Accueil  > Années 1952  > N°670 Décembre 1952  > Page 729 Tous droits réservés

La course contre la montre

et le chronométrage

On dit de la course contre la montre qu'elle est la seule épreuve de vérité. Je le croirais volontiers, et la victoire de Louison Bobet dans le Grand Prix des Nations, en septembre, a prouvé surabondamment qu'un homme de classe, en forme, peut gagner.

Dommage que d'autres considérations que celles qui constituent la mesure athlétique intrinsèque entrent en ligne de compte, lorsqu'il s'agit de faire vivre, prospérer et se propager un sport comme le cyclisme.

On mourrait d'ennui à voir, toute une année, des cyclistes lutter individuellement contre le temps. La Grande-Bretagne, dans son conservatisme séculaire, l'a fort bien compris, puisque à son tour elle a admis que les coureurs cyclistes pouvaient se disputer la palme en peloton, compacts et nombreux. Elle a renoncé, du même coup, à exiger le port des jambières et des manches longues, admettant seulement, maigre consolation, que ce vieil instrument, datant de l'autre siècle, qu'est le tricycle puisse être utilisé encore en compétition individuelle, c'est-à-dire en essais contre le temps.

Le Grand Prix des Nations, dont le palmarès se pare à présent des noms d'Archambaud, Louviot, A. Magne (trois fois). Cogan, Aimar (deux fois), Idée, Somers, Carrara, Tassin, Coppi, Berton, Coste, Koblet et Bobet, dernier vainqueur, apporte donc, annuellement, la grande vérité attendue. On peut seulement regretter qu'elle ne soit pas requise en pleine saison, lorsque tous les champions sont en bonne santé.

Fin septembre, bien des carrosseries sont égratignées, des musculatures froissées et des organes surmenés, d'où des trous dans les listes d'inscriptions que comblent des jeunes, ce qui est un bon côté de la chose.

Y. Marrec ne s'est pas révélé autrement, cette année même, qu'au moyen d'une place laissée vacante par un « grand » désarçonné.

Quelle chose curieuse que ces courses contre la montre qui nécessitent un chronométrage précis pour les résultats finaux ! ... Mais aussi un chronométrage constant pour l'information sur le parcours.

C'est ainsi que, dans le Grand Prix des Nations, un poste fonctionnait à Houdan, soit à 39km,300 du départ, distance à peu près évaluée comme étant celle de l'heure. Un autre était installé au classique centième kilomètre et un troisième à Buc, à l'endroit où les coureurs, échappés de la fameuse vallée de Chevreuse, portent dès lors une marque horaire sur laquelle peuvent commencer à s'étayer les pronostics.

L'expérience me tenta de me livrer au calcul des temps à l'aide d'un chrono à dédoublante et rattrapante, ce qui veut dire, pour le néophyte, que l'on peut arrêter l'une des deux aiguilles en vue d'enregistrer un temps, puis la libérer, afin qu'elle rattrape l'autre qui, elle, ne s'est pas arrêtée.

On m'installa à Houdan en plein vent. Un charcutier voulut bien me prêter table et chaise et me protéger de la pluie en descendant son store ...

La théorie est magnifique, et je fis un sort heureux à la pratique, encore qu'il ne soit pas si facile que l'on croit : de savoir quel coureur arrive, de prendre un temps, de le lire vite sans se tromper, de l'inscrire, de remettre en marche la montre, de recommencer pour le coureur suivant, de classer les fiches dans un ordre qui varie avec chaque passage enregistré, de répondre aux questions qu'on vous pose, d'y voir clair à travers cent dos ...

Car le quidam qui se place droit devant vous et vous ferme la vue se retourne fréquemment pour demander : « Combien ? » ... et ne laisse pas s'approcher les grappes de journalistes qui, eux, ont à travailler et disposent, logiquement, du droit de compulser vos fiches et d'amorcer un utile commentaire ...

De toute façon, s'il est facile de calculer là, ce soir, dans le calme de mon bureau, en écrivant mon article, que l'homme parti à 11h.56, s'il passe à 13h.2' 37", a mis 1 h.6' 37'' ... cela devient compliqué si, dans le même coup, celui parti à 4 minutes arrive quinze mètres derrière lui ... s'il ne le précède pas ...

J'eus la partie belle ... car, en près de 40 kilomètres, si des intervalles s'étaient fermés, aucun chevauchement ne s'était produit, et je pus, après deux heures d'inaction physique, mais d'éclatement visuel et cérébral, rentrer serein ...

Cet essai me fait évaluer la tâche phénoménale d'un chronométreur du Tour de France ou d'une grande course à étapes, lequel doit presque simultanément :

Prendre les temps de l'étape des coureurs et fournir les moyennes ;

Additionner les temps partiels à ceux du classement général pour chaque homme et reconstituer un nouveau classement avec moyennes ...

Et ce dans le tintamarre que vous connaissez ...

Le chronométrage électrique a, certes, simplifié la tâche des manipulateurs ; la machine à calculer est venue au secours des ... calculateurs, mais le cerveau et les nerfs n'ont pas, pour autant, pris leur retraite ...

Alors, je tire un de ces coups de chapeau « maison » aux chronométreurs ... aux autres ... à ceux qui n'ont pas seulement, comme moi, récité un simple abécédaire ... (et encore ! avec le concours d'un secrétaire) ...

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 729