Il est admis que tout ce qu'on peut ajouter à une chose
parfaite lui enlève une qualité.
La natation n'étant pas un sport parfait, mais un sport
complet, ce n'est pas diminuer ses qualités que de dire que la natation
conjuguée avec l'art de la plongée constitue un sport parfait. La plongée
ajoute en effet à la culture purement physique l'exercice de facultés mentales :
attention, maîtrise de soi, sang-froid, circonspection.
En terminant notre précédente causerie, nous posions qu'en
matière de plongée circonspection égale efficience, et ce n'est pas sans
raison. En dehors de tentatives de record et d'expériences scientifiquement
réglées dans un but déterminé, la valeur d'une plongée ne se mesure pas
uniquement à la profondeur atteinte, mais encore et surtout au travail que le
plongeur peut fournir au fond, que ce travail soit représenté par une action de
chasse ou qu'il consiste en une opération quelconque du corps ou de l'esprit :
recherche et identification d'un objet, amarrage d'une épave, observation d'un phénomène,
etc.
Or c'est seulement en mesurant bien ses possibilités propres
et en les ménageant raisonnablement que le plongeur peut les utiliser avec le
plus d'efficacité. Il acquiert ainsi, en outre, un sentiment permanent de
sécurité sans lequel la coordination de ses efforts est presque impossible.
Enfin, et ce n'est pas le moindre avantage d'une attitude
prudente et modeste, il peut ainsi progressivement améliorer ses moyens.
Par exemple : nous avons dit, et nous ne saurions trop
y insister, que, dès que la pression de l'eau sur les tympans commence à
devenir pénible, le plongeur doit s'abstenir de descendre plus profondément,
sous peine d'accidents douloureux.
Selon la complexion des individus, le niveau à partir duquel
cette sensation se produit est très variable ; certains ne la ressentent
qu'à six mètres, d'autres à trois mètres seulement, et parfois moins.
Si le plongeur a la sagesse de limiter pendant quelque temps
ses évolutions à son niveau optimum propre, il s'apercevra bientôt que la gêne
s'atténue et que, par conséquent, il lui est possible d'aller un peu plus
profondément. En procédant de même au nouveau niveau ainsi atteint, il
améliorera encore sa performance par paliers successifs jusqu'à un maximum qui,
pour borné qu'il soit, n'en sera pas moins sensiblement éloigné de la limite de
début. Et cet entraînement progressif doit être strictement observé à chaque
commencement de saison de chasse sous-marine.
L'accroissement du champ d'action du plongeur s'explique non
seulement par l'effet de l'entraînement, mais aussi par un phénomène
d'adaptation au milieu par accoutumance ; et rien ne peut remplacer cela.
Peu à peu les tympans s'assouplissent en même temps qu'ils se renforcent, de
telle sorte qu'ils résistent à des pressions plus élevées sans atteindre la
tension pénible à partir de laquelle une rupture serait à craindre.
Ainsi, en faisant appel une fois encore à un symbole
mythologique, constatons que, si la boîte de Pandore renferme en puissance bien
des maux, elle contient tout au fond l'espérance, et puisque Pandore aussi il y
a dans la chanson de Nadaud, rappelons par association d'idées que le
commencement de la sagesse c'est la peur du gendarme, qui, en l'occurrence,
frotterait les oreilles au présomptueux.
Le plongeur aura d'ailleurs l'occasion de s'apercevoir que
l'adaptation graduelle au milieu sous-marin développe chez lui une sorte de
sixième sens, mais c'est un sujet sur lequel il serait hors de propos de
s'étendre pour le moment.
Si nous prenons comme critère de la valeur d'une plongée son
aspect efficient, c'est que faire un saut plus ou moins spectaculaire dans
l'eau et plonger dans le but d'attraper des poissons ou d'explorer le fond de
la mer sont deux choses absolument différentes.
Le nageur qui fait un plongeon du haut d'un tremplin ou en
partant du pont d'un bateau ne vise pas à faire un séjour prolongé sous l'eau ;
au contraire, il freine le plus possible sa descente dans l'élément liquide
afin de remonter en surface promptement.
Le chasseur sous-marin, lui, ne peut penser à prendre un
élan, gêné qu'il serait d'ailleurs par son équipement et ses armes. D'autre
part, à l'inverse du premier, son objectif immédiat est de demeurer sous l'eau
le plus longtemps qu'il peut.
En bref, le plongeur-sauteur fait sa démonstration hors de
l'eau, dans l'air, alors que le plongeur sous-marin fait la sienne en dessous
de la surface de l'eau. Il en résulte que ce dernier doit descendre par ses
propres moyens, c'est-à-dire en principe en nageant.
Mais ce ne sont pas là les seules différences ; le chasseur
sous-marin doit entrer dans l'eau en ne faisant absolument aucun bruit, en
s'efforçant même d'agiter l'eau le moins possible, car c'est de cela que
dépendra en grande partie le succès de son expédition. Il doit exactement se
glisser précautionneusement dans l'élément liquide, « mine de rien »
comme dirait l'Adémar du délicieux Noël-Noël.
On peut presque dire que, pour le chasseur sous-marin, il y
a un véritable art de la mise à l'eau.
Et pourquoi toutes ces précautions ?
Eh bien ! voici deux exemples qui vous édifieront
peut-être.
Nous connaissons un chasseur très amateur de sauvagine et
qui, au surplus, a chassé longtemps dans des pays lointains où l'utilisation
d'un chien est pratiquement inconnue. Dressé à ces deux écoles, il parcourt la
campagne en se défilant au long des haies et parmi les arbres, en faisant à peu
près autant de bruit qu'une ombre. Le résultat est qu'il lui arrive de
rencontrer du gibier « là où il n'y en a pas », entendons-nous, là où
il n'y en a pas pour ceux qui vont à travers champs et bois, en s'interpellant,
en morigénant leurs chiens, en cassant les branches sous leurs talons, etc. Il
est si attaché à cette pratique que, bien qu'adorant les chiens (il parle avec
attendrissement d'un certain setter du nom de « Zip » dont il avait
entrepris le dressage), il la préfère à toute autre, quoiqu'elle ne soit pas
sans défaut ni d'ailleurs sans risques ...
Deuxième exemple : les jeunes intrépides du Kon-Tiki,
ce radeau de treize mètres qui a récemment traversé l'océan Pacifique du Pérou
en Polynésie, rapportent qu'ils étaient continuellement entourés d'animaux
marins de toutes sortes, depuis les poissons volants jusqu'aux baleines, et
cela dans des régions de l'océan où jusqu'ici on prétendait qu'on ne pouvait en
rencontrer. La raison, les hardis navigateurs la donnent eux-mêmes : ils
avançaient doucement et sans bruit.
En conclusion, la règle d'or du chasseur sous-marin doit
être le silence et la souplesse d'action, surtout au moment d'entrer dans
l'eau.
L'eau est un milieu résistant particulièrement propre à
transmettre les moindres vibrations ; en outre, les animaux marins sont
pourvus de sens extrêmement subtils, dont notamment la fameuse « ligne
latérale », sur le rôle exact de laquelle on est encore mal renseigné.
Parfois c'est en se mettant à l'eau qu'on découvre sa
première proie ; il nous est arrivé ainsi une fois, en Corse, d'en trouver
une qui dépassait même nos espérances : elle avait deux mètres de long et
appartenait à la peu engageante espèce des requins bleus. Mais cela c'est une
autre histoire, comme aurait dit le poète des Sept mers.
Henri CHENEVÉE,
Directeur du Centre d'Études sous-marines.
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