Le Puy de Musique d’Évreux
 
État des connaissances et bibliographie
Fait majeur de l’histoire de la musique en Normandie et, bien au-delà, de la vie musicale de la Renaissance, le Puy de musique d’Évreux créé en 1575 fut le premier et le principal concours de composition musicale à s’être régulièrement tenu avant l’époque contemporaine. Issu d’une tradition poétique remontant au XIIIe siècle, ce concours s’en distingue par son objet : la composition musicale. Cette singularité est liée à la présence à Évreux d’une personnalité exceptionnelle, Guillaume Costeley, organiste du roi de France de 1560 à 1587 environ, probablement originaire de Pont-Audemer et principal compositeur français de sa génération. En 1570, après avoir fait paraître à Paris une vaste somme de ses œuvres intitulée Musique, ce maître de la chanson française alors âgé d’une quarantaine d’années se retira à Évreux, où il résida jusqu’à sa mort en 1606. Il fut à l’origine de l’établissement, dès 1570, d’une confrérie des chanteurs de la cathédrale d’Évreux consacrée à sainte Cécile, patronne des musiciens. Si cette confrérie est, parmi d’autres, à l’origine de la tradition toujours vivace des banquets de musiciens de la sainte Cécile, son importance historique tient d’abord à la qualité impressionante du palmarès de son concours de composition.
Un unique registre, conservé aux archives d’Évreux, contient tout l’historique de la confrérie depuis sa création jusqu’aux premières années du XVIIe siècle, avec le palmarès détaillé du Puy pour les années 1575 à 1589. Il indique qu’en octobre 1570, les « chantres et clercs de semaine » de la cathédrale d’Évreux, « mûs de dévotion » et « pour inviter ceux qui viendront après eux à mettre peine d’apprendre ledit art de musique » fondèrent une confrérie en l’honneur de sainte Cécile, en imitant « plusieurs belles fondations [faites] par les zélateurs du service de Dieu, amateurs de l’art de musique qui, tous les ans, au jour et fête de ladite vierge, chantent motets, hymnes et louanges à Dieu le créateur et à elle ». Son objet consistait à célébrer trois services religieux en musique la veille et le jour de la sainte Cécile, et une messe des trépassés le lendemain. La confrérie était administrée par un trésorier élu pour trois ans, tandis qu’un « prince », élu pour un an, devait veiller au bon déroulement des cérémonies et, notamment, « préparer lieu honnête et la table pour après la grand messe du jour de la fête, recevoir amiablement la compagnie au convive du dîner [banquet du soir], en quoi n’est obligé faire autres frais, s’il ne lui plaît, car chacun des fondateurs fera porter son vivre ». Le premier « prince » de la confrérie fut, sans surprise, Guillaume Costeley.
C’est en 1575 que fut institué, le lendemain de la sainte Cécile (22 novembre), ce « puy ou concertation de musique » dont le but était d’« exciter tous facteurs musiciens à composer motets latins, chansons, airs et sonnets français en musique, le tout en l’honneur et révérence de Dieu et collaudation de ladite vierge ». Le prince et le trésorier devaient faire imprimer au moins deux cents affiches et annonces par « Adrien Leroy, imprimeur de musique du roi, demeurant à Paris, afin que par icelles, plusieurs musiciens soient invités d’envoyer de leurs œuvres audit Puy ». Sept prix (des travaux d’orfèvrerie commandés à Paris) récompenseraient les meilleures œuvres soumises dans cinq catégories :
- motet à cinq voix en deux parties (orgue et harpe d’argent pour les deux premiers nommés)
- chanson à cinq voix sur un poème au choix, « hors texte scandaleux » (luth et lyre d’argent)
- air et chanson « légère - facétieuse » à quatre voix (cornet et flûte d'argent)
- enfin, chanson sur un sonnet chrétien, en deux parties (« triomphe de la Cécile, enrichi d'or, qui             est le plus grand prix »).
Pour la proclamation des résultats, le Prince devait marcher avec les confrères et les chantres, « lesquels pour rendre grâces à Dieu de l’heureux succès de leur concertation, iront devant le grand portail de l’église Notre-Dame et là, chanteront à haute voix les motets primés au Puy, après chacun desquels chanté, ils feront entendre aux assistants les noms des auteurs », faisant de même ensuite pour les chansons dans la cour de la maison des enfants de chœur.
Preuve de l’aura de Costeley et de l’influence de son éditeur Adrien Le Roy, les plus grands noms de la musique de cette époque participèrent au concours, à commencer par le plus grand de tous, Roland de Lassus. À ses côtés figurent au palmarès les principaux musiciens du roi de France, Eustache du Caurroy, Jacques Salmon et Nicolas Millot, le futur maître de musique de Philippe II d’Espagne, Georges de La Hèle, deux italiens installés en France, Fabrice Caietan et le cornettiste Regolo Vecoli, et bien d’autres encore. Des œuvres de tous ces musiciens sont aujourd’hui conservées, mais la perte des volumes dans lesquels la confrérie avait fait copier toutes les soumissions dignes d’intérêt, afin qu’elles « ne tombent en oubli », fait que moins d’une dizaine des cinquante-sept compositions primées entre 1575 et 1589 nous sont connues.
Le Puy, qui ne se tint ni en 1590, ni en 1591, « en raison des troubles », reprit à une date indeterminée, sans doute au début du XVIIe siècle. Aucune liste des prix distribués après 1589 n’ayant été retrouvée, les rares indications précises sur le Puy proviennent presque exclusivement d’une affiche annonçant sa tenue en 1667, mais dans l’état actuel des connaissances, on ne sait à quelle date il s’interrompit définitivement. Les puys de musique créés au Mans et à Caen au milieu du XVIIe siècle semblent avoir repris le modèle d’Évreux, comme d’autres villes qui instituèrent des concours de composition encore mal connus.
 
 
Portraits de Guillaume Costeley, Pascal de L’Estocart et Roland de Lassus,
en frontispice de publications de leur œuvres :
 
                   
 
 
Éléments de bibliographie
Théodose Bonnin et Alphonse Chassant (éd.), Puy de musique érigé à Évreux en l’honneur de Madame Sainte-Cécile, manuscrit du XVIe siècle (Évreux : Ancelle, 1837 ; réimpr. Genève : Minkoff, 1972, coll. La Vie musicale dans les Provinces françaises, 2).
Vladimir Fédorov, « Évreux », MGG (Kassel : Bärenreiter, 1949-1986), t. 3 (1954), col. 1638-1641.
Geneviève Gantès, Les puys de musique de Rouen, Évreux et Caen, mémoire de maîtrise, Université Paris-IV Sorbonne, 1985.
Jean Mineray, Évreux : histoire de la ville à travers les âges (Luneray : Bertout, 1988).
Elizabeth Teviotdale, « The Invitation to the Puy d’Evreux », Current Musicology, 52 (1993), p. 7-26.