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Le saumon

Pêche à la cuillère

La pêche du saumon va bientôt s'ouvrir (10 janvier 1953) ; on peut donc en parler avec opportunité. Au début de la saison, il apparaît que la cuillère, appât artificiel métallique bien connu de tous les pêcheurs, soit, pour ce poisson, un des plus efficaces ; c'est pourquoi nous en parlerons aujourd'hui, à l'intention des débutants désireux de se mesurer avec le saumon. On pêche habituellement ce poisson au « lancer lourd » ; non pas qu'on ne puisse le prendre autrement, mais à cause de la facilité plus grande que donne ce procédé. Un équipement de fortune n'occasionnerait que des déboires ; il est donc nécessaire qu'il soit particulièrement soigné.

Cannes.

— Sont employées, de préférence, les cannes à deux mains, tant pour une meilleure facilité de manœuvre en terrain difficile que pour celle qu'elles donnent dans la lutte avec un poisson aussi puissant que le saumon. Celles que j'ai vues le plus souvent dans les mains des pêcheurs du haut Allier ou des gaves pyrénéens mesuraient de 3m,20 à 3m,50, en deux bouts réunis par une solide virole renforcée ; la plupart étaient en greenheart ou en bambou refendu. Ces dernières surtout, lorsqu'elles sont de premier choix, allient la robustesse à la nervosité et à la souplesse nécessaires. Elles sont munies d'anneaux à centre d'agate ou de porcelaine, d'un solide porte-moulinet métallique et d'un pommeau de caoutchouc de 55 millimètres de diamètre.

Moulinet.

— On peut employer le quadrimultiplicateur, mais le plus pratique est un grand moulinet simple en noyer, de 125 millimètres de diamètre, aux joues renforcées par une garniture métallique. Le cric, le frein et le guide-ligne sont indispensables. Ce moulinet peut contenir environ 100 yards de grosse soie à lancer, tressée et non imperméabilisée (résistance : 15 kg., minimum). La manœuvre de ce moulinet s'apprend très vite, et les perruques sont rares. Je sais fort bien que la technique a évolué et que les nouveaux moulinets à tambour fixe, munis de tous les perfectionnements, sont encore préférables et donnent entière satisfaction à leurs heureux possesseurs.

Corps de ligne.

— En grosse soie à lancer, comme nous l'avons dit ; elle sera continue, sans nœuds ni épissures, et surtout pas de parties faibles.

Bas de ligne.

— Longueur ordinaire 0m,75, en fil d'acier unique inoxydable (40/100 de mm.), muni à chaque extrémité d'un solide émerillon. Celui du bas est un n°5 en laiton dur qui s'accroche à l'anneau brisé de la cuillère ; celui du haut est un « link » qui prend dans la boucle inférieure du plomb-bateau, qu'on peut ainsi changer aisément suivant les besoins.

Plomb-bateau.

— Absolument nécessaire pour maintenir la cuillère — appât léger — le plus près possible du fond. Il est muni le plus souvent de deux émerillons « link », parfois simplement de deux boucles en laiton, une à chaque extrémité. L'anneau inférieur se rattache à l'émerillon supérieur du bas de ligne d'acier ; à l'anneau supérieur est fixée la soie du corps de ligne par un nœud triple, spécialement étudié pour qu'il ne glisse pas.

Par sa forme plate et la plus grande épaisseur de sa partie inférieure, le plomb-bateau se tient plus près du fond que la cuillère et évite ainsi les accrochages. Quand on le sent talonner sur le fond, il suffit d'une récupération un peu plus rapide pour qu'il remonte à un niveau un peu moins inférieur. Le poids des plombs-bateaux varie de 30 à 60 grammes, suivant la force des courants. Il existe actuellement des cuillères lourdes qui s'emploient sans plomb ; c'est là un notable progrès.

Cuillères.

— Mesurent 50 millimètres de long sur 22mm,5 de largeur environ. Les plus prisées sont celles à facettes avec un seul trou en haut pour l'attache de l'anneau brisé. La monture est fixée aussi à cet anneau, de manière qu'elle reste sur la partie concave. La cuillère doit briller d'un éclat assez vif, argenté en dehors, doré dans sa concavité.

Monture.

— De préférence en fil d'acier inoxydable (grosseur 40/100). À l'extrémité inférieure, un seul hameçon triple carré et bronzé, taille 2, avec anneau. Ce grappin est fixé par un tour du fil sur chacune des trois branches ; ledit fil est ensuite torsadé autour de la hampe, passe dans l'anneau, est encore torsadé au-dessus de ce dernier pour venir enfin se rattacher solidement à l'anneau brisé qui tient la cuillère. Le tout est ainsi maintenu rigide et non ballant ; ce système d'attache est le meilleur et empêche la plupart des accrochages sur la soie lors du lancer. De plus, le ferrage étant direct, les pointes pénètrent avec plus de force ; il y a moins de ratés.

La pêche.

— On pêche surtout le saumon dans des endroits spéciaux, appelés « mouilles » dans l'Allier, « pools » dans les gaves pyrénéens, « stangs » en Bretagne. Ce sont des étendues d'eau assez larges, étalées, en général pas trop profondes et à courant relativement modéré. Les meilleurs « pools » sont ceux où existent de grosses roches, émergentes ou non, des failles et lignes de rochers, des dénivellements, des souches et arbres tombés à l'eau, bref, un certain nombre d'obstacles qui rompent le courant, produisent des remous et offrent au saumon d'admirables cachettes. Quelques-unes sont célèbres et, chaque année, il est capturé dans leur entourage un nombre assez grand de poissons.

Les « pools » doivent être pêchés avec patience et minutie, car on ne sait pas si le saumon attaquera l'appât près ou loin du bord, au début, au milieu ou à la fin du « pool ». Pour en faciliter la prospection méthodique, il est bon d'être chaussé de bottes cuissardes ou, mieux, de grands pantalons imperméables. Cela permet de s'avancer dans la rivière et de pouvoir ainsi mieux atteindre la proximité des obstacles où se tient le saumon. On commence par des lancers assez courts, en éventail tout autour de soi, puis on s'avance dans l'eau en allongeant les jets et en s'efforçant de passer aux bons endroits. Le saumon se tient le plus souvent près du fond ; il faut donc que la cuillère évolue peu au-dessus, et c'est la raison de l'emploi du plomb-bateau qui oblige le dispositif à tenir un niveau inférieur et empêche la soie de vriller. La récupération de la cuillère ne doit pas être trop vive, mais néanmoins suffisante pour qu'elle tourne bien. L'attaque du saumon sur la cuillère est souvent brutale. Tout à coup se produit un arrêt subit ressemblant à un accrochage ; il convient de ferrer aussitôt sans violence, mais très nettement. Aussitôt piqué, le saumon part en trombe et déroule 30 à 40 mètres de fil d'un seul jet ; il faut le laisser faire, car toute résistance à ce moment conduirait à la catastrophe. Quand il s'arrête, on le tâte en tendant le fil, et celui-ci ne devra, dès lors, plus se détendre qu'on soit ou non obligé de donner de la ligne. Décrire la lutte nous mènerait trop loin, et les bons traités le font avec autorité. L'essentiel est de conserver son sang-froid malgré l'émotion ressentie. Une gaffe est indispensable pour retirer le saumon pâmé, et un ami expérimenté dans son maniement est d'un prix inestimable.

R. PORTIER.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 724