Accueil  > Années 1952  > N°669 Novembre 1952  > Page 670 Tous droits réservés

Le sport sous-marin

Au fond de la boîte de Pandore

Il est admis que tout ce qu'on peut ajouter à une chose parfaite lui enlève une qualité.

La natation n'étant pas un sport parfait, mais un sport complet, ce n'est pas diminuer ses qualités que de dire que la natation conjuguée avec l'art de la plongée constitue un sport parfait. La plongée ajoute en effet à la culture purement physique l'exercice de facultés mentales : attention, maîtrise de soi, sang-froid, circonspection.

En terminant notre précédente causerie, nous posions qu'en matière de plongée circonspection égale efficience, et ce n'est pas sans raison. En dehors de tentatives de record et d'expériences scientifiquement réglées dans un but déterminé, la valeur d'une plongée ne se mesure pas uniquement à la profondeur atteinte, mais encore et surtout au travail que le plongeur peut fournir au fond, que ce travail soit représenté par une action de chasse ou qu'il consiste en une opération quelconque du corps ou de l'esprit : recherche et identification d'un objet, amarrage d'une épave, observation d'un phénomène, etc.

Or c'est seulement en mesurant bien ses possibilités propres et en les ménageant raisonnablement que le plongeur peut les utiliser avec le plus d'efficacité. Il acquiert ainsi, en outre, un sentiment permanent de sécurité sans lequel la coordination de ses efforts est presque impossible.

Enfin, et ce n'est pas le moindre avantage d'une attitude prudente et modeste, il peut ainsi progressivement améliorer ses moyens.

Par exemple : nous avons dit, et nous ne saurions trop y insister, que, dès que la pression de l'eau sur les tympans commence à devenir pénible, le plongeur doit s'abstenir de descendre plus profondément, sous peine d'accidents douloureux.

Selon la complexion des individus, le niveau à partir duquel cette sensation se produit est très variable ; certains ne la ressentent qu'à six mètres, d'autres à trois mètres seulement, et parfois moins.

Si le plongeur a la sagesse de limiter pendant quelque temps ses évolutions à son niveau optimum propre, il s'apercevra bientôt que la gêne s'atténue et que, par conséquent, il lui est possible d'aller un peu plus profondément. En procédant de même au nouveau niveau ainsi atteint, il améliorera encore sa performance par paliers successifs jusqu'à un maximum qui, pour borné qu'il soit, n'en sera pas moins sensiblement éloigné de la limite de début. Et cet entraînement progressif doit être strictement observé à chaque commencement de saison de chasse sous-marine.

L'accroissement du champ d'action du plongeur s'explique non seulement par l'effet de l'entraînement, mais aussi par un phénomène d'adaptation au milieu par accoutumance ; et rien ne peut remplacer cela. Peu à peu les tympans s'assouplissent en même temps qu'ils se renforcent, de telle sorte qu'ils résistent à des pressions plus élevées sans atteindre la tension pénible à partir de laquelle une rupture serait à craindre.

Ainsi, en faisant appel une fois encore à un symbole mythologique, constatons que, si la boîte de Pandore renferme en puissance bien des maux, elle contient tout au fond l'espérance, et puisque Pandore aussi il y a dans la chanson de Nadaud, rappelons par association d'idées que le commencement de la sagesse c'est la peur du gendarme, qui, en l'occurrence, frotterait les oreilles au présomptueux.

Le plongeur aura d'ailleurs l'occasion de s'apercevoir que l'adaptation graduelle au milieu sous-marin développe chez lui une sorte de sixième sens, mais c'est un sujet sur lequel il serait hors de propos de s'étendre pour le moment.

Si nous prenons comme critère de la valeur d'une plongée son aspect efficient, c'est que faire un saut plus ou moins spectaculaire dans l'eau et plonger dans le but d'attraper des poissons ou d'explorer le fond de la mer sont deux choses absolument différentes.

Le nageur qui fait un plongeon du haut d'un tremplin ou en partant du pont d'un bateau ne vise pas à faire un séjour prolongé sous l'eau ; au contraire, il freine le plus possible sa descente dans l'élément liquide afin de remonter en surface promptement.

Le chasseur sous-marin, lui, ne peut penser à prendre un élan, gêné qu'il serait d'ailleurs par son équipement et ses armes. D'autre part, à l'inverse du premier, son objectif immédiat est de demeurer sous l'eau le plus longtemps qu'il peut.

En bref, le plongeur-sauteur fait sa démonstration hors de l'eau, dans l'air, alors que le plongeur sous-marin fait la sienne en dessous de la surface de l'eau. Il en résulte que ce dernier doit descendre par ses propres moyens, c'est-à-dire en principe en nageant.

Mais ce ne sont pas là les seules différences ; le chasseur sous-marin doit entrer dans l'eau en ne faisant absolument aucun bruit, en s'efforçant même d'agiter l'eau le moins possible, car c'est de cela que dépendra en grande partie le succès de son expédition. Il doit exactement se glisser précautionneusement dans l'élément liquide, « mine de rien » comme dirait l'Adémar du délicieux Noël-Noël.

On peut presque dire que, pour le chasseur sous-marin, il y a un véritable art de la mise à l'eau.

Et pourquoi toutes ces précautions ?

Eh bien ! voici deux exemples qui vous édifieront peut-être.

Nous connaissons un chasseur très amateur de sauvagine et qui, au surplus, a chassé longtemps dans des pays lointains où l'utilisation d'un chien est pratiquement inconnue. Dressé à ces deux écoles, il parcourt la campagne en se défilant au long des haies et parmi les arbres, en faisant à peu près autant de bruit qu'une ombre. Le résultat est qu'il lui arrive de rencontrer du gibier « là où il n'y en a pas », entendons-nous, là où il n'y en a pas pour ceux qui vont à travers champs et bois, en s'interpellant, en morigénant leurs chiens, en cassant les branches sous leurs talons, etc. Il est si attaché à cette pratique que, bien qu'adorant les chiens (il parle avec attendrissement d'un certain setter du nom de « Zip » dont il avait entrepris le dressage), il la préfère à toute autre, quoiqu'elle ne soit pas sans défaut ni d'ailleurs sans risques ...

Deuxième exemple : les jeunes intrépides du Kon-Tiki, ce radeau de treize mètres qui a récemment traversé l'océan Pacifique du Pérou en Polynésie, rapportent qu'ils étaient continuellement entourés d'animaux marins de toutes sortes, depuis les poissons volants jusqu'aux baleines, et cela dans des régions de l'océan où jusqu'ici on prétendait qu'on ne pouvait en rencontrer. La raison, les hardis navigateurs la donnent eux-mêmes : ils avançaient doucement et sans bruit.

En conclusion, la règle d'or du chasseur sous-marin doit être le silence et la souplesse d'action, surtout au moment d'entrer dans l'eau.

L'eau est un milieu résistant particulièrement propre à transmettre les moindres vibrations ; en outre, les animaux marins sont pourvus de sens extrêmement subtils, dont notamment la fameuse « ligne latérale », sur le rôle exact de laquelle on est encore mal renseigné.

Parfois c'est en se mettant à l'eau qu'on découvre sa première proie ; il nous est arrivé ainsi une fois, en Corse, d'en trouver une qui dépassait même nos espérances : elle avait deux mètres de long et appartenait à la peu engageante espèce des requins bleus. Mais cela c'est une autre histoire, comme aurait dit le poète des Sept mers.

Henri CHENEVÉE,

Directeur du Centre d'Études sous-marines.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 670