arbre de Noël est, par excellence, le sapin. Mais depuis
quand est-il associé à cette festivité ? Depuis quand dans le monde ?
Depuis quand en France ?
Chez nous, c'est en l'an 573 que le moine irlandais
Colomban, séjournant chez Contran, roi des Burgondes, aurait pour la première
fois accroché des torches en forme de croix à un sapin vénéré des sujets de ce
roi.
Une autre tradition veut que ce soit non pas au pays des
premiers Bourguignons, mais en Alsace, que le sapin de Noël aurait fait sa
première apparition en Occident, au XVIe siècle.
Il paraîtrait même que c'est de là que cette coutume se
serait répandue dans les pays du Nord de l'Europe. Curieuse pérégrination pour
arriver d'Alsace en Île-de-France, où l'arbre de Noël fit son apparition en
1840 au palais des Tuileries. La Cour s'extasia devant cette nouveauté amenée
d'Allemagne par la princesse Hélène de Mecklembourg.
Pourtant il paraît douteux à d'autres fouilleurs du passé
que les pays nordiques aient reçu de l'Occident l'habitude de fêter par des
arbres sacrés parés et illuminés le solstice d'hiver, la célébration des
solstices étant à la base de tous les calendriers mythologiques et mythiques.
Si le dieu initial des Scandinaves était Bor (figure bien proche du Borée des
Grecs), Odin passe pour avoir été son petit-fils et prophète avant que de
devenir lui-même dieu. Et Odin, à la suite d'échecs subis par ses congénères
Scandinaves, aurait dû, avec eux, quitter le Caucase natal, ce paradis des
beaux résineux. Devenus hommes du Nord, les disciples d'Odin conservèrent
l'emprise des grands sapins caucasiens, d'autant mieux que les conifères se
manifestaient aussi comme l'arbre par excellence des sylves boréales. Aussi
Odin fut-il toujours considéré comme le maître des sapins. Quand on voit que
chez les Celtes modernes le solstice d'été est toujours vigoureusement fêté par
des feux de la Saint-Jean — voir sur les crêtes bourguignonnes du Morvan,
— il y a tout lieu de s'imaginer les feux de joie qui pouvaient célébrer
le solstice d'hiver, annonciateur des fructifications et du printemps prochain
chez ces hôtes des régions boréales, feux de joie dont sans doute plus d'un
sapin fit les frais.
Or les Burgondes avaient pour berceau l'île de Bornholm dans
la Baltique, toujours considérée comme le paradis de la Baltique, et dont les
vieux Danois firent le séjour ou peut-être même le berceau aussi du premier de
leur dieu : Bor ou Bur. C'est de cette même île de Bornholm que d'autres
clans se seraient dirigés vers l'Europe, les Bor et les Rouss. Les Rouss
devinrent les Russes. La région où fusionnèrent des Bors et des Rouss devint la
Borussie, nom qui se contracta par la suite en Prusse. Un autre clan, parti
vers l'ouest, devint le peuple frison. Un autre groupe parti d'une autre île
danoise fut celui des Vikings ou Normands.
Il y a donc tout lieu de penser que les premiers Burgondes
installés chez nous en Savoie avant que de descendre dans l'actuelle Bourgogne
y avaient apporté le culte nostalgique du sapin cher à Odin, petit-fils de Bor,
et que, lors des festivités du solstice d'hiver, coïncidant avec le Christmas
nordique d'aujourd'hui et la Nativité, méditerranéenne d'essence, ils le
paraient et l'illuminaient. Durant son séjour chez leur roi Contran,
l'Irlandais Colomban n'a sans doute fait que modifier la forme des petites
torches, devenues nos bougies, et fait passer le sapin du service du solstice odinique
à celui de la Nativité chrétienne.
Depuis cette « conversion » du sapin réalisée par
Colomban, et même depuis l'arbre de Noël de la princesse de Mecklembourg la
manière d'illuminer les arbres de Noël a bien évolué. Si les bougies sont
encore abondamment utilisées, les lampes électriques sont aussi de la fête.
Ainsi, à New-York, les arbres de Noël qui, sur des kilomètres, s'alignent au
long de Park Avenue présentent un pullulement d'ampoules électriques rouges et
bleues.
Les bougies sont d'ailleurs interdites. Cette peur de
l'incendie est une survivance de la phobie des bougies résultant des nombreux
désastres dus aux chandelles des arbres de Noël au temps où l'Amérique n'avait
que des maisons tout bois. À remarquer que, si les Américains d'aujourd'hui
illuminent à profusion leurs arbres de Noël, ce n'est pas grâce aux premiers
colons qui, très puritains, firent voter en 1659 une loi interdisant toute
réjouissance pour Noël, loi qui fut respectée durant près d'un siècle.
Il devait arriver que cette coutume des arbres de Noël
suscitât une sorte de véritable industrie où, pour mieux dire, de culture.
En France, par exemple, toutes les régions où poussent des
sapins et des épicéas peuvent fournir des arbres de Noël. Mais il en est qui en
produisent beaucoup plus que d'autres et qui se sont organisées dans ce but.
C'est le cas des Vosges et du Morvan. Celui-ci, en une seule année (1951), a
vendu cinq cent mille arbres de Noël.
Si les arbres de Noël morvandiaux ont tant de succès, c'est
parce qu'ils sont trapus et bien garnis. Ceux des Vosges, sans aucunement
cesser d'avoir leur beauté, sont plus effilés. Il advient que leurs couronnes
de branches soient trop espacées. Aussi, depuis une quinzaine d'années, l'arbre
de Noël est-il devenu une culture organisée dans les secteurs pauvres du haut
Morvan, dans la région de Saulieu.
Ce sapin de Noël morvandiau est un épicéa.
Cet épicéa est repiqué plusieurs fois. Ensuite, à trois ou
quatre ans, il est planté dans un terrain spécialement aménagé. On le laisse
ensuite grandir de cinq à dix années selon qu'on désire vendre des arbres de
Noël n'ayant que soixante centimètres ou ayant plusieurs mètres de hauteur.
Au début de décembre, avec un ruban ou une corde, on marque
les arbres retenus pour Noël. Puis on les enserre dans un lacis de ficelles
pour accentuer leur forme pyramidale. Ils sont arrachés s'ils sont petits. Ils
sont sciés s'ils sont grands.
Malheureusement, dans nombre d'endroits les gens qui ont
envie d'arbres de Noël n'hésitent pas à pratiquer une véritable maraude et à
déraciner de jeunes conifères de toutes espèces, anéantissant ainsi la richesse
qu'eût représenté cet arbre devenu majeur. Autour de certaines villes de Provence,
c'est, plusieurs nuits durant, un saccage des plus belles pinèdes, et de belles
autos y participent tout aussi bien que d'humbles vélos à remorques.
Mais la France n'est pas seule à posséder ses bûcherons de
Noël. Le Canada est, lui aussi, un grand producteur d'arbres de Noël. En plus
de sa propre consommation, il en expédie jusqu'à deux millions par an aux
États-Unis. Il en envoie par avion jusqu'à Cuba, jusqu'aux Bermudes et aux
Antilles.
Le personnel des services forestiers de la Couronne compte
même de véritables spécialistes de l'arbre de Noël.
Pour de nombreux colons et cultivateurs, l'arbre de Noël est
plus qu'une industrie d'appoint. Dans les cantons de l'Est, le reboisement est
pratiqué spécialement en vue de la production de ces petits conifères. L'arbre
de Noël canadien n'est pas toujours un sapin. Il peut être pin rouge, épinette,
parfois même cèdre. Certaines régions ont une préférence marquée pour ce bel
arbre.
Les États-Unis possèdent, eux aussi, leurs forestiers de
Noël. Les plus connus sont ceux de Minerva, un village sylvestre au nord de
New-York, dans la grande forêt de l'Adirondack.
Ils sont une centaine spécialisés dans l'art de fournir à
New-York les sapins dont cette ville fait une grande consommation tant dans ses
rues et sur ses places que chez les particuliers. C'est un arbre de Noël géant
que celui du Rockfeller Centre, mais celui de Wall Street est encore plus grand
avec ses quinze mètres de hauteur. La ville des buildings se devait d'avoir un
arbre de Noël gratte-ciel.
A. SOULILLOU.
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