« Je n'avais pas besoin d'employer ces nymphes quand
les truites prenaient en surface, la mouche sèche étant alors d'un emploi plus
facile et plus efficace, mais, dans toutes les occasions où la truite
concentrait son attention aux nymphes et négligeait les mouches flottantes,
j'ai trouvé que le modèle approprié de nymphe était la meilleure solution, même
par les temps les plus clairs et l'eau la plus tranquille. » (Skues, Pêche
de la truite à la nymphe.) On doit considérer la pêche à la nymphe comme un
mode de pêche à la mouche noyée.
Un autre auteur halieutique, T. Burnant, a exprimé
d'une manière plus concise, plus catégorique et péremptoire, la même opinion et
la même façon d'agir, voire identique, en disant : « Lorsque je ne
fais vraiment rien en sèche, je me mets en noyée et je prends immédiatement du
poisson. »
En faisant abstraction de bien des raisonnements sur le
comportement du poisson, déterminé par des causes très diverses, compliquées,
souvent difficiles ou impossibles à trouver, qui s'interfèrent, s'enchevêtrent,
mais dont la recherche, l'étude et l'invention, raisonnées ou intuitives, plus
ou moins rapides, déterminent le degré de force du pêcheur, on peut dire que
les deux auteurs sont parfaitement d'accord tout en étant situés en des points
de vue différents.
Toutefois, T. Burnant, dans un paragraphe précédent
spécial, s'était étendu suffisamment sur la mouche coulée, où il prend la
précaution de la bien distinguer de la mouche noyée. Mouche coulée, mouillée,
noyée, glissée sèche ou mouillée, etc., tout cela paraît être bien compliqué.
Et il faut encore y ajouter la nymphe !
Cependant, il n'y a pas un vieux pêcheur à la mouche sincère
qui n'avouera avoir constaté la nécessité de connaître toutes ces — je
dirai — variétés ou nuances de l'art de la pêche à la mouche. Mais celui
qui reconnaît le bon pêcheur au poids du panier, au retour de la pêche, sans
souci des méthodes employées et des connaissances exploitées, ne serait-il pas
dans le vrai ? N'est-ce pas le critérium indiscutable en dernier ressort ?
Celui, d'ailleurs, des concours de pêche !
Toutes les méthodes peuvent être aussi sportives les unes
que les autres quand on ne fait pas appel au hasard. On peut préférer une
méthode par goût ou tout autre motif : qualité de la rivière où l'on opère,
âge, caractère, fatigue, santé, force, degré de fortune, etc., que quelquefois
on n'ose avouer par une espèce d'orgueil ou de timidité. Mais, à priori, il
semble, en notre pays démocrate, que la pêche en mouche sèche soit la plus
cotée parce que la plus aristocratique.
On a dit d'elle, en Angleterre il est vrai, qu'elle a été
longtemps l'apanage de quelques « fanatiques qui voulaient arrêter le
soleil et rétablir le despotisme exclusif de leur méthode » ...
La pratique de tous les genres de pêche montre, en réalité,
que le plus difficile de ces genres n'est pas facile à découvrir. Dans tous les
procédés ou méthodes, il y a des difficultés particulières. Ces difficultés
apparaissent surtout lorsqu'on s'obstine à vouloir appliquer une méthode qui
n'est pas appropriée au caractère de la rivière ou au comportement du poisson
au moment où l'on pêche (nymphe). S'obstiner, par exemple, à pêcher le poisson
au fond quand il est en surface, ou en surface quand il est au fond, est une
erreur. Un exemple analogue à celui de la nymphe, tout aussi caractéristique,
que tous les pêcheurs connaissent, c'est celui du gardon. Le gardon se tient
parfois à mi-hauteur entre le fond et la surface. On ne prend rien si on
pêche-au fond ou en surface ; on les prend facilement si on a soin de
mettre le flotteur à la distance du plomb qui correspond à celle du poisson à
la surface.
Mais, pour parler d'une façon générale, il faut dire que
l'état physiologique ou biologique, ou constitutionnel — que sais-je ?
— du poisson le tient en un endroit et non en un autre, où il est vain
d'aller le chercher. En outre, cet état exige de lui une nourriture, un
comportement spécial, le seul qui lui convienne, ou plutôt qui a sa
préférence, au moment considéré. Si vous vous obstinez à lui mal présenter
une autre nourriture, ce sera peine perdue. Tous les secrets de la pêche sont
contenus dans cette double constatation.
Être pêcheur à la mouche sèche, exclusivement, est un droit
absolu ; mais n'allez pas dire que le pêcheur à la mouche noyée peut se
permettre d'être plus ignorant ou plus maladroit que le pêcheur à la mouche
sèche, ou réciproquement.
À mon tour, j'affirme que, lorsque je ne fais vraiment rien
en mouche noyée, je me mets en mouche sèche et je prends immédiatement du
poisson ... (1). Quelquefois, pas toujours ! Rapprochez, unissez
ces trois opinions sans oublier la restriction de la troisième ; vous
serez dans le vrai. Ne vous mettez pas des œillères.
Le vrai du vrai et le plus difficile, c'est de savoir
prendre le poisson, en toutes circonstances, si vous voulez le prendre. Si vous
voulez ne faire que du « sport », que du lancer et non de la pêche,
il n'est pas besoin d'avoir du poisson. Vous le pourrez partout, comme partout
on peut jouer aux boules. Mais la pêche, pour moi, n'est pas encore,
heureusement, une partie de pétanque. Il me semble, en effet, que faire du
sport pour le sport, comme dans ma jeunesse on faisait de l'art pour l'art, est
une manifestation sénile d'où l'esprit de compétition, apanage des jeunes, est
exclu. Je me trouve assez vieux sans cela ... Et, cependant, croyez-bien
que le poisson qui est dans le panier m'indiffère totalement.
S'il me fallait dire, pour terminer, quel est mon auteur
préféré, je dirais que j'ai une grande sympathie pour le premier. Pourtant, il
est souvent, lui aussi, bien exclusif. Par exemple, quand il admet l'influence
du hasard providentiel à la mouche noyée. Du hasard ! ce dieu ou démon que
je prétends pouvoir être éliminé par la connaissance. Je ne puis citer dans ma
vie de pêcheur qu'un seul cas, sans nul doute dû au hasard ; le voici :
En péchant à la mouche sèche « Up Stream » en
wading, on déploie, par de faux lancers, la ligne en arrière, en évitant de
toucher l'eau, pour pouvoir la projeter en avant ; mais il arrive, lorsque
le jet est long, que le fait se produit juste au moment du lancer en avant.
C'est l'espace d'une fraction de seconde. C'est à ce moment, aussi court que
rapide, que j'ai pris, une fois, une grosse vandoise. C'était bien, n'est-ce
pas, du hasard, et à la mouche sèche ! Faudrait-il en faire cas pour
minimiser l'attrait de la mouche sèche ? Évidemment non.
Il n'en est pas de même pour bien d'autres succès à la
mouche noyée, qu'on attribue au hasard par parti pris, parce qu'on n'y a pas
assez réfléchi.
P. CARRÈRE.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 630 : « La
vandoise au soleil ».
P.-S. — Nous n'avons pas voulu nous arrêter sur le
point de vue qui fait interdire, en rivière privée, la mouche noyée parce que,
dit-on, trop meurtrière, trop destructive, trop facile. Que ce soit en sèche ou
en noyée, il y a toujours des moments où chaque méthode est destructive et
facile. C'est ainsi qu'en mouche sèche, il m'est arrivé de prendre
quatre-vingt-trois chevesnes en moins de deux heures, sur la même place ; jamais,
au grand jamais, cela ne peut arriver en mouche noyée. À ce point de vue il
faut préciser, distinguer : ce peut être le fait de règlements de sociétés
privées où les heureux propriétaires peuvent faire ce, qu'ils veulent, ici ce
serait trop long, fastidieux et peut-être … déplorable.
P. C.
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