Ces quelques lignes intéressent autant les chasseurs que les
agriculteurs, ou, mieux, les syndicats agricoles, qui maintenant, en France, se
chargent pour la plupart de cette question. Peut-être même y a-t-il dans ces
lignes des indications qui pourront amener une modification utile de certains
arrêtés préfectoraux. Je passe sur la question légale en rappelant simplement
qu'il est absolument indispensable de consulter l'arrêté préfectoral sur la
chasse (susceptible de variation dans chaque département) dès qu'on a
l'intention d'opérer un empoisonnement d'animaux dits nuisibles. Cet arrêté
est visible et à consulter dans toutes les mairies ou gendarmeries.
Arrivons-en aux causes d'insuccès.
a. Du choix du poison.
— En premier lieu, il est indispensable que le toxique
choisi soit délivré avec toutes les garanties de teneur utile en poison. Si, au
lieu de sulfate de strychnine par exemple, on délivre de la brucine, qui est un
alcaloïde parent et très voisin de la strychnine, les effets du toxique en
seront nettement modifiés. Même résultat si le produit délivré est chargé ou
falsifié.
Autre remarque pour l'empoisonnement des corbeaux : l'emploi
d'un toxique agissant rapidement est à déconseiller, car ces oiseaux (freux,
corneilles, choucas souvent réunis en bandes en hiver) se rendent très bien
compte de l'effet du poison sur les premières victimes et s'envolent pour ne
plus revenir. L'emploi du phosphore est de beaucoup préférable à celui de la
strychnine ou de la brucine. Par ailleurs, les appâts empoisonnés au phosphore
perdent leur toxicité en quatre jours, ce qui n'est pas le cas pour la
strychnine, très stable. Il y a donc là une réduction automatique de la durée
du danger créé par l'emploi d'un toxique, qui ne peut être que profitable au
gibier. Un inconvénient, par contre, c'est qu'il faut employer le plus
rapidement possible les préparations phosphorées, car elles se conservent mal
si l'on ne prend pas certaines précautions.
b. Du choix du lieu d'opération.
— Une fois en possession des appâts empoisonnés (grains,
purée, omelette, pâtées, œufs, etc.), il ne s'agit pas de les répandre partout
à la pelle ! Un kilogramme d'appâts empoisonnés bien placé sera plus
efficace qu'un quintal semé au hasard et avec beaucoup moins de danger
vis-à-vis du gibier. Pour que l'empoisonnement des corbeaux réussisse au
maximum, il faut qu'il soit fait sur de grandes surfaces, c'est entendu, mais
il faut sous-entendre sur des places choisies de cette plus grande surface (de
là l'intérêt des opérations menées simultanément sur plusieurs communes).
c. La détermination de la dose de toxique et de la
quantité d'appâts empoisonnés à employer.
— Quel que soit le toxique employé, il y a une dose à
respecter : au-dessous de cette dose les résultats sont insignifiants ou
nuls, au-dessus les résultats ne sont pas augmentés, mais peuvent créer un
danger pour les animaux domestiques ou le gibier. Quant à la quantité d'appâts
empoisonnés à employer, il faut, pour la destruction des corbeaux, se rappeler
que l'opération doit être menée en une seule fois, donc massivement aux places
choisies, car les rescapés ne donneront pas de sitôt dans le piège. Réitérer
l'empoisonnement à quinze jours, un mois d'intervalle, ne donnerait que des
résultats insignifiants.
d. Le choix du moment favorable.
1° La saison.
On peut admettre deux périodes pour les corbeaux (et les
pies) :
— la première l'hiver, en janvier et février, moment
capital en rendement, car, trouvant difficilement leur subsistance, les oiseaux
donnent plus facilement aux appâts ; c'est l'opération massive qui
convient ;
— la seconde en mai, qui n'est qu'un complément de la
première, s'adressant aux oiseaux sédentaires ou aux rescapés en période de
nidification ou d'élevage. L'opération se limitera aux alentours des nids
repérés et par un procédé autre que celui employé lors de l'opération massive
d'hiver.
2° Le jour.
C'est là un point très délicat pour les responsables du
choix du jour d'opération, car ils ne peuvent prévoir avec certitude le temps
qu'il fera. C'est donc, malgré les bons offices de l'O. N. M., un peu
un coup de poker ! Un temps de pluie, une tempête de vent, un brouillard
persistant, une gelée blanche, une élévation subite de la température en hiver,
et le résultat est très compromis. Seule une initiative individuelle pourrait
remédier à cet état de fait, mais alors la simultanéité de l'opération serait
sérieusement compromise.
e. Écueils dus à la façon d'opérer.
— Je ne peux les envisager tous, mais les principaux
sont basés sur la méconnaissance des facultés des corbeaux. Ce sont les oiseaux
les plus observateurs, ayant le plus de mémoire et portant la méfiance à ses
limites extrêmes, que j'ai pu observer. Ils sont de beaucoup supérieurs aux
pies et aux geais.
Échelonner l'empoisonnement sur un mois ne rime à rien
(surtout avec un toxique rapide du genre strychnine) ; en vingt-quatre
heures ceux qui ne sont pas morts ont compris !
Déposer les appâts de jour au vu des oiseaux, c'est réduire
de 80 p. 100 les résultats. Un seul cas m'a réussi, c'est en empoisonnant
derrière la charrue.
Aller visiter fréquemment les places empoisonnées, c'est
alerter les corbeaux ; cependant, avec un toxique d'effet rapide
(strychnine), il vaut mieux observer de loin à la jumelle les résultats et
venir ramasser les premières victimes que de les laisser sur place.
Laisser les victimes à l'agonie sur place en hiver, c'est
voir se former un grand vol de corbeaux croassant à pleins becs, qui va se
mettre à tourner en rond pendant une demi-heure et qui disparaîtra quand il
aura pris une grande altitude, pour ne pas revenir de plusieurs jours dans le
champ opératoire. Chose curieuse, si vous prenez trois ou quatre corbeaux tués
au fusil et que vous les placiez au sol ailes étendues, ventre à terre, ils
n'effraient en rien les vols hivernaux. Il semble donc que la vue de l'agonie
de leurs frères les avertit du danger.
Voici, en quelques lignes, les causes d'insuccès dans
l'empoisonnement des corbeaux. Quant aux procédés à employer, je renvoie les
lecteurs intéressés aux ouvrages spéciaux. Nombre des causes énoncées peuvent
s'éliminer, étant donné qu'elles sont soumises à l'initiative de l'opérateur.
Quant aux dangers de ce genre d'opération, nous en reparlerons une autre fois.
A. CHAIGNEAU.
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