Une récente dépêche de presse, provenant de
Johannesburg, au Cap, nous apprend qu'un scaphandrier du Steenbok,
navire spécialement équipé pour les recherches sous-marines, a découvert
l'épave du Grosvenor, voilier de la East India Company, sombré, en 1838,
au large de la côte de Pondoland, au sud de l'Afrique, et qui transportait un
plein chargement d'or.
Le document ajoute que le capitaine du Steenbok est
descendu par le fond pour constater à son tour et qu'il s'agit bien du Grosvenor.
Mais il déclare que le navire est aujourd'hui presque entièrement enseveli sous
le corail et que ce ne sera pas une petite affaire de l'en sortir.
L'événement est loin d'être unique. Depuis le désastre des
flottes de Xerxès, qui, elles aussi, transportaient de l'or et d'autres
richesses, les naufrages des grands navires chargés de matières précieuses et
disparus « dans une mer sans fond, par une nuit sans lune » sont
innombrables et ont toujours suscité l'intérêt et l'activité des hommes, avides
de récupérer ces trésors. Malheureusement, on ne se trompe guère, en prédisant
d'avance que ces tentatives sont vouées à l'insuccès. C'est du moins ainsi que
les choses se sont toujours passées. Et il y a tant de raisons pour cela qu'on
ne voit pas pourquoi il en irait autrement à l'avenir.
L'aventure présente nous explique la cause de ces échecs. Un
naufrage, qui ne date que d'une centaine d'années, est un drame pour ainsi dire
contemporain. Et pourtant le Grosvenor est déjà enfermé dans un linceul
plus dur que le roc, qu'on ne pourra soulever, si on y arrive, qu'avec une
peine infinie et au risque d'anéantir avec lui le navire lui-même. Que dire
alors des recherches entreprises autour de vaisseaux engloutis, il y a deux,
trois, cinq siècles, sinon des milliers d'années ? Elles ont attiré,
cependant, des audacieux ou des rêveurs, et elles en attirent encore.
Quelques-uns de leurs buts méritent d'être rappelés, non dans l'espoir
d'allécher des amateurs nouveaux, mais pour la simple curiosité du lecteur.
La région la mieux achalandée pour ce genre de trafic, est
certainement la mer des Antilles et la zone de l'océan Pacifique qui lui fait
face de l'autre côté de l'Amérique centrale. Il n'est pas douteux que cette
vaste étendue d'eau et d'îles ait été pendant de longs siècles le rendez-vous
de flottes entières chargées de trésors, officiellement ou frauduleusement
transportés. Depuis la conquête du Pérou et du Mexique, tous les ans, le
détroit du Yucatan était parcouru par une escadrille de galions, convoyant les
immenses richesses des Incas, l'or du Pérou et du Macaraïbo, l'argent du
Potosi, les perles et les émeraudes de Margarita et de Guayaquil, tandis que de
Vera-Cruz venait le butin innombrable pris aux Aztèques. Les deux flottes se
rejoignaient au cap San Antonio, de Cuba, et, accompagnées de vaisseaux de
guerre, faisaient voile vers l'Espagne.
Comme on peut le penser, ce mouvement n'était pas ignoré des
coureurs d'aventures, et corsaires, pirates, boucaniers, flibustiers se
tenaient aux aguets dans tout l'archipel, attendant l'occasion de s'abattre
comme des orfraies sur un volier de canards, dès qu'ils avaient le moindre
espoir d'être les plus forts.
Deux des principaux nids de ces terribles rapaces étaient la
fameuse île de la Tortue, mais aussi l'île des Pins, la plus rapprochée de Cuba
et qui fut également l'un des lieux où la grande majorité de ces « récupérations »
étaient ramenées, et partagées quand on le pouvait. Mais on ne le pouvait pas
toujours, car on s'imagine bien que les battus n'étaient pas contents !
Et, si beaucoup d'entre eux étaient envoyés dans un monde meilleur au cours de
l'action, les survivants échappés du massacre n'attendaient que le moment de
prendre leur revanche et, parfois, y réussissaient.
Pour ne pas leur rendre ce qu'on leur avait pris, on
l'enfouissait ! Et l'on peut dire que le sol de certaines îles est farci
de cassettes contenant d'enviables fortunes, qu'il ne s'agit plus que de
ramasser ... C'est là où les difficultés commencent.
La fameuse « épingle dans le grenier à foin » est
en effet plus aisée à repérer qu'un trou d'un pied de diamètre dans un
territoire de plusieurs centaines, sinon milliers de kilomètres carrés, malgré
les indications que les intéressés ont pu se transmettre et dont un certain
nombre ont été conservées. L'un de ces messages secrets ou plusieurs ont
certainement inspiré le célèbre roman de Stevenson, L'Île au trésor. II
nous a été donné personnellement de contempler, non sans émotion, dans une
collection privée, un de ces vieux documents jaunis et frustes, datant
aujourd'hui de deux cent quatre-vingts ans et où l'on retrouve, pour ainsi
dire, les phrases mêmes qu'on y attendait : « ... une île
appelée Coffre de l'Homme-Mort, qui a la forme dessinée sur ce plan [on y voit
une croix avec le mot : here (ici)]. Entrant par le nord, un arbre
qui a une cheville de bois enfoncée à 1 yard de haut. 43 pas en avant, un ...
(illisible) avec deux ... (?) sous racine ... L'autre à un demi-yard.
Tourne à l'est ... avec une baguette mesure ... trouve un tertre ...
Six mille onces d'or (quelque chose comme 60 ou 80 millions) ... coffrets
avec armes princesse de Castels-Vels ... Une croix. Trois charges d'or ...
Mousquets et pistolets ... »
Évidemment, quand ce troublant témoignage a été écrit, il
s'y trouvait des précisions plus grandes. Mais, si parfaites qu'elles aient pu
être, si jamais frère-de-la-côte n'a eu que cela pour se conduire, on comprend
que le coffret aux armes de la princesse reste toujours à la disposition de
celui qui le trouvera, à condition qu'il ait mille fois plus de chances encore
que le gagnant du gros lot !
Sur la côte sud de l'île des Pins, on signalait encore, vers
les années 1820, la présence, visible sous quelques brasses d'eau, d'un de ces
galions, coulé au cours d'une attaque de pirates et dont on ne se donna jamais
la peine d'aller visiter l'épave, car son histoire était connue. Il avait été
victime, 150 ans plus tôt, du fameux Aguirre, un des plus redoutés de ces
écumeurs de mer, qui avait massacré une partie de l'équipage, enrôlé le reste
sous son pavillon noir, tué le capitaine, capturé quelques malheureuses femmes
qui étaient à bord ... Puis, au moment de reprendre le large avec sa
nouvelle prise, il avait dû la saborder pour échapper à de justes représailles,
mais avait réussi à s'enfuir avec ce qu'il avait pu emporter d'or et de pierres
précieuses ... Naturellement, le trésor est toujours quelque part sur les
lieux, car il fut obligé de s'en débarrasser pour se sauver lui-même. Et cela
en fait un de plus à récupérer !
De l'autre côté de l'isthme, on n'a que l'embarras du choix.
À un millier de kilomètres de Panama, en plein Pacifique, l'île des Cocos est
l'endroit rêvé pour les dépôts de cette sorte, et l'on en connaît là au moins
trois de certains, qui ont en outre l'avantage d'être relativement récents, car
ils datent du premier quart du XIXe siècle, ce qui consolide leur
authenticité.
L'un, fixé à la somme de 2 millions de livres sterling,
provient du pillage de Mexico, en 1828. Le second a une fiche d'identité plus
vague. On sait seulement qu'il vaut 3 millions de livres et que c'est un
certain pirate portugais, nommé Bonito, qui en fut quelque temps le détenteur.
Quant au troisième, il est le plus alléchant de tous, d'abord parce qu'il
représente une somme de 7 millions de livres sterling et ensuite parce que les
renseignements abondent à son sujet et semblent parfaitement concordants.
En 1821, l'amiral anglais Cochrane, qui, entre autres
originalités, eut celle de traverser à pied toute la Sibérie et toute la
Russie, en voyage d'agrément, assiégeait Lima, au Pérou. La ville étant prise,
les défenseurs de Callao, qui en est le port, préférèrent ne pas insister et
prirent le large à bord de la frégate Mary Dier, en emportant les
fameux 7 millions susdits, sous forme de lingots d'or et d'argent.
Mais l'équipage, encore tout chaud de fièvre
révolutionnaire, se retrouva partagé en deux camps hostiles quand le navire fut
en pleine mer, ne sachant d'ailleurs pas très bien où aller. On se querella ;
et les plus passionnés pour la bonne cause ne trouvèrent rien de mieux, pour
convaincre leurs opposants, que de les faire passer par-dessus bord, capitaine
compris. Après quoi, ils déclarèrent que leur bateau était de bonne prise et
qu'il fallait seulement s'occuper de mettre sa cargaison en lieu sûr.
L'endroit fut scrupuleusement précisé par l'ensemble des
associés, et une charte-partie en attribua à chacun sa légitime part. Puis,
reportant le partage à des temps meilleurs, on remit à la voile pour arriver,
en innocents, les mains vides, dans quelque port civilisé.
Seulement, des ennuis surgirent, sous la forme d'une escadre
espagnole qui, ne trouvant pas claires les réponses reçues par signaux de
pavillons, continua à coups de canon le dialogue. La Mary Dier ne
résista pas à l'épreuve et les survivants furent capturés, sauf trois qui, ne
s'estimant pas trop loin de la côte, préférèrent s'enfuir à la nage. L'un ne
dura pas jusqu'au bout, l'autre eut affaire à un requin qui régla son sort. Le
troisième enfin s'échappa, gagna la terre et réussit à s'y faire oublier.
Jusqu'au jour où on le retrouve dans un hôpital de Londres
sous le nom de Thomson. Il sait que sa fin est proche et que le trésor de l'île
des Cocos n'est pas pour lui. Mais pourquoi en priver tout le monde, à l'heure
du repentir ? Il demande à parler. Il parle. Et les détails qu'il donne et
que l'on contrôle à mesure sont si nets, si clairs, si vraisemblables qu'il est
impossible de douter de leur sincérité. Une expédition s'organise. Elle est si
bien documentée qu'elle sait qu'elle n'aura qu'à se baisser pour ramasser sa
trouvaille et que la république de Colombie, dont dépend l'île, ne donne
l'autorisation de la recueillir que si elle en a sa part.
Mais elle t'attend toujours.
Aura-t-on plus de chances ailleurs ?
Dans l'archipel des Touamotou est une certaine île Pinaki où
est enterré un autre trésor, placé là, dit la renommée, par les jésuites du
Paraguay, lorsqu'ils furent expulsés de ce pays.
En 1905, la goélette Roberta, appartenant à un
Américain, fait escale à Tahiti, s'y ravitaille, y recrute un équipage de gens
sûrs, tandis que son propriétaire laisse entendre de quoi il s'agit, car on lui
demande quelques éclaircissements.
Il est si sûr de lui qu'on lui accorde ce qu'il veut.
Mais, un an plus tard, la Roberta est à vendre, ses
matelots licenciés sans solde et le chef d'entreprise rapatrié à titre
d'émigrant insolvable aux États-Unis.
Cela n'empêche pas, huit ans plus tard, un autre Américain
de reparaître sur une autre goélette, la Suzannah, prête à repartir pour
Pinaki, où un certain trésor, se montant à 12 millions de dollars …
Mais, cette fois, l'administration française ne se laisse
pas séduire. Elle envoie à Pinaki, qui n'est qu'un récif abandonné, trois
gendarmes, une caisse de vivres et un baril d'eau douce, avec ordre d'éloigner
les indésirables et, s'ils insistent, de les appréhender ...
Mais, pendant des semaines, les gendarmes, qui ne sont même
pas quatre pour une manille, ne voient que le ciel et l'eau, et non, hélas !
l'eau du ciel, qui leur serait d'un grand réconfort, car celle du baril
commence à s'épuiser sérieusement !
Si, dans les cas que nous venons d'énumérer, on n'a jamais
découvert le trésor lui-même, en d'autres endroits on a trouvé du moins les
preuves qu'il y avait eu là quelque chose, comme des marques tragiques le
démontraient.
C'est ainsi que quelque part dans l'île Maurice, où
l'emplacement de la cachette avait été si exactement désigné qu'on tomba tout
droit dessus, on mit à jour une fosse, où il n'y avait plus ni cassette, ni or,
mais seulement un squelette au crâne fort endommagé d'une fracture qui
ressemblait tout à fait à un coup de pioche ou de massue. Le renseignement
était bon. Seulement, dans l'intervalle, d'autres l'avaient eu aussi. Mais ils
n'avaient pas été d'accord pour le partage.
Espérons que les renfloueurs du Grosvenor sauront
mieux s'entendre. Réussiront-ils ? C'est toujours la même question qu'il
faut se poser et qu'il faut répéter encore à propos du Télémaque, ce
brick de 130 tonneaux qui, lui, ne repose pas dans le récif de corail, mais
beaucoup plus prosaïquement dans la Seine, où il coula en 1790, tandis qu'il
transportait en Angleterre les trésors de l'abbaye de Jumièges et, dit-on, les
bijoux de Marie-Antoinette. On sait où il est, près de Quillebeuf ; on l'a
exactement repéré, atteint même ... Et pourtant ! ...
L. MARCELLIN.
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