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La chasse au chien courant

Un hallali

Pour un début de chasse, nous sommes comblés !

Voilà bien deux heures que nous galopons à travers la forêt, et maintenant devant moi s'étend une immense plaine que la saison hivernale a rendue encore plus vaste et plus déserte.

Nous avons attaqué à midi passé un grand sanglier après l'avoir rapproché longtemps, car le garde, dont c'était l'unique brisée, n'a pas eu le loisir de le rembucher, pressé par l'heure du rendez-vous. C'est la raison de notre lancer trop tardif qui a suivi un rapprocher pénible et long. Pour un seigneur de cette importance, nous aurions eu pourtant besoin de plus de jour. En décembre la nuit vient vite, peut-être même trop rapidement en l'occurrence pour amener l'hallali souhaité.

Pour diminuer encore nos faibles chances, nous ne sommes que deux à suivre la chasse ; il est vrai que l'ami galopant à mes côtés, le fond de culotte à dix centimètres de sa selle, est un vrai veneur, aussi bonne trompe que cavalier intrépide, et supérieurement monté sur un pur sang un peu âgé, mais infatigable.

Et je me réjouis de le voir étendre ses grandes foulées élastiques, peu gêné par son cavalier, dont le poids, je le sais, ne dépasse pas beaucoup celui d'un jockey d'obstacle.

Le sol est bon et, dans le lointain incertain où une ligne violette indiquait seule tout à l'heure les grands bois qui coupent l'horizon, on peut discerner maintenant des silhouettes d'arbres où les pins jettent leur note sombre, car, nos bons chiens marchant à plein train sur cette voie fumante, le débucher est rondement mené.

Les bois où nous entrons me sont peu familiers, c'est une suite de boqueteaux coupés de landes d'ajoncs et de brandes, un lieu fort désert en somme, assez mal percé, où il n'est pas facile de suivre et, à plus forte raison, d'être aux chiens.

Notre sanglier, que ce débucher à grande allure a peut-être essoufflé ou qui, se sentant chez lui en ce nouveau terrain si différent des belles futaies que nous venons de quitter, a décidé de jouer du boutoir, esquisse de petits fermes roulants et se coule au trot dans les endroits les plus fourrés, ceux qui sont le plus favorables pour lui si le combat doit s'engager.

En tant que maître d'un vautrait bien modeste (je n'ai découplé qu'une quinzaine de chiens ce matin), je n'ai nulle envie, on le comprend, de les faire démolir inutilement et de sacrifier ainsi mes meilleurs sujets pour la vaine gloriole d'un hallali aléatoire.

Je décide donc de faire parler la poudre, et je le crie à mon ami en lui disant de ne pas hésiter à tirer notre animal si l'occasion se présentait.

Le demi-sang que j'ai entre les jambes est un cheval de chasse remarquable, aussi adroit que vite, et il me porte comme une plume en passant à travers bois avec la souplesse d'une couleuvre.

J'ai pu ainsi me rapprocher de la chasse, et me voici tout près des chiens, qui aboient leur sanglier encore une fois. Je saute de cheval, prenant le fusil court que je porte à ma selle, je bondis dans une sorte de layon, et cela juste à temps pour voir mon sanglier le franchir. Je le tire alors au coup d'épaule, comme un lapin, et sans savoir, bien entendu, où porte la balle de mon calibre 20. Les chiens passent en trombe, je rejoins mon cheval, je saute en selle et je sonne des bien aller retentissants afin de bien marquer ma joie et effrayer s'il se peut le goret. Il semble que j'ai atteint ce double but, car mon sanglier perce droit devant lui, accompagné par les clameurs déchirantes de la meute, je sonne toujours comme un enragé en queue des chiens et les appuie hardiment.

Tout ce beau tapage a permis à mon ami de devancer la chasse, il est posté sur une route à la limite d'un boqueteau ; de l'autre côté, la sombre uniformité d'une lande d'ajoncs s'étend.

Le sanglier de nouveau fait tête et les chiens l'aboient avec fureur. La chasse avance lentement, coupée d'arrêts fréquents, puis de brusques départs ponctués alors par les récris éclatants de nos poitevins.

J'arrive sous bois en suivant à peu près parallèlement, et comme je peux, la marche du sanglier, pour déboucher sur l'allée où se tient mon bon camarade. Il attend, l'arme haute, à peine à 100 mètres de moi, tourné vers le fourré où les abois font rage. C'est alors que je vois le sanglier surgir sur l'allée. Il est vraiment monstrueux, et sa couleur claire le fait paraître presque blanc sur le vert foncé des genêts. Il avance au pas, menaçant, énorme et singulièrement redoutable ; je comprends fort bien l'attitude prudente des chiens, qui entourent à distance respectueuse cet imposant adversaire.

Il est arrêté maintenant sur le bord de l'allée, à une dizaine de mètres de mon ami, et semble le défier ou se ramasser pour une charge décisive.

Le chasseur, le fusil à l'épaule, est immobile comme une statue. Il est vraiment très chic, avec sa silhouette mince, petit mais bien campé dans ses bottes admirablement coupées (c'est sa seule coquetterie) qui moulent étroitement ses jambes maigres, de vraies jambes de cerf. Les chiens se sont tus, et c'est un spectacle saisissant que je peux contempler, assez angoissé, comme on l'imagine, et sans qu'il me soit possible de rien tenter, étant donnée la distance où je me trouve. Le temps passe, terriblement long, une minute peut-être — mais une de ces minutes qui comptent, — puis le sanglier avance vers mon ami ; il a repris son allure toujours aussi lente, mais toujours aussi menaçante ; il n'est plus qu'à quelques mètres, quand, enfin, le coup de fusil tonne, le solitaire chancelle, puis s'écroule, bientôt coiffé par les poitevins.

Comme, plus tard, je félicitais mon ami de son extraordinaire sang-froid et de son calme étonnant pendant cette fin de chasse si émouvante, il me répondit simplement qu'il n'avait pas voulu tirer plus tôt à cause des chiens qui le gênaient.

Le comportement étrange de cet énorme sanglier, un des rares animaux que j'ai vus qui pesaient trois cents livres, nous fut expliqué quand il fut dépouillé et que la balle de mon calibre 20 apparut alors en plein corps. Le coup n'était peut-être pas mortel, mais il avait causé d'assez graves dommages pour obliger notre animal à prendre cette allure ralentie qui nous avait paru aussi étrange qu'émotionnante.

La nuit, maintenant, était venue et, après une curée sommaire, ne prélevant que les cuissots du sanglier qui furent attachés au trousquin de nos selles, nous dûmes laisser le reste en plein bois où nous le fîmes prendre le lendemain.

Mais, en repassant dans la grande plaine, plus vaste encore dans l'obscurité, les trompes sonnaient la Retraite Prise et la Mort du Grand Sanglier.

Guy HUBLOT.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 709