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Les mésanges

Titi-tieu, titi-tieu, titi-tieu ! ...

Un pâle soleil, émergé du brouillard vers le milieu de la matinée, éclaire la campagne nue de décembre sans parvenir à la réchauffer. De la neige gelée traîne encore aux lisières des champs et des bois exposés au nord. Un convoi funèbre descend le chemin creux en direction du bourg, accompagnant à sa dernière demeure un pauvre vieux dont le froid a terminé brusquement la misérable existence de souffrances et de privations. La voix du prêtre arrive par bouffées, suivant les détours du chemin, mais, sur un frêne dépouillé, dans la haie qui le borde, une mésange charbonnière lance sans arrêt, à plein cœur, sa petite chanson monotone et régulière, si agréable pourtant à entendre en cette sombre saison et qui semble une protestation de la vie contre la mort réelle ou apparente de toutes choses. Puis, comme si la présence de tant de monde lui inspirait de la méfiance, elle fuit tout à coup, à rapides battements d'ailes, et, franchissant le mur de mon jardin, elle vient se restaurer sur ma fenêtre, où déjà depuis un moment se régalent ses petites sœurs bleues.

Mais elle ne s'attablera pas comme elles, si j'ose dire. Non ! Non ! Prudence est mère de sûreté. Elle saute sur sa graine et l'emporte à la cime d'un arbre où, la fixant de sa patte, elle la frappe du bec, à coups redoublés, jusqu'à ce qu'elle ait pu en extraire la substance oléagineuse qu'elle convoitait. Elle retournera à la fenêtre autant de fois qu'il le faudra, mais ce n'est que bien rarement qu'elle s'y attardera plus que le temps nécessaire pour y cueillir avec promptitude l'aliment qu'elle a choisi.

Prudence, audace, courage, ténacité, en faut-il davantage pour réussir dans la vie ? La mésange y réussit. Elle est, dans ma région, l'oiseau le plus commun. Neuf fois sur dix, mes jumelles, braquées sur une forme ailée, me révèlent le beau ventre jaune-soufre, coupé par une bande noire, la gorge et la tête de cette même couleur enserrant les joues blanches et le dos verdâtre de la grande mésange charbonnière, toujours en mouvement et aussi coléreuse qu'active.

Ses goûts omnivores lui facilitent l'existence pendant la mauvaise saison. Tout lui est bon : insectes, larves, graines, fruits secs et autres baies. Joignez-y une fécondité rare chez les petits oiseaux de cette taille et vous comprendrez les raisons de son abondance.

Titi-tieu, titi-tieu, titi-tieu ! ...

Mars, « qui rit malgré les averses », est venu nous avertir de l'approche du printemps. Ce n'est plus une seule voix qui scande maintenant le petit chant de l'espèce, mais un véritable concert. D'autres oiseaux aussi se font entendre en cet avant-printemps : merles, draines, pinsons, bruants, mais les mésanges y sont reines. Depuis trois mois qu'elles s'exerçaient à chaque rayon de soleil, à chaque adoucissement de la température, depuis trois mois qu'elles appelaient le beau temps, leur joie nuptiale éclate à présent dans sa précoce spontanéité. D'ici quelques semaines, avant la fin du mois, elles construiront déjà, dans un trou d'arbre où de muraille — ou bien dans un nichoir, si vous leur en offrez un, — leur petit matelas de mousse, parfois doublé de quelques crins, sur lequel elles déposeront huit ou dix petits œufs (quand ce n'est pas la douzaine) blancs à petites taches rouge pâle. La nichée sortira du nid, une des premières, aux environs de la Pentecôte, ce qui leur laissera le temps nécessaire pour une seconde, dans le courant de juin, un peu moins nombreuse, bien qu'elle atteigne le chiffre de cinq ou six œufs, comme chez la plupart des petits oiseaux.

En mars, quand le chœur des mésanges pausait pour un instant, quand le pinson cessait un moment ses roulades, et la sittelle ses clameurs, on entendait jadis, dans mon jardin, le même petit chant, repris par une voix différente, avec une intonation plus sonore, un rythme plus saccadé, précipité, presque fébrile. Il s'agissait de la mésange noire ou petite charbonnière. Plus exclusivement montagnarde, elle nous a quitté définitivement quand les constructions de la ville ont, dans notre voisinage, gagné sur la campagne. Elle ne nous visite plus guère, a présent, qu'à l'époque de ses déplacements d'automne, mais elle abonde dans tous les bois de la région. D'humeur plus douce que la précédente, elle est aussi beaucoup moins méfiante et se laisse facilement observer, avec de gentils petits cris, ti-ti, au bout des branches des résineux en compagnie de ses pareilles : une grappe de petites mésanges pas plus longues que la nonnette ou la mésange bleue, mais plus trapues, aux joues blanches, à tête et gorge noires, à dos bleuâtre, avec une large tache blanche sur la nuque et un ventre grisâtre partagé par la même bande noire que leur grande parente.

Comme celle-ci, comme toutes les mésanges, elle niche, en plein bois, dans des trous d'arbres ; mais, quand elle s'approche des habitations humaines, elle montre un goût particulier pour les trous des murs de jardin destinés à l'écoulement des eaux. Il en était ainsi chez moi et je connais un parc, à l'orée d'une forêt, où presque chaque trou de mur abrite, chaque printemps, un nid de petite charbonnière. Ses œufs, plus petits, sont en tout point semblables à ceux de la grande mésange et pour le moins aussi nombreux, comme ceux de toutes les autres espèces de mésanges, et, comme toutes les autres aussi, elle fait deux couvées par an et recherche une nourriture semblable à la leur.

Si nous allions à sa recherche, dans les bois qu'elle fréquente, nous y rencontrerions, à peu près aussi souvent qu'elle, une autre délicieuse espèce, de même petite taille, mais d'apparence très différente. Katherine Mansfield, la pauvre et charmante romancière anglaise qui, avant d'aller mourir misérablement d'une hémoptysie à Fontainebleau, soigna ses poumons malades en Suisse, à Montana, dans le Valais, nous a décrit son émerveillement d'y voir apparaître un jour, sur sa fenêtre, an exquisite little crested bird, qui était sûrement une mésange huppée, car son chant, nous dit-elle, était un trille, et l'on ne saurait mieux le décrire. Il résonne, ce petit trille, qui l'apparente presque au troglodyte et à la draine, dans les grands pins et les épicéas couverts de neige et bien davantage à la saison des amours. Elle niche parfois sur les lisières dans un trou d'arbre fruitier, un cerisier, un noyer, et vient aussi assez régulièrement me visiter à l'automne. J'ai même eu, une année, le plaisir de voir venir manger sur ma fenêtre cette jolie petite créature, vêtue beige rosé, aux joues blanchâtres soulignées d'un trait noir, comme sa gorge et les plumes de sa belle huppe, lesquelles, bordées de blanc, lui donnent une extraordinaire distinction et un charme d'une véritable originalité.

Pourtant, si l'on instituait entre les diverses espèces un concours de beauté, ce n'est pas elle, certainement, qui obtiendrait le premier prix, mais bien la ravissante mésange bleue. Un petit elfe ailé, un minuscule lutin féerique, à la grâce coquette et mutine et au plumage d'une harmonie douce et claire. Tête et dos d'un beau bleu d'azur, joues blanches cernées d'un étroit collier noir et d'une mince bande de même couleur qui s'en détache derrière la tête, pour encadrer les yeux et rejoindre le bec, ventre et poitrine d'un jaune léger. Tous ceux à qui j'ai pu la faire connaître ont eu la même exclamation admirative : « Oh ! elle est trop jolie ! » Mais elle est aussi assez silencieuse. Presque rien, chez elle, qui ressemble à un chant. Seulement le petit cri rageur de toutes les mésanges, dont elle possède le caractère combatif et querelleur. Quand elle est tout de bon en colère, il est amusant de l'entendre émettre quelques notes harmonieuses et musicales, presque trillées, qu'on prendrait pour un chant d'amour, mais qui indiquent, au contraire, que l'adorable petit oiseau, ayant atteint l'extrême limite de sa patience, est prêt à sortir de ses gonds et n'est plus maître de lui-même.

Il resterait à mentionner la petite nonnette grise, mésange entre les mésanges pour son effronterie, son audace et son énergie, si elle n'avait eu récemment, conjointement avec la fauvette à tête noire, les honneurs d'une page dans Le Chasseur Français de juin 1951.

Quant à la délicate mésange à longue queue, elle diffère trop, malgré son nom, par la douceur de ses mœurs et de son caractère, ainsi que par son apparence physique, de cette turbulente et coléreuse famille pour être confondue avec elle. S'il plaît à Dieu, son tour viendra plus tard, et nous pourrons étudier alors à loisir la merveilleuse construction de son nid ainsi que sa douce et attachante existence familiale.

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 708