I- APPLICATIONS

Cette communication s’inscrit dans le cadre d’un projet européen Socrates Lingua D visant à transférer les pratiques de l’apprentissage des langues en tandem de l’université au lycée. L'apprentissage d'une langue en tandem consiste à mettre face à face (tandems présentiels) ou en correspondance (tandems par email) deux natifs de langues différentes, qui apprennent chacun la langue maternelle de l’autre. Ce type d'apprentissage s'est développé depuis les vingt dernières années dans les universités et les centres de formation pour adultes, auprès d'un public autonome et volontaire. L’apprentissage des langues en tandem se base sur deux principes, autonomie et réciprocité. Or ces notions sont loin d’être familières à des élèves du secondaire, habitués à dépendre entièrement de leur professeur et à demeurer centrés sur eux-mêmes.

Dans une première partie on proposera des exemples d’application de tandem qui témoignent de la nécessité pour l’enseignant de mettre en oeuvre des stratégies nouvelles. Il s’agit en fait de permettre aux apprenants d’acquérir des méthodes d’apprentissage autonome et solidaire utilisables tout au long de la vie, même et surtout hors du contexte scolaire.

Dans une deuxième partie, on s’interrogera sur les implications de ce type d’apprentissage tant chez l’élève que chez le professeur,.

I-1 Les différents types de tandem

Les tandems présentiels, où deux apprenants de langue différente sont face à face, permettent une amélioration notable de l’expression orale, mais il est difficile de disposer de suffisamment de natifs de la langue deux dans les lycées français. C’est pourquoi nous nous concentrerons ici sur les tandems par courrier électronique (email) que l’on peut aisément mettre en oeuvre dans m’importe quel établissement scolaire.

Je mène cette expérimentation depuis deux ans au lycée Blaise Pascal de Rouen, lycée à orientation technologique, avec des élèves de seconde et de première. J’ai ainsi entrepris de les guider vers l'autonomie et la prise en charge de leur apprentissage en trois étapes progressives, en partant des tandems encadrés, totalement intégrés aux séances de cours et à la progression pédagogique, pour évoluer vers les tandems semi-encadrés puis les tandem libres, c’est à dire en autonomie complète.

I-2 Tandem encadré

- Mise en place et intégration dans le projet pédagogique annuel

Un contact  différent avec la langue et l’enseignant

Je suis partie du constat que la majorité de mes élèves rejetaient l’anglais qu’ils considéraient comme une matière littéraire. Ma première démarche a donc été de leur montrer que l'anglais était avant tout une langue de communication, pour s’informer, découvrir et échanger, et de leur présenter une image de l’enseignant sans masque et plus accessible.

Pour le premier contact, j’ai utilisé la méthode anglo-saxonne des ‘ice-breakers’ : les élèves m'ont posé des questions personnelles auxquelles j'ai répondu franchement, puis ils ont fait la même démarche auprès d'un camarade qu'ils ont ensuite présenté oralement à la classe. Les objectifs de la séquence visaient à acquérir :

A l’issue de ces premières séances les élèves disposaient des outils linguistiques et méthodologiques nécessaires à la mise en place des tandems par email et le professeur avait pu recenser les thèmes de discussion susceptibles de créer la plus grande motivation.

Organisation matérielle

Le cadre matériel

J'ai donc ensuite mis en place le cadre matériel. Il faut en effet prendre en compte le fait que les élèves évoluent constamment dans un cadre scolaire très rigide, bien davantage que dans d’autres pays européens. Leur habitude des règlements, des surveillances étroites, des sanctions est telle que ni l'administration ni les parents d’élèves, ni les élèves eux-mêmes ne pourraient accepter un affranchissement trop brutal. C’est pourquoi le tandem encadré me paraît le meilleur point de départ. La correspondance en tandem a donc d’abord eu lieu pendant les séances de cours, avec ma classe de seconde divisée en deux groupes de 17 élèves, l’un des groupes travaillant dans la salle informatique comptant dix-sept postes, l’autre demeurant dans la salle de classe.

Le cadre déontologique

La correspondance en tandem implique l’acceptation d’une déontologie spécifique qui ne se limite pas à la « netiquette » (voir http://www.ac-versailles.fr/mp/netiquet.htm ) mais qui implique un code de conduite à l’égard d’un partenaire de culture différente.

Cette phase de l’organisation matérielle a donc consisté à poser (ou à faire poser par les élèves) les principes de base dans une charte ratifiée par tous.

L’agence tandem

Pour trouver des partenaires tandem, je suis passée par l'agence tandem de Bochum (http://www.slf.ruhr-uni-bochum.de/ ) qui m'a mise en relation avec une enseignante anglaise désirant elle aussi organiser une correspondance en tandem avec ses élèves. Nous avons décidé ensemble de la fréquence des échanges, des sujets de discussion et nous avons formé les paires.

Intégration de la correspondance dans la progression

Les élèves sont habitués à des séquences d'enseignement où tous les éléments concourent à construire un savoir. Il faut donc, dans un premier temps, de constantes concordances entre les cours en classe entière et les séances tandem, afin que les élèves perçoivent cette correspondance comme une partie intégrante de leur apprentissage. C'est pourquoi ma collègue anglaise et moi avons imposé des sujets de discussion en rapport avec nos programmes scolaires. Ceci a permis aux élèves de réutiliser ce qu'ils avaient appris en classe dans leurs messages, et inversement le contenu des messages dans la langue cible a pu être exploité en cours.


Un exemple d’exploitation en aval en classe entière

Après un échange de courriers sur Halloween, deux élèves ont proposé au reste de la classe de lire et comparer les messages qu’ils avaient reçus sur leur propre messagerie, grâce à un vidéoprojecteur. L'une des correspondantes aimait sortir et s'amuser, l'autre trouvait que ce n'était plus de son âge et restait à la maison. Les deux élèves ont confirmé cette différence à leurs camarades en évoquant le contenu de messages antérieurs. Les phrases les plus significatives ont fait l’objet d’une trace écrite comportant le nom des élèves concernés. Le contenu et les modalités de cette séance ont émané entièrement des élèves eux-mêmes.

Cette démarche a produit un effet immédiat sur ces deux élèves :

Quant au reste de la classe, ils ont pris l’habitude de mettre en commun en séance de cours les informations culturelles ou linguistiques qu’ils retiraient de leur correspondance.

 

Bilan

Le résultat le plus visible est la remotivation des élèves pour l’apprentissage de l’anglais, mais au-delà de cette première étape, on note de réelles acquisitions :

Compétences linguistiques et méthodologiques

Compétences culturelles

Compétences intellectuelles

I-3 Tandem semi-encadré

Après un à deux mois, les élèves deviennent capables de gérer leur autonomie. Certains élèves qui n’avaient pas voulu assumer d’emblée une correspondance individuelle ont décidé de faire le pas. D’autres se montrent si impatients de lire leur courrier qu’ils profitent de leurs heures de liberté pour aller le consulter au CDI. Le moment est alors venu d’alléger l’encadrement et d’espacer les séances en présence de l’enseignant. Mais, si l’on veut que cette activité reste un apprentissage, l’enseignant doit alors continuer à diriger les échanges à distance, et fournir aux élèves des outils pour en tirer des éléments utiles. Nous entrons ici dans la phase de tandems semi-encadrés.

Organisation matérielle et pédagogique

Les élèves peuvent utiliser leur ordinateur à la maison, ceux du CDI ou ceux de la salle informatique où je leur permets de travailler en autonomie. Certains restent deux heures de plus chaque semaine, et tous respectent un matériel dont ils apprécient l’usage (Aucun vandalisme n’a été constaté).

Mais le cadre scolaire demeure : les élèves doivent rendre un dossier (portfolio) qui montre leur correspondance et ce qu'ils en ont appris (voir fiche d'analyse) et les thèmes dont ils discutent sont en relation directe avec les séquences d’enseignement. L’élève est devenu autonome quant à l’intégration de la correspondance en tandem dans les séances de cours.

Un exemple d’activité de repérage des éléments essentiels d’un message

Le but de cette activité est d’entraîner au repérage d’éléments essentiels d’un texte long - ici une compilation de messages - activité transférable à du repérage d’éléments dans des pages Web. D’un côté, cela ressemble à une activité de compréhension de l’écrit classique, de l’autre on s’aperçoit que les compétences intellectuelles sont grandement sollicitées :

Cette activité leur a ainsi fourni :

Un exemple d’intégration du tandem semi-encadré dans une séquence pédagogique

A travers un texte et des sites internet, nous avons étudié les modes d'apprentissage et le choix d'une carrière. En complément, les élèves ont découvert que leurs correspondants peuvent avoir un emploi à temps partiel en plus de l’école et ils ont discuté spontanément des avantages des deux situations. La séquence s’est close par un débat, où ils ont utilisé à l'oral les arguments qu'ils avaient trouvés sur Internet en cours et ceux que leur avait fournis leur correspondant. Ils ont enfin rédigé une argumentation écrite de 200 mots, à partir des notes prises lors du débat.

Bilan

Les parents me disent avoir constaté une attitude plus positive vis à vis de l'anglais, en classe et à la maison. Les élèves parlent de ce qui se passe en cours, de leurs correspondants, et n'hésitent plus à utiliser un mode d'emploi en anglais, à l’expliquer à leur entourage…..

I-4 Tandem libre

Vers le milieu de l’année scolaire, certains élèves signalent à l’enseignant qu’ils ont trouvé d’autres correspondants par eux-mêmes, ou qu’ils ont abordé avec leur correspondant un thème différent de ceux étudiés en classe, et qu’ils ont appris des choses passionnantes. C’est le signe qu’ils sont prêts pour les tandems libres. La prise d’autonomie s’est faite de manière naturelle, et au rythme personnel de chaque élève.

Bilan

Certains élèves correspondent régulièrement en autonomie complète. Un élève a même trouvé seul plusieurs correspondants anglophones ou utilisant l'anglais comme langue véhiculaire et il correspond régulièrement avec tous.

Pour d'autres, allergiques à l'écriture, ce travail a été une occasion de réfléchir à leur orthographe en français. Comme ils sont les experts en français, ils doivent fournir un modèle aussi correct que possible. Ils ont donc pris l'habitude de relire et de corriger leurs productions, ce qui pourra leur être utile pour le Baccalauréat de français à la fin de l'année.

A ce stade, l’enseignant ne contrôle plus la nationalité des correspondants ou les thèmes de discussion, mais les élèves interviennent spontanément dans les cours pour rapporter une information ou un fait de langue qui les a intrigué, ou qu’ils souhaitent partager avec la classe.

Conclusion 

Le fait que certains élèves n’aient pris leur autonomie que l’année suivante montre bien que, comme dans toute activité, tous n’évoluent pas à la même vitesse, et que ce rythme ne peut pas être imposé de l’extérieur. Pour faire face à cette hétérogénéité quant au degré d’autonomie de ses élèves, l’enseignant devra mettre en place des activités différentes pendant les séances TICE en classe entière, au cours desquelles les élèves qui ont le mieux intégré la démarche d’autonomie pourront la transférer à d’autres travaux, tels que fabriquer des dossiers ou des pages web sur un thème choisi. L’essentiel, pour l’enseignant, est de suivre les élèves dans leur évolution, afin qu’ils progressent régulièrement et à leur rythme. L’apprenant conserve ainsi toute sa motivation. S’il a l’impression de stagner, ou d’être laissé en arrière, il se démotive rapidement, cesse tout effort et se désintéresse de l’activité.

Ce type de travail engendre une modification de la relation pédagogique et des rôles habituels de chacun. Claire Tardieu va à présent nous montrer quelles sont les implications de la correspondance en tandem sur le rôle de l’élève et celui de l’enseignant.

Christine Reymond
Lycée Blaise Pascal
Rouen, France