Ressasser un sujet n'est ni dans mes habitudes, ni dans
mes plaisirs ; cependant, celui-là est tel qu'il vaut bien une étude
finale.
Le cyclisme français a marqué, en 1952, une régression
inquiétante.
Tour de France ! Jeux Olympiques ! Championnats du
monde ! Triple Waterloo ...
Si l'on songe qu'à Helsinki un ministre se trouvait mélangé
aux officiels et s'impatientait au passage des routiers :
— Mais que font les Français ... vont-ils bientôt
attaquer ? Le stand de ravitaillement était transformé en P.C. de
commandement, en camp retranché, en bastion, sinon en parallèle de départ,
modèle 1916.
Que quelqu'un eût clamé :
— Baïonnette au canon !
Et nous n'eussions point été surpris ...
Attaquer !
Les Français tenaient tout juste les roues d'un peloton d'où
s'étaient échappés ceux qui devaient gagner, emmenés par le Belge Noyelle qui
allait être champion olympique.
Attaquer !
Pour attaquer, il faut avoir force, moral, foi ; et
disposer d'armes atomiques modèle 1952 ...
Lors le ministre soupirait :
— Ils devraient le faire pour la France ...
Le mot était jeté ...
Les grandes organisations-clefs se trouvent, à présent,
couronnées par un nationalisme que le président du Comité international
olympique en personne a, paraît-il, trouvé exagéré :
Plus d'hymnes nationaux ! Plus de montées des couleurs.
Son testament sportif contiendrait ce legs symbolique que
les cerveaux et les plumes ont apprécié différemment, soit qu'ils en retenaient
la sagesse fondamentale, soit qu'ils en extrayaient une jalousie préventive de
l'avenir, soit que leur patriotisme se trouve bien de la cocarde et de la
musique.
Posons la question :
Est-il bien que des événements sportifs importants prennent
l'aspect de batailles à l'issue desquelles les athlètes vaincus entraînent leur
pays dans la décadence et leurs dirigeants dans la disgrâce ?
Achille Joinard, président de la Fédération française de
Cyclisme, a été sifflé au Parc des Princes, uniquement parce qu'on le considère
comme le grand vaincu d'Helsinki, alors qu'en vérité il fut le grand vainqueur
de Londres en 1948 avec des hommes sélectionnés par lui, comme il l'eût été en
1952, si on n'avait pas compliqué sa tâche et sa mission (celles aussi de sa
Fédération) et si les directives d'ordre sportif n'avaient point été
contrariées par des querelles intestines, exactement comme en politique.
Pas de médailles olympiques ... ou une si petite pour
une troisième place par équipes sur la route ...
Pas de maillots arc-en-ciel ...
Pas de vainqueur total dans le Tour de France, épreuve phare ...
Une opinion extrêmement intéressante a été fournie récemment
sur notre déficience cycliste, au moins en ce qui concerne les routiers. Il
paraîtrait que l'état de nos routes est trop satisfaisant et que leur profil
général n'est pas assez tourmenté pour permettre un entraînement efficace de
nos coureurs, en dehors des régions montagneuses.
Il paraît aussi que notre soleil est trop tiède pour
caresser les échines de nos pistards. D'où la suprématie italienne.
Or cette suprématie italienne fut moins établie en 1952 qu'auparavant,
si l'on considère l'ensemble.
Dans deux finales de poursuite des championnats du monde, de
Rossi et Bevilacqua furent proprement battus par Van Heusden et Patterson.
Nous croirions plutôt à une suprématie des rares athlètes
pour qui la formation physique de l'individu entre dans des considérations
d'ordre pratique.
Hollandais, Australiens notamment.
Ne versons aucun pleur et travaillons.
C'est quand tout va mal que tout peut aller mieux.
Un malade va vers la santé ... à défaut de la mort ...
Nous fûmes, d'ailleurs — comme en 1951 avec Bellenger — très
près de voir un titre de vitesse professionnel attribué à la France ;
encore qu'il s'agissait d'un champion plus que consommé en la personne de Senfftleben,
le plus bel athlète cycliste français.
Le Suisse Plattner avait éliminé définitivement l'Anglais
Harris (archi-battu après avoir simulé un accident) et Van Vliet ; le
Hollandais Derksen avait triomphé de Patterson et Senfftleben, ceci pour les
demi-finales ; Senfftleben, de son côté — en repêchage, — avait
défait Van Vliet, Harris et Patterson.
La finale réunissait donc le Suisse Plattner, notre
compatriote Senfftleben et le Hollandais Derksen, ces deux derniers adversaires
féroces depuis 1946 où, à Zurich, un accrochage envoya Senfftleben dans le
décor alors qu'il était en passe de devenir champion du monde.
Leur match reprit donc au Parc des Princes, six années plus
tard. Ils eurent tort de négliger Plattner, de recommencer trop tôt leur coude
à coude et, surtout, de courir tellement près qu'on pouvait dire d'eux qu'ils
étaient « l'un sur l'autre ».
Alors, dans la ligne droite, l'extraordinaire bonhomme
qu'est le Suisse passa en trombe. Le troisième homme justifiait son utilité.
Il était champion du monde.
La performance, très belle en soi, vaut mieux encore du fait
que Plattner devait en octobre courir ... Paris-Tours ... Du fait
qu'en 1946 il fut champion du monde de vitesse amateur, manquant de très peu de
l'être sur la route quelques jours après ...
Le phénoménal Australien M. Patterson, qui, un jour,
aura peut-être été champion dans toutes les spécialités, a en Plattner un
émule.
Il n'est, évidemment, que les Français pour n'avoir point
été gâtés ... eux qui se sont consolés par le repêchage de Lemoine (42
ans) et de Lesueur (39 ans), en demi-fond, pour une finale où ils ne purent
rien contre le Belge Verschueren, qui avait pour lui un large bénéfice de l'âge ...
recherche que devra poursuivre le cyclisme français en développant
athlétiquement et moralement ses jeunes coureurs. Les Thomas, Michel, Anquetil
et Cie qui, dans le Championnat du monde sur route des amateurs, se
sont bien comportés, comme Varnajo chez les professionnels, doivent faire
école.
Éducateurs et entraîneurs, d'une part, sélectionneur unique
par spécialité : telles sont les deux mamelles futures de la Fédération
française de Cyclisme si elle veut sportivement remonter le courant dans le
concert international.
René CHESAL.
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