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Causerie vétérinaire

La diphtérie des pigeons et des poules

Les éleveurs de poules et de pigeons nous sauront certainement gré de leur faire connaître les progrès réalisés dans l'étude bactériologique de la diphtérie aviaire, ainsi que le procédé de vaccination employé pour la combattre.

La plupart connaissent la maladie pour s'être trouvés aux prises avec elle dans leurs élevages. Une étude sommaire nous paraît cependant nécessaire pour en bien fixer l'évolution.

La diphtérie aviaire est connue depuis fort longtemps. Le Journal économique de 1761 recommande aux agriculteurs d'élever des pigeons, non des pigeons bizets, si enclins au mal vagabond qu'ils apportent dans le colombier, mais des pigeons mondains. L'Agronome, dictionnaire publié en 1788, signale une maladie contagieuse des oiseaux dénommée pépie : « Ce mal qui vient au dedans du bec. » MM. Loir et Ducloux, puis C. Guérin, médecin vétérinaire de l'Institut Pasteur de Lille, Truche, etc., se sont occupés de cette maladie. Mais c'est à J. Verge, chef de travaux à l'École vétérinaire d'Alfort, que revient l'honneur de la découverte d'un vaccin qui, ainsi que nous le verrons plus loin, immunise les volailles contre la diphtérie pendant plus d'une année.

Nous passerons sous silence les discussions qui ont eu lieu dans les milieux scientifiques ou médicaux au sujet de l'unicité des diphtéries aviaire et humaine, ou croup : les deux affections sont bien différentes et n'ont de commun que l'expression symptomatique.

La contagion de la diphtérie aviaire est indéniable d'une volaille à l'autre. Elle se fait par l'eau de boisson souillée, par les déjections des sujets malades, ou par le rejet dans l’eau des matières ou fausses membranes qui tapissent la gorge de ces derniers. Personne n'ignore de quelle façon les pigeons absorbent les boissons : ils plongent leur tête dans l'eau, se remplissent la bouche, avalent ce qui leur est nécessaire, puis, par les narines, laissent retomber le reste dans le bassin. Si le pigeon est malade, il n'est pas douteux qu'à la suite de ce gargarisme l'eau renvoyée doit contenir en grand nombre les germes de la maladie. Ils sont eux-mêmes les propres bourreaux de leur progéniture ; beaucoup de pigeons diphtériques, en nourrissant leurs petits, en les gavant, leur apportent du même coup et les aliments, c'est-à-dire la vie, et la maladie, c'est-à-dire la mort.

Les symptômes, chez la poule, peuvent se résumer ainsi : les malades s'isolent, sont tristes, marchent lentement, la tête basse, les yeux gonflés, œdémateux, injectés, larmoyants ou purulents. Ils recherchent l'obscurité et la tranquillité et se laissent prendre sans manifester aucune révolte, comme cela se produit dans l'état de santé. À peine poussent-ils un cri et ce cri est frêle, rauque, plaintif, et imite la dissonance : « Pip, pip » ou pépie, d'où vient le nom vulgaire donné à cette affection ; souvent, la bête est aphone. Le bec est ouvert, la langue sortie, allongée, parfois cyanosée. Des narines s'écoule un liquide muqueux, parfois purulent. Si on ouvre le bec, on constate la présence de fausses membranes blanc jaunâtre ou grisâtres tapissant les parois de la bouche, la langue, que parfois elles enveloppent, le gosier, et souvent la fente palatine, qu'elles comblent. Les commissures du bec et la peau à son pourtour présentent souvent de larges placards fibrineux.

Chez les pigeons, les membranes tapissent non seulement l'arrière-bouche (muguet jaune), mais les narines et les yeux, qui sont comme chassés de leur orbite. La maladie prenant de l'extension, l'appareil respiratoire (trachée, bronches et poumons), l'appareil digestif et ses annexes (foie, reins) peuvent être atteints.

La mortalité chez les poules varie de 25 à 30 p. 100, et de 40 à 70 p. 100 chez les pigeonneaux.

Que faire lorsque la diphtérie sévit dans une basse-cour ou un pigeonnier ? Sacrifier toutes les volailles qui sont très atteintes et dont la guérison est aléatoire. Les cadavres doivent être brûlés et non enfouis. Les sujets moins frappés, mais ayant été en contact avec les précédents, seront mis à part. Quant aux animaux qui semblent indemnes, on les fera isoler et parquer loin du lieu où réside l'infection. On assainira les boissons avec 2 grammes d'acide sulfurique, tartrique ou citrique par litre et on désinfectera soigneusement tous les locaux contaminés au moyen d'une solution chaude crésylée à 3 p. 100. Les fausses membranes des malades seront enlevées, brûlées, et les surfaces ainsi mises à nu badigeonnées avec une solution antiseptique (solution de nitrate d'argent à 1 pour 300 à 400, de la teinture d'iode pure, ou d'une partie de teinture d'iode pour deux parties de glycérine).

Vaccination.

— Il résulte des travaux de J. Verge, précédemment cité, que l'affection diphtéro-variolique des oiseaux de basse-cour, se traduisant par les symptômes de diphtérie aviaire, d'épithélioma contagieux ou de catarrhe oculo-nasal, est une maladie épizootique, contagieuse, due à un virus filtrant. Ces différentes formes constituent une seule entité morbide et relèvent d'un même ultra-virus doué de propriétés particulières. Il est filtrant, invisible, et jusqu'à présent incultivable sur les milieux habituels de laboratoire.

Comme le virus filtrant de la « maladie des chiens », l'ultra-virus diphtéro-variolique a la propriété de faire éclore, à sa suite, une flore microbienne extrêmement riche et variée. Ces microbes de sortie, auxquels on a longtemps attribué une valeur pathogène intrinsèque, créent les différentes complications de la maladie et masquent souvent les effets de l'ultra-virus spécifique. Celui-ci peut adhérer à ces microbes de sortie, qui en deviennent ainsi les porteurs et lui servent de véhicule (adsorption). Ainsi s'expliquent les erreurs d'antan qui ont fait attribuer à un germe visible une valeur pathogène qu'il n'avait pas en réalité (Philibert, Carré et Vallée).

Le vaccin utilisé par J. Verge est représenté par les nodules et les croûtes varioliques provenant de jeunes coqs expérimentalement infectés par inoculation dans la veine axillaire et badigeonnage, avec un virus de passage, des deux faces de la crête préalablement scarifiée.

Après une quinzaine de jours d'évolution, les produits lésionnels subissent une certaine préparation, qui leur donne la forme d'une émulsion très virulente constituant le vaccin. Celui-ci est injecté au moyen d'une seringue graduée en gouttes ou en dixièmes de centimètre cube.

Dans les milieux indemnes, la vaccination comporte une intervention unique dans le tissu conjonctif d'un barbillon : la dose à injecter est de 1/10 de centimètre cube, deux gouttes, chez la poule et le pigeon, et de 2/10 de centimètre cube chez l'oie et le dindon. En milieu infecté, la vaccination des contaminés est semblable à celle des animaux en milieu indemne. Quant au traitement des malades, il nécessite des inoculations répétées (généralement trois ou quatre), tous les quatre ou cinq jours, de 1/10 de centimètre cube et faites alternativement dans chaque barbillon jusqu'à guérison.

Depuis la découverte de ce vaccin par notre savant confrère, plus de 50.000 doses ont été mises par lui à la disposition des vétérinaires, rien que pour la saison 1924-1925. D'après l'auteur, le vaccin agit non seulement à titre préventif, mais encore à titre curatif. Il constitue une excellente méthode de traitement et permet de sauver nombre d'animaux qui ne sauraient guérir sans son secours efficace.

Ce vaccin n'étant délivré qu'aux vétérinaires par les différents instituts bactériologiques ou sérothérapiques, nous ne pouvons qu'engager les éleveurs aux prises avec l'affection diphtéro-variolique à s'adresser à leur vétérinaire, qui procédera à la vaccination selon la technique, qui lui est familière, recommandée par l'auteur.

MOREL,

Médecin vétérinaire.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 682