Dans un article précédent (1), j'ai essayé de dégager les
raisons pour lesquelles on raccourcit la queue de certains chiens; mais
raccourcir ne signifie pas toujours supprimer. Il importe de faire cette
distinction, car certains éleveurs mutilent sans discernement leurs chiots.
Les races dont les sujets naissent en général anoures sont,
en principe, pures ; non pas, bien sûr, que l'absence de queue soit, chez
le chien, signe de pureté ! Mais, lorsque cette infirmité est naturelle
chez un sujet dont c'est un caractère de la race, on peut le considérer comme
pur. Ce caractère étant fixé par mutation, par évolution accomplie des formes
du squelette, s'il cesse de se manifester, c'est qu'un sang étranger a provoqué
la réversion. Celle-ci, en ce cas, s'accompagne d'autres symptômes s'éloignant
peu ou prou du standard. Dans les races régénérées par apport étranger, plus ou
moins massif et plus ou moins récent, l'anourisme devient plus rare. C'est le
cas de l'épagneul breton et du braque du Bourbonnais ; mais des familles
restées pures dans ces races peuvent aussi, bien que plus rarement, produire
des sujets à queue longue ou seulement courte (brachyoures). Ce cas s'observe
non seulement chez les deux races précitées, mais chez d'autres aussi, comme
les shipperkes.
À l'état naturel, ces chiens sont donc anoures ; mais
la queue reste à l'état d'embryon, phalange atrophiée et souvent déviée. À ceux
qui ne présentent pas ce caractère, on ampute la queue pour se conformer au
standard. Il s'agit, en ce cas, d'une ablation presque complète, le fouet étant
coupé dès après la première phalange.
Les chiens dont on raccourcit la queue, sans l'amputer
complètement, appartiennent à des races naissant avec une queue longue
(terriers, caniches, spaniels, griffons d'arrêt, braques d'Auvergne, braques
français ; chez ces derniers, certains sujets naissent exceptionnellement
anoures ou brachyoures). Les bouledogues et apparentés-naissent, en général,
avec une queue courte naturelle.
Que cette opération soit commandée par l'esthétique (caniches
et terriers) ou pour pallier certains inconvénients en chasse (griffons et
braques précités), elle doit laisser subsister un fouet d'une certaine
longueur. En aucun cas, même si le standard est muet sur ce point, la queue ne
doit être tronquée au point de ne plus recouvrir les parties génitales,
auxquelles elle sert de protection. Les terriers, portant la queue redressée en
cierge, font exception à cette observation ; mais ne serait-ce pas par
sélection que l'on a obtenu ce port anormal ?
Quelle longueur faut-il laisser ? Que faut-il enlever ?
La plupart des standards le précisent, et, cependant, de nombreux éleveurs se
posent souvent la question, ou, ne se la posant pas, coupent, ou font couper, à
tort et à travers, plus qu'il ne faut en général.
On coupe trop, parce qu'opérant sur des chiots âgés de
quelques jours on ne se rend pas compte de la proportion. Le développement de
la queue ne suit pas la même progression que le reste du corps. Si le standard
indique d'enlever un tiers, l'opérateur a l'impression de ne pas écourter assez
et ce qu'il a laissé lui paraît hors de proportion avec ce que le fouet doit
être à l'âge adulte ; il est toujours tenté d'écourter davantage. Ceux qui
opèrent pour la première fois doivent se méfier d'une telle illusion ;
lorsque le chien grandit, la disproportion s'affaiblit et l'on s'étonne, à
l'âge adulte, de constater l'effet de cette amputation qui avait paru presque
insignifiante.
Je dis ceci surtout à l'intention des griffonniers. Le
standard du griffon à poil dur dit que le fouet « doit être généralement
écourté d'un tiers ou d'un quart ». Ce « généralement » semble
indiquer qu'un fouet non écourté ne doit pas faire éliminer dans les
expositions le chien qui en est nanti ; ce qui est logique, puisque la
race naît à queue longue et que, par conséquent, en ce cas, le défaut est sans
aucune conséquence pour l'élevage. Mais un quart, même un tiers, au moment de
l'opération paraît bien insuffisant ; alors, on coupe la moitié et, bien
souvent, même au-dessus. On voit ainsi beaucoup trop de griffons n'ayant plus
qu'un moignon de queue, qui les dépare et les fait paraître plus courts. Or les
photographies de chiens anciens, ceux de l'époque de Korthals, nous montrent
bien des queues descendant presque au jarret. La silhouette moderne nous fait
mieux accepter les fouets écourtés d'un tiers que d'un quart ; mais,
griffonniers, ne coupez jamais davantage, et, en tout cas, laissez toujours
légèrement plus de la moitié. N'interprétez pas le standard à l'envers ;
ne lisez pas : fouet écourté à un quart ou un tiers, mais d'un
quart ou d'un tiers ! Vos chiens y gagneront en esthétique. Chien près de
terre, à l'allure féline, presque setteriforme, le griffon d'arrêt ne
s'accommode pas d'un fouet tronqué trop court.
Le standard du braque d'Auvergne précise que la queue doit
être écourtée des deux tiers environ, la longueur à rechercher étant entre 0m,15,
et 0m,20. Ces dimensions sont difficiles à apprécier en opérant sur
un chiot ; mais, à l'inverse du griffon, le braque d'Auvergne doit être
écourté des deux tiers ; il faut ne laisser que le tiers de la queue. Le
fouet non écourté n'est pas un défaut éliminatoire, pour la même raison qu'il
ne doit pas l'être non plus chez le griffon, pas plus que chez les autres races
qui naissent à queue longue, n'ayant subi aucune mutation. Par contre, chez le
braque d'Auvergne, la queue courte de naissance est un motif de
disqualification. On peut, peut-être, y voir le corollaire de ce qui précède ;
mais cette disqualification paraît bien rigoureuse pour un braque, issu
certainement de la même souche ancestrale que ses deux proches cousins, le
braque français et le braque du Bourbonnais. Chez ceux-ci, en effet, il naît
quelquefois, chez le premier, et il naissait obligatoirement autrefois, chez le
second, des brachyoures et anoures.
Le standard du braque français indique : « queue
généralement écourtée, quoique la queue longue, si elle est bien portée, ne
soit pas un défaut, pas plus que la queue courte de naissance ». Voilà qui
est logique et rédigé par un auteur qui savait ce qu'il voulait dire, malgré
son apparente imprécision. Étant donné que dans la race il naît des chiens à la
queue courte naturelle et que, lorsque ce caractère fait défaut, on le provoque
artificiellement, il est logique de ne pas le considérer comme une tare. Mais,
puisque la plupart des sujets naissent néanmoins à queue longue et que ces
chiens sont uniquement destinés au travail, sélectionnant sur les
qualités pratiques, il est également logique de laisser l'éleveur couper le
fouet comme il le juge utile, ou ne pas le couper du tout.
Pratiquement, il convient néanmoins d'attirer l'attention
des amateurs de cette remarquable race sur leur tendance regrettable à amputer
les fouets trop courts. Ils devraient s'en tenir aux proportions édictées pour
le braque d'Auvergne. La même observation vaut aussi pour tous les autres
braques dérivés du braque français.
Il est superflu de rappeler que le braque de Saint-Germain
et le braque Dupuy, races artificielles à forte dose de sang pointer, naissent
toujours avec un fouet rappelant celui de ce dernier, qu'ils doivent conserver
entier.
Le standard du fox-terrier spécifie que le fouet doit être
coupé à moitié ; celui du cocker est muet sur ce point, comme celui de
bien d'autres races ; la logique, en ce cas, doit s'efforcer de concilier
l'utilité et l'harmonie.
De l'opération elle-même non seulement des néophytes, mais
aussi des éleveurs chevronnés s'exagèrent souvent le risque et la difficulté ;
à tel point que beaucoup n'osent la pratiquer eux-mêmes. Elle est pourtant à la
portée de tous, à condition d'opérer dès après la naissance. À l'âge de deux ou
trois jours, même dans les deux premières semaines, elle ne présente aucun
danger d'hémorragie, seul risque que l'on puisse craindre à un âge plus avancé.
Voici comment, alors, pratiquer cette amputation.
Faire tenir le chiot par un aide ; ligaturer la queue
avec une simple ficelle très légèrement au-dessus de l'endroit où l'on veut
couper; trancher au ras du lien avec des ciseaux de couturière préalablement
flambés à l'alcool ; tamponner la cicatrice avec du coton hydrophile
imbibé d'alcool pharmaceutique ; rendre le chiot à sa mère, qui léchera la
plaie et qui peut-être enlèvera le lien, ce dont il n'y a pas lieu de
s'inquiéter. C'est tout.
Si l'on opère à un âge plus avancé, et surtout si l'on veut
que le fouet amputé ne se présente pas sous l'aspect d'un bâton scié, mais
retrouve une forme normale, on peut appliquer la méthode préconisée par Pierre
Mégnin : « On commence par couper les poils au ras de l'endroit où
aura lieu la section, qu'on marque d'un trait au crayon ; au-dessus de ce
trait, on place un lien hémostatique pour prévenir l'hémorragie et qui n'est
autre qu'une ficelle nouée en nœud de saignée. On coupe aux ciseaux à l'endroit
marqué ; puis, la peau ayant une certaine mobilité sur le noyau, on la
repousse en haut le plus possible, de manière à faire saillir d'environ 1 centimètre
dudit noyau que l'on coupe encore. Puis on fait descendre la peau, qui forme alors un
véritable lambeau cylindrique. On en coud le bord en croix. On enlève le lien
hémostatique et tout est fini. La cicatrice qui suit promptement se recouvre
entièrement de poils, qui finissent par constituer un très beau pinceau ».
Pour pratiquer l'amputation dans de telles conditions (que
ne requièrent pas les chiens de chasse) il est préférable d'avoir recours à un
homme de l'art. L'intervention du médecin-vétérinaire est nécessaire, en tous
les cas, si l'on veut opérer un chien adulte, ce qui offre toujours quelques
risques et est cruel pour le patient. En opérant sur un jeune chiot, ce n'est
qu'un cartilage que l'on coupe ; sa sensibilité est peu développée et les
personnes les plus réfractaires à la chirurgie peuvent le faire, sans risque et
sans appréhension.
On peut, en principe, se rendre compte, par le toucher, si
une queue a été amputée ou si le chien est né brachyoure (ou anoure). Dans le
cas de l'amputation, la dernière vertèbre est de même grosseur que la
précédente, tandis qu'elle est, en général, atrophiée dans le cas contraire.
Mais, en pratique, il n'en est pas toujours ainsi, et il faut une certaine
pratique pour conclure avec certitude.
Ce qu'il convient de retenir c'est, tout d'abord, que le
naisseur peut faire cette opération lui-même avec simplicité, qu'en tous les
cas il doit la faire, ou la faire faire, le plus tôt possible et ne pas imposer
une opération plus sérieuse aux futurs propriétaires des chiots. En outre, il
doit se conformer aux indications du standard, si celui-ci en donne, et, si le
chien doit conserver un fouet de certaine longueur, il doit veiller à ne pas le
couper trop court.
Jean CASTAING.
(1) Voir Le Chasseur Français d'octobre 1952.
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