On dit de la course contre la montre qu'elle est la
seule épreuve de vérité. Je le croirais volontiers, et la victoire de Louison
Bobet dans le Grand Prix des Nations, en septembre, a prouvé surabondamment
qu'un homme de classe, en forme, peut gagner.
Dommage que d'autres considérations que celles qui
constituent la mesure athlétique intrinsèque entrent en ligne de compte,
lorsqu'il s'agit de faire vivre, prospérer et se propager un sport comme le
cyclisme.
On mourrait d'ennui à voir, toute une année, des cyclistes
lutter individuellement contre le temps. La Grande-Bretagne, dans son
conservatisme séculaire, l'a fort bien compris, puisque à son tour elle a admis
que les coureurs cyclistes pouvaient se disputer la palme en peloton, compacts
et nombreux. Elle a renoncé, du même coup, à exiger le port des jambières et
des manches longues, admettant seulement, maigre consolation, que ce vieil
instrument, datant de l'autre siècle, qu'est le tricycle puisse être utilisé
encore en compétition individuelle, c'est-à-dire en essais contre le temps.
Le Grand Prix des Nations, dont le palmarès se pare à
présent des noms d'Archambaud, Louviot, A. Magne (trois fois). Cogan, Aimar
(deux fois), Idée, Somers, Carrara, Tassin, Coppi, Berton, Coste, Koblet et
Bobet, dernier vainqueur, apporte donc, annuellement, la grande vérité
attendue. On peut seulement regretter qu'elle ne soit pas requise en pleine
saison, lorsque tous les champions sont en bonne santé.
Fin septembre, bien des carrosseries sont égratignées, des
musculatures froissées et des organes surmenés, d'où des trous dans les listes
d'inscriptions que comblent des jeunes, ce qui est un bon côté de la chose.
Y. Marrec ne s'est pas révélé autrement, cette année même,
qu'au moyen d'une place laissée vacante par un « grand » désarçonné.
Quelle chose curieuse que ces courses contre la montre qui
nécessitent un chronométrage précis pour les résultats finaux ! ...
Mais aussi un chronométrage constant pour l'information sur le parcours.
C'est ainsi que, dans le Grand Prix des Nations, un poste
fonctionnait à Houdan, soit à 39km,300 du départ, distance à peu
près évaluée comme étant celle de l'heure. Un autre était installé au classique
centième kilomètre et un troisième à Buc, à l'endroit où les coureurs, échappés
de la fameuse vallée de Chevreuse, portent dès lors une marque horaire sur
laquelle peuvent commencer à s'étayer les pronostics.
L'expérience me tenta de me livrer au calcul des temps à
l'aide d'un chrono à dédoublante et rattrapante, ce qui veut dire, pour le
néophyte, que l'on peut arrêter l'une des deux aiguilles en vue d'enregistrer
un temps, puis la libérer, afin qu'elle rattrape l'autre qui, elle, ne s'est
pas arrêtée.
On m'installa à Houdan en plein vent. Un charcutier voulut
bien me prêter table et chaise et me protéger de la pluie en descendant son
store ...
La théorie est magnifique, et je fis un sort heureux à la
pratique, encore qu'il ne soit pas si facile que l'on croit : de savoir
quel coureur arrive, de prendre un temps, de le lire vite sans se tromper, de
l'inscrire, de remettre en marche la montre, de recommencer pour le coureur
suivant, de classer les fiches dans un ordre qui varie avec chaque passage
enregistré, de répondre aux questions qu'on vous pose, d'y voir clair à travers
cent dos ...
Car le quidam qui se place droit devant vous et vous ferme
la vue se retourne fréquemment pour demander : « Combien ? » ...
et ne laisse pas s'approcher les grappes de journalistes qui, eux, ont à
travailler et disposent, logiquement, du droit de compulser vos fiches et
d'amorcer un utile commentaire ...
De toute façon, s'il est facile de calculer là, ce soir,
dans le calme de mon bureau, en écrivant mon article, que l'homme parti à
11h.56, s'il passe à 13h.2' 37", a mis 1 h.6' 37'' ...
cela devient compliqué si, dans le même coup, celui parti à 4 minutes arrive
quinze mètres derrière lui ... s'il ne le précède pas ...
J'eus la partie belle ... car, en près de 40
kilomètres, si des intervalles s'étaient fermés, aucun chevauchement ne s'était
produit, et je pus, après deux heures d'inaction physique, mais d'éclatement
visuel et cérébral, rentrer serein ...
Cet essai me fait évaluer la tâche phénoménale d'un
chronométreur du Tour de France ou d'une grande course à étapes, lequel doit
presque simultanément :
Prendre les temps de l'étape des coureurs et fournir les
moyennes ;
Additionner les temps partiels à ceux du classement général
pour chaque homme et reconstituer un nouveau classement avec moyennes ...
Et ce dans le tintamarre que vous connaissez ...
Le chronométrage électrique a, certes, simplifié la tâche
des manipulateurs ; la machine à calculer est venue au secours des ...
calculateurs, mais le cerveau et les nerfs n'ont pas, pour autant, pris leur
retraite ...
Alors, je tire un de ces coups de chapeau « maison »
aux chronométreurs ... aux autres ... à ceux qui n'ont pas seulement,
comme moi, récité un simple abécédaire ... (et encore ! avec le
concours d'un secrétaire) ...
René CHESAL.
|