Le dribbling, du temps du football « amateur »,
était la base de l'éducation et de la sélection des joueurs, qui l’élevaient à
la hauteur d'un art. Il a fait la célébrité des Bard, des Dewaquez, des Dubly,
Boyer et autres grands attaquants, et la joie des dimanches de toute une
génération de spectateurs enthousiasmés par les exhibitions de ces grands
artistes, qui maniaient la balle comme un jongleur, presque comme un
illusionniste. Certes, on cherchait alors, comme dans tout sport de
compétition, à gagner, mais on apportait un égal souci à l'élégance du
spectacle.
Aujourd'hui, le dribbling est sifflé par le public. La bombe
atomique a remplacé les combats chevaleresques ; quand on peint, on n'a
plus le temps de dessiner ; quand on roule, on n'a plus le temps de voir
le paysage ; et, si j'ose m'exprimer ainsi : quand on joue, on n'a
plus le droit de s'amuser. On ne joue que pour gagner, on est payé pour cela,
on est professionnel ou on ne l'est pas !
Évidemment, quand il s'agit de « faire du rendement »,
la théorie se défend, et, du point de vue purement mécanique, il est évident
qu'une balle seule, si elle est bien dirigée et si quelqu'un est démarqué pour
la recevoir (car toute la question est là), parviendra plus vite et plus
facilement à destination qu'une balle accompagnée d'un homme, tout en dépensant
moins d'énergie.
D'autre part, il est très difficile et il n'est pas donné à
tout le monde d'être un bon dribbleur, c'est-à-dire un artiste.
Si bien que la règle unanimement adoptée par les entraîneurs
d'aujourd'hui est la suivante : « Ne jamais essayer de dribbler un
adversaire qu'on peut battre au moyen d'une passe précise. »
Et cette règle est logique, dans la conception actuelle du
football et du professionnalisme.
Entre ces deux tendances, faisons le juste milieu. Il est
évident que l'abus du dribbling dans le but de divertir le public et de se
divertir soi-même dans un exercice de haute école est nuisible au jeu d'équipe,
aujourd'hui où les formations sont homogènes et où, les onze joueurs étant de force
sensiblement égale, il n'y a plus de place pour deux ou trois vedettes qui
dribblent pendant que les huit autres les regardent et les envient.
Mais, pratiqué avec mesure et opportunité, le dribbling
conserve tout son intérêt, et nous en possédons, heureusement encore de
brillants spécialistes.
Voici, par exemple, quelques cas dans lesquels un bon
dribbleur peut être très efficace :
- de temps à autre et par surprise, pour percer seul
si, sur faute de marquage de l'adversaire, une surface libre se présente devant
lui en direction du but ;
- contre une défense qui joue systématiquement l'off-side,
et que l'on oblige ainsi à changer de tactique ;
- pour feinter la défense près du but lorsqu'elle
s'apprête à intercepter ce qu'elle croit devoir être une passe, et se mettre
ainsi en bonne position pour shooter ;
- pour amorcer une attaque, par exemple de demi qui
attire le demi adverse pour démarquer son inter et laisser ainsi l'arrière
adverse seul devant trois ou quatre attaquants.
Car, ce qu'oublient les adversaires systématiques du
dribbling, c'est que, si celui-ci ralentit passagèrement l'attaque, il freine
aussi l'action de l'adversaire obligé de se préoccuper de vous neutraliser et
d'abandonner sa propre construction d'offensive.
Toutes ces tactiques sont très efficaces à condition qu'on
n'en use pas trop souvent et qu'elles conservent leur effet de surprise et de
désorganisation de la tactique adverse.
Aussi ne saurions-nous trop conseiller aux joueurs doués des
qualités d'adresse et de finesse nécessaire de travailler leur entraînement au
dribbling.
Une excellente méthode consiste à s'entraîner à conduire la
balle « dans sa foulée » et en ligne droite, le long de la ligne de
touche par exemple, en la dirigeant d'abord avec le bord interne du pied, puis
— ce qui est plus difficile mais permet beaucoup plus de finesse — avec
le bord externe. Puis de s'exercer aux feintes par des changements de pied, et
des « ruses » de corps et de jambes, réalisées à toute vitesse, et
qui deviendront vite automatiques et presque inconscientes si le sujet est
doué. Il sera alors capable de dribbler à toute vitesse, des deux pieds, en
changeant, selon l'obstacle à franchir, de pied, de rythme, de direction, afin
de feinter l'adversaire, et avec d'autant plus d'efficacité que les bons
dribbleurs sont devenus relativement rares.
Enfin, en partant pour un dribbling aussi bien qu'en
s'apprêtant à faire une passe, regarder le jeu et bien savoir où l'on désire
aller et ce que l'on veut faire. Et c'est cela que, dans un cas comme dans
l'autre, les jeunes joueurs oublient le plus souvent.
Dr Robert JEUDON.
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