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Chiens courants d'autrefois et d'aujourd'hui

Il ne fait aucun doute, ainsi que je l'ai dit en parlant du greyhound, que les premiers chiens employés pour la poursuite et la prise des animaux ont été les lévriers, que plus tard on se servit simultanément des lévriers et des chiens courants, avant de n'employer à la chasse à courre que les seuls chiens courants.

On a beaucoup moins de certitude sur le point de savoir ce qu'étaient et d'où provenaient ces chiens courants.

Dans ses Métamorphoses, Ovide parle de ces chiens comme ayant des voix sonores, habitués à suivre les troupeaux et assez fins de nez pour suivre aussi la piste des animaux sauvages.

Seulement, Ovide est un poète, et les poètes mettent tant d'imagination personnelle dans leurs récits qu'il ne faut pas croire comme parole d'Évangile tout ce qu'ils affirment.

Pline, lui, prétend que certains de ces chiens courants étaient des métis de loup et de chienne ... Contentons-nous donc de voir ce qui existait au XVIe siècle, époque à laquelle on trouve des documents plus précis.

Charles Estienne et Jean Liebault, dans leur Maison Rustique, disent qu'il existait alors quatre variétés de chiens courants : les Blancs, les Fauves, les Gris et les Noirs. À chaque variété ils assignaient des qualités ou des défauts caractéristiques.

« Les Blancs sont les meilleurs, car ils sont de haut nez, vites, ardents, et ne lassent jamais de chasser par chaleur qui puisse durer ; sans se rompre à la foule des piqueurs, ni au bruit et cris des hommes, gardant mieux le change que nulle des autres espèces de chiens et sont de meilleure créance ; toutefois, ils veulent être accompagnés de piqueurs ... »

Ce détail semble indiquer que, malgré leur tempérament ardent, ils manquaient de ténacité et n'étaient pas très requérants.

Les tout blancs étaient les plus appréciés, ainsi que ceux qui étaient marqués de « rouge ». Quant à ceux marqués de noir ou de gris sale, ils étaient peu estimés, surtout parce qu'ils avaient généralement les pieds « gras et tendres ».

« Les Fauves les secondent et sont de grand cœur, d'entreprise et de haut nez, gardant bien le change, quasi du naturel des Blancs, excepté qu'ils n'endurent pas si bien les chaleurs, ni la foule des piqueurs ; ils sont toutefois plus vites et plus ardents, et ne craignent ni les eaux ni le froid, et courent sûrement et de grande hardiesse, et aiment communément le cerf sur toute autre bête, et ne font cas des lièvres ; vrai est qu'ils sont plus opiniâtres et plus malaisés à dresser que les Blancs et de plus grande peine au travail. Les meilleurs chiens d'entre les Fauves sont ceux qui ont le poil plus vif, tirant sur le rouge, et qui ont une tache blanche au front ou au col, pareillement ceux qui sont tout fauves ; mais ceux qui tirent sur le jaune, étant marqués de gris ou de noir, ne valent guère. Les chiens blanc et fauve ne sont bons que pour les rois, princes et grands seigneurs, non pas pour les gentilshommes, parce qu'ils ne courent qu'aux cerfs et non autre bête. »

« Les Gris courent bien toutes bêtes qu'on voudra leur faire chasser, mais ne sont si vites, ni si vigoureux que les autres, principalement ceux qui ont la jambe fauve tirant sur le blanc. Ils sont néanmoins ardents et de grand cœur ; ne craignant ni le froid, ni l'eau, courant de grand courage et n'abandonnant jamais la bête qu'elle ne soit morte ; vrai est qu'ils craignent la chaleur, la foule des piqueurs, le bruit des hommes, et n'aiment pas une bête qui ruse et tournoye, mais en récompense il est impossible de voir courir de plus vites et meilleurs chiens. »

» Les Noirs sont puissants de corsage, toutefois ils ont les jambes basses et courtes, aussi ne sont-ils pas vites, bien qu'ils volent de haut nez, ne craignant ni les eaux, ni les froidures, et désirent plus les bêtes puantes comme sangliers, renards et leurs semblables, qu'autres, parce qu'ils ne se sentent pas le cœur, ni la vigueur pour courir et prendre les bêtes légères.

» Or, parce que l'on dit communément : de toutes tailles bons chiens, il se peut faire que le pelage ne fasse pas beaucoup à la bonté du chien et qu'en toutes sortes de pelage se trouvent de forts bons et beaux chiens. Pour cette cause il faut qu'un chien, de quelque pelage qu'il soit, pour être beau et bon, ait les signes qui s'ensuivent : la tête moyennement grosse, plutôt longue que camuse, les naseaux gros et ouverts, les oreilles larges et de moyenne épaisseur ; les reins courbés, le râble gros, les hanches grosses et larges, les cuisses troussées, le jarret droit bien harpé, la queue grosse près des reins et le reste grêle jusqu'au bout, le poil de dessous le ventre rude, la jambe grosse, la patte du pied sèche et en forme de celle d'un renard, les ongles gros, le derrière aussi beau que le devant ; le mâle doit être court et courbé, et la lice longue. »

Il ressort de tout cela que le beau et bon chien de cette époque était un animal bâti en force, plutôt solide et gros qu'élégant.

À ce moment-là, on ne discutait pas sur la supériorité du pied de chat ou du pied de lièvre. On adoptait comme type du pied le meilleur : le pied de renard. L'expression : « jarret droit bien harpé », n'est pas très heureuse, car, en réalité, un jarret harpé est un jarret assez coudé. Aujourd'hui beaucoup d'amateurs prisent avant tout l'oreille fine, souple, longue et plantée bas. D'après les dessins anciens, l'oreille de nos chiens courants était plutôt plantée assez haut, et la description ci-dessus parle d'une oreille large et de moyenne épaisseur, ce qui équivaut à dire qu'elle était plutôt plate. D'ailleurs, c'est cette forme plate que l'on retrouve sur toutes les gravures reproduisant les chiens courants de cette époque.

La formation et la grande renommée des chiens Blancs a fait passer à la postérité le nom de « Souillard ». Son union avec la chienne Baude a été immortalisée par toute la littérature cynégétique, parce que c'est de ce mariage qu'est née la grande lignée des chiens Blancs que sont devenus les « chiens Blancs du Roy ». Ce Souillard était probablement d'origine Saint-Hubert de la variété blanche. Son propriétaire, un modeste gentilhomme, crut, en vertu des qualités rares de son animal, faire un appréciable cadeau en l'offrant à Louis XI. On ne sait pourquoi, le roi n'attacha aucune importance au Souillard et le donna au sénéchal Gaston, qui le céda lui-même au grand maître des équipages d'Anne de Beaujeu, où l'on sut reconnaître ses qualités, puisqu'on le choisit comme étalon pour la chienne Baude. Cette chienne Baude était une Braque d'Italie rapportée par un secrétaire de Louis XII. De cet accouplement naquirent Cléraul, Soubar, Mérant, Maigret Marteux et Oise. Leur robe, à proéminence de blanc, n'avait que quelques taches fauves.

François 1er eut une prédilection très marquée pour ces chiens blancs qui furent incontestablement la souche des chiens de Vendée de Baudry d'Asson, de Billy d'Hublot du Rivault, de Chambray, et des chiens de Porcelaine.

J'ai l'impression que cette nomenclature de l'époque, ne parlant que de quatre variétés, devait être bien incomplète, et qu'il devait certainement en exister d'autres. Il me paraît tout à fait inadmissible que, en trois cents ans, on soit parvenu à fixer toutes les races qui étaient connues du XIXe siècle, énumérées au nombre de onze par le comte Lecoulteux, dans son ouvrage Races de chiens courants au XIXe siècle. Je les examinerai dans un prochain article.

Paul DAUBIGNÉ.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 720