Depuis une trentaine d'années, on constate que les petits
oiseaux (ceux de l'ordre des passereaux) sont en diminution constante.
Parallèlement, la quantité d'insectes nuisibles augmente
dans des proportions inquiétantes.
La presse spécialisée ou non en fait périodiquement mention.
De plus, quand on parle avec des gens de la terre, nés vers la fin du siècle
dernier, ils vous disent : « De mon temps, je me rappelle ... »
et vous citent telles espèces qui peuplaient arbres et buissons et devenues
plus rares aujourd'hui.
« La Ligue française pour la Protection des Oiseaux » a
fort bien démontré le péril de la disparition de ceux-ci,
dans le n°665 de juillet dernier du Chasseur Français, page 427.
Tout ce qu'elle écrit est, hélas ! l'exacte vérité, et
il est regrettable que cette Ligue n'ait pas les moyens financiers nécessaires
pour « inonder » (c'est le mot) les murs des habitations de nos
communes rurales et de leurs hameaux.
En ce qui nous concerne, nous retiendrons que la vigne
souffre de la disparition des oiseaux cités à la première ligne.
Certes, on a détruit les oiseaux de tout temps ; il
suffit de lire certains écrits du XIXesiècle pour constater que des
citadins n'hésitaient pas à se rendre à la
campagne pour y faire quelques hécatombes de « becs-figues », selon
le terme usité alors. Mais le nombre des oiseaux était tel que ces saignées ne
paraissaient pas avoir d'inconvénients. On se demande aujourd'hui si ces
chasses inconsidérées ne sont pas à l'origine du dépeuplement actuel.
On a incriminé les phares côtiers, mais les passereaux
migrateurs voyagent surtout de jour.
Pour certaines espèces, on a supposé la disparition de
certaines cultures, mais cela n'intéresse pas toutes les familles de granivores
et pas du tout les insectivores.
On a pensé aux chats domestiques, mais leurs dégâts sont
minimes. Une cause plus certaine de la disparition des oiseaux est l'usage des
arséniates. Alors que nous avons actuellement des insecticides qui les valent,
les Pouvoirs publics devraient en interdire l'emploi.
Mais le véritable destructeur de l'oiseau est l'homme, qui
les supprime par tous les moyens : l'arme à feu, le collet, le filet, la
glu et, par temps de neige, la trappe et autres engins prohibés.
Parmi ces destructeurs, les petits garçons ont la première
place.
Combien de fois n'avons-nous pas été témoins de la scène
suivante : un ou plusieurs garçons apportent des oisillons qu'ils viennent
de dénicher, et ce à la grande satisfaction des parents. Oh ! bien sûr, on
les élèvera et on leur prépare tout de suite un abri à cet effet. Puis, un beau
jour, le dénicheur oublie de les alimenter, et la nichée meurt dans son nid de
fortune ou plutôt d'infortune. Cet âge « sans pitié » déniche même
l'hirondelle, compagne de nos logis pendant la belle saison, qui nous distrait par
son « gazouillis », véritable chauve-souris de jour qui attrape avec
ses joues gluantes : moucherons, phalènes, teignes, cousins, scarabées,
etc.
Vous lisez bien, vigneron, l'hirondelle vous débarrasse des
phalènes et autres congénères ; ménagères, elle vous supprime teignes,
cousins et moustiques.
Savez-vous, enfin, enfants terribles et parents
bienveillants, que la mésange que vous dénichez, et qui a une nombreuse
famille, mange, par an, trois cent mille œufs d'insectes (nous répétons :
300.000 œufs) ? La destruction des autres espèces d'insectivores est du
même ordre.
N'oubliez pas non plus que les oiseaux granivores, dont le
plus commun est le moineau, baptisé « pillard » dans certaines
régions, ne peuvent nourrir leurs petits qu'avec des vers ou des chenilles !
Parmi ces granivores, un certain nombre d'espèces sont
migrateurs et ne viennent chez nous que pour se reproduire ; d'autres,
sédentaires ou non, vous débarrassent de mauvaises graines.
On ne se gêne pas pour détruire les oiseaux au fusil. Dame !
il faut bien rapporter quelque chose !
Nous avons entendu en période de chasse cette conversation
qui doit être la même un peu partout :
— Eh bien ! Philémon, as-tu été heureux ?
— Euh ! J'ai raté un capucin, mais je rapporte un
merle et un pic-vert.
— Enfin !
Et la conversation continue, souvent dans l'idiome local.
Tuer un merle, le grand nettoyeur de larves de nos jardins
et des haies, et le pic-vert, garde forestier incomparable. Il sonde du bec les
arbres malades, cherche les larves, sous les écorces vermoulues, qu'il fait
sauter ou, sinon, par des coups répétés, effraye ces larves, qui gagnent la
face opposée de l'arbre où l'oiseau les attend. À la façon des fourmiliers, il
est aussi grand mangeur de fourmis.
Un autre de la même famille des grimpereaux, la sittelle,
de la grosseur d'un moineau, dos cendré bleuâtre, visite les écorces des arbres
dans tous les sens et toutes les positions, Bien peu d'insectes ou de larves
échappent à des recherches aussi minutieuses.
Il vous appartient à vous, parents, et à vous seuls, de
réagir, en interdisant à vos enfants le dénichage et l'emploi des « lance-pierres »,
appelés « tirs » dans certaines régions, ainsi que l'emploi de tous
les engins prohibés.
Lorsque vous aurez fait acte d'autorité, vous aurez un excellent
auxiliaire dans le maître d'école et aussi dans le premier magistrat de votre
commune, car la loi interdit la destruction des oiseaux utiles à l'agriculture,
et cela ne l'oubliez pas.
Par contre, encouragez la destruction des pies, des
pies-grièches, et soyez impitoyables pour les rapaces diurnes, dont
l'émerillon, lequel est la terreur des oiseaux.
Respectez les rapaces nocturnes, chouettes et hiboux, ils
sont vos auxiliaires.
Mais il ne suffit pas d'arrêter leur destruction, il faut
aussi les protéger contre leurs autres ennemis et les nourrir pendant la
mauvaise saison.
Les esprits impartiaux reconnaissent que nos voisins de
l'Est ont le culte de l'arbre et de l'oiseau. Il faut avoir vécu chez eux pour
s'apercevoir de l'un et de l'autre.
Nous avons vu dans le jardin public d'une ville, jardin
planté de gros arbres, des nichoirs constitués comme suit : dans un
morceau de tronc d'arbre, on creuse un évidement assez profond, puis sur le
côté, près de la partie supérieure, un trou communiquant avec cet évidement,
lequel est obturé avec un morceau de planche coupé au carré et maintenu avec
deux pointes.
Le nichoir est fixé sur le tronc de l'arbre, à l'aide d'un
feuillard, et au-dessous des branches charpentières face au nord-est.
Nous avons dénombré environ six tailles de ces nichoirs,
tant au diamètre du tronc utilisé qu'à celui de l'ouverture latérale. Le plus
petit pouvait servir à un oiseau de la taille du troglodyte, le plus grand à
celui d'un merle.
Nous avons vu de semblables appareils dans un bois de pins
transformé en nécropole.
En ce qui concerne l'alimentation des petits oiseaux pendant
la saison froide, nous avons vu deux dispositifs :
Le premier est constitué par une table rectangulaire de 0m,60
sur 0m,50 environ, avec rebords, et fixée sur un piquet de 0m,80 environ.
Cette table est recouverte par un toit à quatre pentes en
verre, toit plus grand que la table et disposé de façon à former avec celle-ci
une chicane sur les quatre faces. De cette manière, seuls les petits oiseaux
peuvent accéder à la table où est posée leur nourriture ; elle interdit,
par contre, le passage des pigeons et oiseaux de même grosseur.
Le second dispositif est constitué par une boîte en fer
cubique sans couvercle, en position renversée ; à l'intérieur, est fixé
solidement un pain de tourteau. Une petite balançoire permet à l'oiseau de
picoter sa provende. Le tout fixé à 3 mètres du sol environ, sur un arbre.
Nous ne prétendons pas que de pareilles installations
n'existent pas en France, mais nous n'en avons jamais vu et n'en avons jamais
lu aucune description.
Nous terminons par cette sentence que nous avons lue, il y a
quelque vingt ans, sur un livre d'Histoire naturelle destiné aux écoles
primaires :
Celui qui détruit l'oiseau commet une mauvaise action
doublée d'une sottise.
Vignerons, méditez cette sentence, et, si vous ne réagissez
pas, comme l'écrit justement la « Ligue », vos descendants boiront de
l'eau rougie en place de vin.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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