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L'armure

L'armure est d'origine allemande et elle se généralise en France, chez les hommes d'armes, au passage du XIIIe au XIVe siècle. Bien articulée et à lames, on la trouve toutefois adoptée quelque peu avant dans les pays du Nord.

Le manuscrit allemand de Tristan et Isolde, datant du XIIIe siècle, montre des chevaliers à armures à plates, coiffés de heaumes, avec des montures elles-mêmes toutes caparaçonnées. À la même époque, les manuscrits de France, et surtout de Bourgogne, présentent des armements défensifs beaucoup moins perfectionnés.

Cette armure se substituant au haubert en mailles est également suivi d'un changement du vêtement de dessous : le pourpoint sans manches, mais avec haut et bas de chausse. Confectionné en toile épaisse et matelassé, il était garni d'anneaux ou de mailles d'acier aux défauts de la cuirasse, aux articulations. Ainsi un cavalier tombé au sol ne donnait-il que peu de prise aux petits poignards et dagues.

Contrairement à ce que l'on pense, les hommes qui portaient ces lourdes armures n'étaient point des géants et encore moins de taille supérieure à ceux d'aujourd'hui. Nos contemporains ne peuvent en effet que rarement les revêtir. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'ils étaient plus robustes, point encore amoindris par les méfaits d'une civilisation lénifiante par abus de confort. Tout particulièrement un bras ou une jambe actuels ne peuvent jamais pénétrer dans les parties correspondantes d'armure du Moyen Age ou de la Renaissance.

Aux XIVe et XVe siècles, les armures à plates subissent de grandes évolutions, car elles sont le reflet, en leurs formes, des modifications du costume civil, en même temps que des progrès techniques dans la manière de combattre.

Pendant la quasi-totalité du XVe siècle, l'armure est gothique et ses formes restent harmonieuses, comme le style magnifique des épées. Au passage du XVe au XVIe siècle, les passe-garde deviennent énormes, tandis que les tassettes articulées ne cessent de s'arrondir. La forme devient bombée et tout cela diminue la pureté de lignes, avec la marque de sévérité génératrice de puissance et de force.

La fin de la chevalerie sera d'ailleurs marquée par la survenance de l'armure maximilienne ou milanaise, d'aspect cannelé. Avec Henri II, le plastron prendra l'aspect, par son bombement, d'une bosse de Polichinelle et, dans son ensemble, singera même le justaucorps. On en arrivera enfin à tomber dans le grotesque, en particulier avec les longs cuissards succédant aux tassettes marquant par trop les hanches et méritant bien par leur aspect le nom moqueur qu'on leur donne d'écrevisse.

Avec Henri IV, commence la disparition de l'armure, qui sera définitive sous Louis XIV. La peau tannée va lui succéder, même pour la cuirasse, et ce sera le règne de la buffleterie.

Il est difficile de classer les armures, et il faut observer chaque pièce en tenant compte de son lieu de conception, qui a émigré en un autre par adoption.

Pour la coiffure, le casque conique normand indique le Xe siècle, tandis que le heaume anglais à nasal, le heaume allemand à vue datent des XIIe et XIIIe siècles. Le petit bacinet, ou cervelière, conservé sous le heaume, et le grand bacinet sont des XIIIe et XIVe.

La salade, au nom très figuratif, est du XVe siècle, et l'armet des XVIe et XVIIe siècles. Les simples chapeaux de fer et pots en tête existent inversement depuis le IXe siècle et continuent durant toutes ces périodes.

Le bouclier germanique est la première expression féodale, car il a une importance infiniment plus grande que dans l'antiquité. On le peignait de couleurs vives pour le rendre horrible aux yeux de l'adversaire, mais également on fit figurer sur lui des symboles des actions d'éclat de son porteur. C'est l'origine des premières armoiries. Aussi, dans les débuts, n'étaient-elles pas logiquement héréditaires. Même le fils aîné devait à son tour acquérir son bouclier, orné par des faits militaires personnels.

Ce n'est qu'avec le Xe siècle que, par suite de la généralisation des tournois en Allemagne, l'armoirie issue du bouclier devint l'apanage de toute la famille, car c'était alors au fils en pleine force de l'âge qu'il incombait de défendre les couleurs paternelles.

Le chevalier devait alors remettre casque et bouclier entre les mains du héraut d'armes pour se faire reconnaître. C'est au XIe siècle, avec les croisades, que le blason se généralise et que la noblesse adjoignit à son nom celui de son château et de ses terres.

En matières d'armes défensives, c'est le bouclier qui a le plus varié en ses formes.

À ombilic chez les Celtes, Germains et Scandinaves, carré chez les Germains de l'époque mérovingienne et surtout antérieure, en rondache mérovingienne et carlovingienne, long et peint aux Xe et XIe siècles, mais aussi triangulaire à la même période, petit écu aux XIIe et XIIIe siècles, le bouclier devient manteau d'arme épousant la forme du torse, mais aussi rondache, rondelle et tranchette aux XVe et XVIe siècles.

Le gantelet exprime également des époques. Simple sac de mailles aux XIIe et XIIIe siècles, continuant la manche du haubert, il paraît au XIVe siècle avec des doigts séparés. Mais le miton lui succède au XVe siècle et semble avoir été utilisé par Jeanne d'Arc sous la forme de simples lames protégeant les doigts. Au XVIe siècle, on revient aux doigts séparés par suite de la survenance du pistolet.

Au XIIe siècle, dans le Nord, et surtout au XIVe siècle paraissent les solerets et pédieux comme protection métallique des pieds au moment où le bas de chausses en mailles est remplacé par les plaques dites tamelières. C'est par la forme du soleret que son époque s'établit. D'abord en forme de lancette ogivale, la pointe ne va cesser de s'allonger pour suivre la mode des poulaines. Au milieu du XVe, ce sera l'ogine tiers-point, et de 1470 à 1570, pendant un siècle, le célèbre et trapu pied d'ours, auquel succédera le bec de cane. Avec la fin du XVIIe siècle, il n'y a plus de protection en métal : bottes et houseaux les chassent.

L'armure défensive du cheval est plus rare que celle du cavalier, mais elle suit sa mode et se compose des bardes, chanfrein, françois, croupière et garde-queue.

Plus indicatif est l'éperon. Droit et sans molette avant le XIe siècle, il évolue jusqu'au XIIIe siècle en se brisant, puis en se relevant. La molette à huit pointes paraît au XIVe siècle, et du XVe au XVIe l'éperon tombe dans la fantaisie, surtout en longueur. Ensuite vient l'exagération de l'ornementation.

La selle est très caractéristique, en particulier la selle de joute, véritable pinde à avant-corps pour maintenir le cavalier debout sur ses étriers. Mais on n'en possède pas plus d'une dizaine dans l'ensemble de toutes les collections.

Les épées sont extrêmement nombreuses et variées. La rapière débute avec Charles-Quint. Quant aux dagues, poignards, stylets et autres, il faut de véritables atlas de figures comparatives pour parvenir à les classer. On doit savoir qu'aux XIVe et XVe siècles les chevaliers, surtout en France, n'utilisaient leurs chevaux que pour se déplacer. Au combat, ils descendaient et combattaient à pied.

Cela fit créer des armures d'architecture spéciale.

Les tournois eurent également une énorme influence sur l'évolution de l'armure. Il faut distinguer les tournois constitués de deux groupes adverses de combattants des joutes où ne s'opposaient que deux chevaliers montés et armés de la longue lance.

Pratiquement toute l'histoire ne rapporte que 180 tournois, au cours de ces longues périodes. L'explication en est qu'ils étaient à la fois coûteux à organiser et dangereux, car on en cite qui laissèrent morts une soixantaine de participants. Le pape Eugène les interdit par l'anathème des combattants, spectateurs et organisateurs.

Les armures de tournois et de joutes sont beaucoup plus importantes par leurs poids, masses et décorations, que celles de guerre. Elles devaient assurer une meilleure protection puisqu'il s'agissait de réjouissances et qu'elles ne devaient être portées que quelques heures, tandis qu'il ne pouvait en être ainsi au cours de plusieurs journées ou de longs mois de guerre.

Ces armures sont généralement magnifiques, autant par la sévérité de leurs formes pures que par leurs formidables proportions.

Certaines, mais rares, servaient aux combats à pied dans les tournois, mais normalement ces combats commençaient à cheval et se continuaient au sol quand le cavalier avait été désarçonné. Il utilisait alors l'épée retenue par une chaîne et la masse d'arme.

Pendant longtemps, ces belles pièces des époques révolues sont restées oubliées. Napoléon III, en France, leur donna un regain d'intérêt au moment où Viollet-le-Duc reconstruisait Pierrefonds. Puis ce fut à nouveau le silence après Sedan.

Aujourd'hui le cinéma a remis à la mode ces souvenirs du passé, et en maints logis fort modernes on voit reparaître des scramasaxes, dagues, estocades et même des armures complètes. Toutefois beaucoup ne sont que des copies, et même les experts les plus chevronnés s'y trompent. Ce qui restera de curieux pour les civilisations futures, c'est de voir ce regain de faveur au début de la seconde moitié du XXe siècle, au point qu'il s'est créé des sociétés d'amis de ces collections et que tout un marché s'est organisé sur ces transactions de souvenirs historiques.

Janine CACCIAGUERRA.

Le Chasseur Français N°669 Novembre 1952 Page 696