non seulement l'homme illégal, le braconnier, mais aussi le porteur de permis, le chasseur. Les gardes de la Fédération font ce qu'ils peuvent contre le braconnage. Il les faudrait trois fois plus nombreux pour avoir une action vraiment efficace. Existera-t-il, un jour, un garde fédéral par canton ? Espérons-le sans trop oser y croire ! Et ce serait là cependant un minimum. Mais que pouvons-nous contre l'armée toujours croissante des porteurs de permis ? Dans tel canton du département où il existait, il y a trente ans, six permis de chasse, il y en a maintenant plus de trois cents. Cependant, si nous ne pouvons rien contre le nombre toujours plus important de chasseurs, nous pouvons restreindre le terrain de leur dévastation. Il faudra un jour ou l'autre obtenir que le tiers ou au moins le quart du territoire de chaque commune soit mis en réserve. L'expérience prouve, en effet, que c'est là la meilleure et à peu près la seule solution du problème. Je connais une société communale comprenant 1.300 hectares. Un bureau énergique a obtenu que la réserve de chasse s'étende sur 400 hectares. Cette réserve a été soigneusement expurgée de nuisibles et consciencieusement surveillée. En deux ans, les résultats ont été excellents et apparents même aux yeux des moins avertis. Il a été tué sur le territoire de cette commune, en 1951-1952, saison particulièrement déficiente, plus de cinquante lièvres. Et les perdrix, qui avaient complètement disparu, ont reparu. Ce qui a été fait là peut être fait partout où il y a une société de chasse. La Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées continuera, comme par le passé, à favoriser la création de sociétés de chasse communale et intercommunale (surtout intercommunale) et à les exhorter à créer des réserves aussi importantes que possible. Dans la législation présente, ceci constitue le procédé le plus efficace pour l'amélioration de la chasse. »

La Fédération des Hautes-Pyrénées ne peut pas être plus précise. Ce sont là, aussi, les idées développées par Carrigou. L'homme est le vrai, le grand ennemi du gibier. On ne peut rien pour diminuer le nombre des chasseurs, mais on peut en limiter les dégâts, en diminuant, en limitant l'étendue du territoire dévasté. Ceci conduit à la création de vastes réserves surveillées et où la destruction des nuisibles doit être très poussée.

Qui doit garder ces réserves ? Les gardes fédéraux. C'est là leur plus utile fonction. Le président et le conseil d'administration de la Fédération des Hautes-Pyrénées l'ont depuis longtemps compris. Des ordres précis ont été donnés au garde chef : les gardes fédéraux s'occupent tout particulièrement de la surveillance des réserves communales ou intercommunales. Dans beaucoup d'endroits, des personnes dévouées et compétentes ont entamé une lutte sérieuse contre les nuisibles. Ailleurs, les gardes fédéraux ont entrepris une campagne de destruction, particulièrement durant les mois de mars, avril et mai.

Mais ces réserves dans l'espace, diront certains, devraient être doublées de réserves dans le temps. Entendons par là la nécessité de limiter le nombre de jours où il serait possible de chasser chaque semaine. Le problème ici devient tout de suite plus complexe et démontre la nécessité pour la future loi cynégétique d'être très souple et très nuancée. Certes, la limitation des jours de chasse peut avoir une grande utilité dans une région où le gibier de passage n'existe pas et où les chasseurs doivent vivre sur un « fonds » assez étroit de gibier sédentaire (perdrix, lièvre, lapin). (Encore la question de la destruction pourrait se poser pour ce dernier animal, considéré comme nuisible en beaucoup de lieux et, de ce fait, sans limitation de chasse.) Mais comment diminuer le nombre de sorties dans des régions — comme il en est dans la plus grande partie de nos pays méridionaux — où le fonds de la chasse est constitué par le gibier de passage ? Nous avons connu — il n'y a point si longtemps — cette période de restriction cynégétique ! Que de grincements de dents chez ces chasseurs de palombes qui voyaient hier, où la chasse était interdite, passer de nombreux vols et qui, aujourd'hui, dans leurs « cabanes » haut perchées, faisaient comme sœur Anne : ne voyaient rien venir ! Rappelons-nous aussi certains dimanches de cette période restrictive où, dans les environs de certaines villes, les bataillons de chasseurs étaient sortis en rangs si serrés que le danger était partout au milieu d'un tumulte affreux de coup de fusils, de chiens appelés, de contestations pour un gibier tué, de plombs sifflant dans toutes les directions, et pas une pauvre tête de ce gibier affolé ne put échapper à une telle mobilisation ! Ce qui est peut-être possible et peut-être souhaitable en certaines régions et dans certaines conditions locales ne saurait être appliqué en d'autres où cette mesure pourrait certainement être plus nuisible qu'utile.

Mais, si cette forme de réserve dans le temps ne paraît guère intéressante pour bien des pays de France, il en est une autre qui existe déjà et pourrait être plus sérieusement appliquée. C'est celle qui consiste à ouvrir et à fermer la chasse de certains gibiers en dehors des dates d'ouverture et de fermeture générale. Une protection réelle de certaines espèces sédentaires serait ainsi assurée, la chasse de la perdrix pourrait avoir une durée aussi courte que les circonstances le nécessiteraient. Il en serait de même de celle du lièvre, de celle du faisan, etc. Enfin, il serait ainsi possible d'ouvrir la chasse de la caille pour le 15 août, ainsi que le demandent la plupart des fédérations du Midi.

Cette forme de « réserve dans le temps » qui paraît fort réalisable, sans trop gêner les habitudes acquises, devrait entraîner, pour être vraiment efficace, le droit pour les gendarmes et gardes fédéraux de vérifier le contenu des carniers, gibecières, etc., ainsi que des coffres des voitures.

Il est bien d'autres points qui intéressent le futur statut. Il nous a paru intéressant de comparer, sur les principales mesures, les idées de Garrigou et celles de certaine fédération. Elles sont d'autant plus semblables qu'elles traduisent des vérités profondes, en dehors desquelles la chasse française ne trouvera pas son salut.

Dr C. CASTETS.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 653