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Difficultés dans le tir

Au cours d'une discussion entre chasseurs, nous avons dernièrement entendu poser la question suivante : mais, enfin, pourquoi tire-t-on si souvent trop bas ?

Le questionneur aurait pu tout aussi bien demander pourquoi on tirait souvent derrière, mais nous reconnaissons volontiers que les manques sur la plume sont plus fréquents que les manques sur le poil et attirent davantage l'attention des exécutants. À différentes reprises, nous avons indiqué, dans ces causeries, quelques motifs de ces erreurs de pointage ; nous croyons utile d'en faire aujourd'hui une étude d'ensemble.

Dans toute correction de tir il y a une question d'appréciation et une question d'exécution ; nous ne reviendrons pas ici sur la question d'appréciation des corrections en valeur absolue, ayant fréquemment indiqué sur quelles bases le tireur pouvait les évaluer; nous noterons simplement que, dans le cas du tir du poil, l'œil trouve sur le terrain avoisinant un certain nombre de points de repère permettant de mieux évaluer la distance de tir ainsi que l'ordre de grandeur de la correction. Nous observerons également que les deux objectifs les plus usuels, le lièvre et le lapin, ne comportent guère de difficultés dans le tir en terrain découvert ; seul le lapin au bois ou dans les broussailles demande quelque virtuosité, mais, dans ce genre de chasse, il s'agit plutôt de tir rapide avec une dispersion appropriée que de véritables corrections de pointage.

Tout autre est le tir de la plume ; on rencontre évidemment des oiseaux, se levant isolément, qui ne s'écartent guère d'une trajectoire rectiligne facile à juger, mais c'est là l'exception. Lorsque l'on observe avec attention l'envol du gibier à plume le plus courant (ne parlons pas des bécassines), on constate assez facilement que les trajectoires suivies se composent de trois phases. La première n'est qu'un parcours de décollement du sol durant quelques mètres, la seconde une courbe complexe procurant à l'animal l'orientation et la hauteur, et la dernière une trajectoire à peu près rectiligne.

En fait, à l'exception du tir de battue qui s'effectue presque uniquement dans cette dernière phase du vol, les chasseurs ont presque toujours à juger l'oiseau dans la phase numéro deux.

Faute de points de repère, c'est précisément dans ce cas que l'on commet le maximum d'erreurs. Un oiseau qui vire en prenant de la hauteur parcourt avec une vitesse croissante une courbe s'approchant d'une hélice ou plus exactement d'une fraction d'hélice à pas variable, laquelle, en cas de changement de direction, se raccorde à une deuxième portion d'hélice. Le tireur, même expérimenté, cherchant à devancer l'oiseau, aura toujours tendance à jeter le coup sur le prolongement de la tangente à l'hélice et non sur celle-ci ; il en résultera un tir trop bas et en dehors. On constatera que, dans ces conditions, il est plus facile de toucher du deuxième coup, bien que la vitesse du gibier augmente, car le rayon de la courbe s'agrandit.

Les bons tireurs observeront ici que l'analyse est, en pareil cas, bien inutile et que, l'expérience aidant, ils savent d'instinct ce qu'il faut faire pour placer leur coup au bon endroit. C'est très exact, mais les tireurs moyens et ... les autres sont plus embarrassés. Que peut-on faire pour leur venir en aide !

Autrefois, on recommandait toujours, en pareil cas, de couvrir le gibier avec le bout du fusil : l'intention était excellente, mais le renseignement peu précis, car le bout du fusil, c'est vague, large et épais. Un tireur qui exécuterait à distance normale un tir dans ces conditions ne centrerait guère des coups tout en tirant assez haut. Il faut à la fois tirer haut et voir l'objectif ; autrement dit, faire porter le coup au-dessus du point visé, tout en laissant au tireur la vue de la ligne de mire.

Nous ne parlerons que pour mémoire d'un certain nombre de procédés préconisés à différentes reprises pour atteindre ce résultat : courbure des canons, excentration des chokes, etc. Deux méthodes sont seules recommandables.

La première, applicable aux armes existantes, consiste dans l'adjonction d'une petite hausse de quelques millimètres de hauteur. La seconde, employée par l'arquebuserie moderne, consiste à donner à la ligne de mire une inclinaison telle qu'elle assure un relèvement du centre de la gerbe d'environ 1 p. 100 de la distance. Le chasseur peut ainsi mieux suivre le gibier, en apprécier la direction exacte et, dans le cas du tir de la plume, ne plus guère tenir compte que de la direction.

Ce ne sont certes pas là panacées universelles, mais nous retiendrons que le relèvement automatique du coup est un avantage certain des armes modernes.

Inutile de dire que ce relèvement facilite également le tir du poil lorsque le gibier fuit devant le chasseur et qu'il n'est nullement une gêne dans le cas inverse d'un gibier venant vers le chasseur : il suffit de viser un peu plus bas, ce qui est facile dans la majorité des cas.

Il nous reste à examiner deux autres causes qui sont à l'origine d'un tir trop bas : la première est d'ordre physique, la seconde tient à la psychologie même du tireur.

Analysons la première : les fonctions du bras gauche sont doubles. Il est un support en temps normal et un organe de pointage au moment du tir. Il remplira d'autant mieux cette deuxième fonction qu'il ne sera pas fatigué par l'exercice prolongé de la première. En exécutant une série de pointés sur but fixe, il est facile de constater que l'arme tombe facilement en joue sans oscillations du guidon, lorsque le chasseur est dispos, et qu'inversement, après une longue journée de marche, le bras gauche, manquant de précision, n'arrive à fixer le guidon sur le but qu'après quelques oscillations d'une certaine amplitude ; d'où retard, imprécision et chances de tir très bas. Ici, l'arme à coup relevé sera avantageuse une fois de plus.

Nous aurons intérêt, dans un autre ordre d'idées, à l'emploi de tous les procédés diminuant la fatigue du bras gauche : alternance des bras dans le port de l'arme en marchant, bon équilibre du fusil et, enfin, poids de ce dernier proportionné aux force réelles du chasseur. C'est en fin de journée qu'un calibre 16 pourra surclasser un calibre 12, en dépit de la différence des charges.

La cause psychologique à laquelle nous avons fait allusion plus haut tient au fait que tous les humains ont tendance à l'à-peu-près, encouragés qu'ils sont par la suffisance des intentions dans bien des circonstances usuelles. La mécanique, elle, ne se contente pas d'intentions, elle exige un certain total pour qualifier un résultat.

Lancer un coup de fusil par à-peu-près et constater que la pièce ne tombe pas n'est pas un procédé recommandable, et il vaut mieux, sans prétendre tuer à tous coups, ne pas tirer du tout que de tirer avec négligence : le résultat est le même, et nous y trouverons l'économie d'une cartouche.

Toutefois, si, après avoir médité ces quelques réflexions, vous coupez parfois la queue d'un faisan, inutile de vous affliger outre mesure. Les plus adroits ont leurs faiblesses, et, quand elles ne sont pas trop fréquentes, la constatation de ces dernières nous fait mieux apprécier la valeur d'une honnête moyenne.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 705