Accueil  > Années 1952  > N°669 Novembre 1952  > Page 668 Tous droits réservés

Football

Le dribbling

Le dribbling, du temps du football « amateur », était la base de l'éducation et de la sélection des joueurs, qui l’élevaient à la hauteur d'un art. Il a fait la célébrité des Bard, des Dewaquez, des Dubly, Boyer et autres grands attaquants, et la joie des dimanches de toute une génération de spectateurs enthousiasmés par les exhibitions de ces grands artistes, qui maniaient la balle comme un jongleur, presque comme un illusionniste. Certes, on cherchait alors, comme dans tout sport de compétition, à gagner, mais on apportait un égal souci à l'élégance du spectacle.

Aujourd'hui, le dribbling est sifflé par le public. La bombe atomique a remplacé les combats chevaleresques ; quand on peint, on n'a plus le temps de dessiner ; quand on roule, on n'a plus le temps de voir le paysage ; et, si j'ose m'exprimer ainsi : quand on joue, on n'a plus le droit de s'amuser. On ne joue que pour gagner, on est payé pour cela, on est professionnel ou on ne l'est pas !

Évidemment, quand il s'agit de « faire du rendement », la théorie se défend, et, du point de vue purement mécanique, il est évident qu'une balle seule, si elle est bien dirigée et si quelqu'un est démarqué pour la recevoir (car toute la question est là), parviendra plus vite et plus facilement à destination qu'une balle accompagnée d'un homme, tout en dépensant moins d'énergie.

D'autre part, il est très difficile et il n'est pas donné à tout le monde d'être un bon dribbleur, c'est-à-dire un artiste.

Si bien que la règle unanimement adoptée par les entraîneurs d'aujourd'hui est la suivante : « Ne jamais essayer de dribbler un adversaire qu'on peut battre au moyen d'une passe précise. »

Et cette règle est logique, dans la conception actuelle du football et du professionnalisme.

Entre ces deux tendances, faisons le juste milieu. Il est évident que l'abus du dribbling dans le but de divertir le public et de se divertir soi-même dans un exercice de haute école est nuisible au jeu d'équipe, aujourd'hui où les formations sont homogènes et où, les onze joueurs étant de force sensiblement égale, il n'y a plus de place pour deux ou trois vedettes qui dribblent pendant que les huit autres les regardent et les envient.

Mais, pratiqué avec mesure et opportunité, le dribbling conserve tout son intérêt, et nous en possédons, heureusement encore de brillants spécialistes.

Voici, par exemple, quelques cas dans lesquels un bon dribbleur peut être très efficace :

  • de temps à autre et par surprise, pour percer seul si, sur faute de marquage de l'adversaire, une surface libre se présente devant lui en direction du but ;
  • contre une défense qui joue systématiquement l'off-side, et que l'on oblige ainsi à changer de tactique ;
  • pour feinter la défense près du but lorsqu'elle s'apprête à intercepter ce qu'elle croit devoir être une passe, et se mettre ainsi en bonne position pour shooter ;
  • pour amorcer une attaque, par exemple de demi qui attire le demi adverse pour démarquer son inter et laisser ainsi l'arrière adverse seul devant trois ou quatre attaquants.

Car, ce qu'oublient les adversaires systématiques du dribbling, c'est que, si celui-ci ralentit passagèrement l'attaque, il freine aussi l'action de l'adversaire obligé de se préoccuper de vous neutraliser et d'abandonner sa propre construction d'offensive.

Toutes ces tactiques sont très efficaces à condition qu'on n'en use pas trop souvent et qu'elles conservent leur effet de surprise et de désorganisation de la tactique adverse.

Aussi ne saurions-nous trop conseiller aux joueurs doués des qualités d'adresse et de finesse nécessaire de travailler leur entraînement au dribbling.

Une excellente méthode consiste à s'entraîner à conduire la balle « dans sa foulée » et en ligne droite, le long de la ligne de touche par exemple, en la dirigeant d'abord avec le bord interne du pied, puis — ce qui est plus difficile mais permet beaucoup plus de finesse — avec le bord externe. Puis de s'exercer aux feintes par des changements de pied, et des « ruses » de corps et de jambes, réalisées à toute vitesse, et qui deviendront vite automatiques et presque inconscientes si le sujet est doué. Il sera alors capable de dribbler à toute vitesse, des deux pieds, en changeant, selon l'obstacle à franchir, de pied, de rythme, de direction, afin de feinter l'adversaire, et avec d'autant plus d'efficacité que les bons dribbleurs sont devenus relativement rares.

Enfin, en partant pour un dribbling aussi bien qu'en s'apprêtant à faire une passe, regarder le jeu et bien savoir où l'on désire aller et ce que l'on veut faire. Et c'est cela que, dans un cas comme dans l'autre, les jeunes joueurs oublient le plus souvent.

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 668