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Le soleil, les hommes et le temps

Le globe flamboyant de l'astre du jour, selon son état de fièvre, est sujet à de vilaines éruptions qui en ternissent la blancheur. Après trois siècles d'observations, les astronomes n'ont pu découvrir la cause des phénomènes qui agitent l'atmosphère solaire, foyers actifs analogues à nos volcans et se divisant en trois types distincts : facules, plages éclatantes, coulées contrastant avec le jaune du disque, généralement éphémères ; taches, entonnoirs, cavités sombres dans les couches de la surface (photosphère), animées de mouvements violents, barrées de flammes, de courte ou de longue durée, se présentant durant des mois parfois et atteignant jusqu'à 300.000 kilomètres d'étendue ; protubérances, larges panaches hauts de 200.000 kilomètres et plus, s'éloignant de la surface en arches gigantesques ; ces dernières formations, visibles seulement jadis aux brefs moments des éclipses totales, se profilant sur le disque noir, sont désormais filmées à tout moment grâce à l'invention de l'astronome français Lyot.

Taches et facules sont visibles avec une petite lunette munie d'un verre noir ou par projection ; les taches très étendues sont visibles à l'œil nu derrière un écran de brume ou de fumée, ou à travers un verre noir.

Les taches font du soleil une étoile variable dont le flux périodique moyen est de onze ans ; en année de minimum, on observe peu de taches, puis leur nombre croît durant quatre ans et demi en moyenne, c'est le maximum ; la décrue se fait plus lentement : six ans et demi.

Cette lente variation d'activité est sujette à de brusques sautes : certains jours de maximum montreront dix, douze, quinze taches ; quelques jours après n'en subsistent que deux ou trois. En période de minimum, un mois entier peut s'écouler sans qu'apparaisse un foyer (février 1944), mais des groupes dix fois comme la terre sont parfois visibles.

Tous ces foyers produisent des rayonnements, courants magnétiques ou électriques, faisceaux de radiations qui affectent notre globe, son atmosphère et ses habitants. Les taches solaires, siège d'un champ magnétique intense, émettent des ondes : le 3 octobre 1945, le radar permit de capter pour la première fois, en Australie, l'énergie des ondes électromagnétiques provenant des taches solaires et donnait la preuve que notre globe est incessamment bombardé par des faisceaux d'ondes, de rayons inconnus. Depuis, des stations réceptrices s'installent, utilisant d'immenses réflecteurs paraboliques ; un récent article de la revue Scientific American note que les ondes radio-électriques venant du soleil sont parfois très puissantes (fréquence de 60 à 38.000 mégacycles) et sont souvent associées aux facules et aux taches.

Ces ondes sont d'un grand intérêt pratique pour la météo des É.-U., qui va s'en servir pour prévoir le temps trois mois à l'avance.

La question de la prévision du temps à longue échéance est en effet fort avancée aux États-Unis ; depuis 1823, la découverte de la période de onze ans par Schwabe incita les chercheurs à trouver une relation de cause à effet avec divers phénomènes terrestres (ces relations sont nombreuses et nous en reparlerons). Mais, durant un siècle, la prévision longue du temps resta un mythe.

L'influence solaire est donc nette sur tout le globe, au point de vue électrique et magnétique : aurores boréales, évanouissements en T. S. F., perturbations téléphoniques, agitation de la boussole, flux de courants telluriques, d'ultra-violets ionisant la haute atmosphère ; le comportement humain s'en ressent (grèves, révolutions, guerre).

En climatologie, l'influence est plus complexe (tempêtes, cyclones, périodes d'orages, abondance ou disette étant l'aboutissement).

L'observation quotidienne du soleil permet de contrôler les assertions des chercheurs, de Secchi, Marchand, Lockyer, au siècle dernier, à Deslandres, Nodon, Moreux, Abbott, etc., en ces dernières années.

En général, sur l'ouest de l'Europe, remarque vérifiée par nos observations depuis 1929, la naissance d'une tache solaire assez étendue, ou son arrivée au bord solaire provoque sur la terre, en hiver, une hausse de température, suivi de beau avec faibles gelées ; sa disparition, ou sa rapide décroissance, amène le froid et le mauvais temps, avec tempêtes sur les côtes. En été, l'effet semble inverse : l'arrivée d'un groupe solaire provoque des orages, avec temps beau sec ensuite ; disparitions et diminutions sont marquées de pluies fraîches. L'hiver 1951-1952, doux et trop mouillé, concorde avec une activité solaire stable et assez forte après le déclin du premier semestre 1951, et malgré l'approche du minimum.

Toutes les tempêtes mémorables de cet hiver, et qui se produisent encore, avec trombes d'eau, vents de 100 kilomètres à l'heure, pertes de navires et de vies humaines, coïncident avec le passage au méridien solaire (milieu du disque) ou la disparition au bord solaire de groupes étendus complexes et dont le retour, deux semaines après, produit les mêmes effets.

L'opinion courante attribue faussement le décalage des saisons, les dérèglements du temps au modernisme (?), aux guerres, à l'emploi de la T. S. F., à la bombe atomique ... ; les anomalies du temps dues à des sursauts ou des baisses subites d'activité solaire se retrouvent dans chaque siècle, les statistiques en font foi ! Il y a des séries d'années sèches ou d'étés froids, d'années humides ou d'hivers rigoureux, des cycles de sécheresses et d'inondations ... Nihil novi sub sole, disaient les anciens ; c'est le cas de le dire : rien de nouveau sous le soleil, tout n'est que rythme et recommencement.

Revenons au cycle de onze ans. Déjà, vers 1700, W. Herschell trouvait que les années déficitaires en blé étaient également pauvres en taches solaires ; plus près de nous remarquons que 1947-1948, maxima remarquables, ont donné une récolte de vin particulièrement riche en qualité et quantité, mais, dès 1951 (proche du minimum), déficit accru en vin, léger en blé.

Dans un autre ordre d'idées, dès 1872, Meldrum, à l'île Maurice, près de Madagascar, annonce que les courbes des dévastations et des naufrages causés par les cyclones, fréquents en ces parages, suivent la courbe du nombre des taches solaires. Peu après, à Ceylan, Sir N. Lockyer trouve un cycle de pluies parallèle à celui des taches, et Chambers, autre savant anglais, reconnaît le même rapport entre les disettes dans l'Inde et les vicissitudes de la surface solaire.

Nos regrettés collègues H. Mémery, de Bordeaux, et Delmotte ont indiqué la coïncidence entre les maxima solaires et la qualité des vins du Bordelais et de Bourgogne, les grands mouvements populaires français (époque de maximum 1789, 1830, 1848, 1870).

G. Lakhowsky, si connu par ses travaux sur les radiations, prétend que les incendies sans cause apparente, les coups de grisou sont plus fréquents aux passages de taches. L'abbé Moreux a montré que les tremblements de terre et les éruptions volcaniques, la dérive des icebergs étaient en étroite relation avec l'activité solaire ; volcans et séismes suivent les minima, les fortes diminutions ; ce sont des frissons de l'écorce terrestre subitement refroidie.

Varient en synchronisme avec la période de onze ans : le magnétisme terrestre, l'abondance des aurores polaires et des orages magnétiques (troubles téléphoniques), la variabilité du niveau des lacs africains et ... le nombre de peaux de lapins récoltés par la Compagnie de la Baie d'Hudson.

Un astronome russe, Tchijevski, a décelé cette concordance bizarre : de 1830 à 1927, ministères anglais détenus par les libéraux aux maxima et par les conservateurs aux minima. De 1880 à 1916, les épidémies de fièvre récurrente, à Moscou, suivent le rythme solaire ; à Budapest et à Vienne, de 1893 à 1928, les épidémies de diphtérie s'adaptent au même rythme ; également le paludisme en Allemagne, (1904 à 1928). Ces époques sont celles où les statistiques ont été établies. Il est certain que l'étude d'autres époques donnerait les mêmes concordances ...

D'après Tchijevsky, dans l'histoire, le nombre des événements importants s'élève d'autant plus que l'on approche d'un maximum solaire ; c'est le contraire pour les minima. Aux minima correspondent la paix, le calme et le travail, relations internationales accrues, expositions, floraison des sciences et des arts, disparition des collectivités et pouvoirs absolus. Avec les maxima reviennent les guerres, les crises, la multiplicité et l'éphémère des doctrines, philosophies, ligues et corporations, les conflits sociaux, les chefs et dictateurs.

Il existe dans chaque siècle neuf cycles d'activité politique et militaire qui se retrouvent régulièrement et prouvent que nous sommes les jouets des ondes émises par le soleil, argument de poids pour le déterminisme ! ...

Dans un siècle, on retrouve également des cycles météorologiques (Mémery) et trois périodes de pluies de Brückner (33-35 ans). Ces périodes ont servi à établir de bonnes prévisions. Nos recherches personnelles, étagées sur vingt ans, confirment la remarque faite à Zurich sur l'existence de courtes périodes : mois et année, tendant à faire supposer que la terre et les planètes, par leur attraction, causeraient ces pulsations solaires.

En effet, après Mémery, nous avons remarqué que les taches sont toujours visibles, ou invisibles, à certaines époques de chaque année : la plus nette est celle de fin janvier-début février (très grosses taches) ; or février est un mois qui fut le point de départ de beaucoup d'événements historiques.

Début juin, au contraire, une forte baisse d'activité est enregistrée et coïncide avec l'abaissement de la température qui est remarqué tous les ans à pareille époque.

Terminons en signalant une confirmation de la période de cent ans dans l'ouvrage de viticulture (Bassermann-Jordan) qui relève qu'à chaque siècle les années 47 et 48 ont été exceptionnelles au point de vue vinicole (1448, 1548, 1648, 1748, 1848 et ... 1947-1948).

Il existe, au château de la Brède, à Bordeaux, une lettre de Montesquieu datant de 1750, vantant à un de ses clients étrangers les mérites de sa récolte de 1748, qui était remarquable.

Un siècle, puis deux siècles plus tard, il en fut de même.

Nous verrons, dans un autre exposé, que, si dans l'histoire nous retrouvons le cycle undécennal, c'est parce que l'homme au cours des heures de sa courte vie est sujet aux fluctuations incessantes de l'activité solaire.

R. MIETTE.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 693