Néo-absolutisme et rivalité austro-prussienne (1849-1867)

1°) Les succès du cabinet Schwarzenberg (1849-1852)

Le gouvernement (ou cabinet ministériel) constitué par Schwarzenberg - sous le regard vigilant et jaloux de l'Empereur François-Joseph - comptait des personnalités fortes et stables ; tel Alexander Bach au Ministère de l'Intérieur , Leo Thun à celui de l'Instruction Publique et des Cultes, ou le ministre Bruck au Commerce puis aux Finances (jusqu'en 1860). Mais après 1852, l'Empereur se chargea en fait pratiquement seul de tout, s'entourant d'une petite poignée de fidèles, contrôlant personnellement les Affaires Étrangères et l'armée, et supprimant même en 1853 le Ministère de la Guerre.

C'est notamment cette conception jalouse et personnalisée à l'extrême (autocratique) du pouvoir qui a fait parler de Néo-absolutisme pour décrire la période de Réaction et de reprise en main autoritaire des années 1849-1859. Cette façon de gouverner allait à l'encontre de la tradition impériale habsbourgeoise, toujours limitée par l'aristocratie, les Ordres et leurs Diètes, puis les assemblées constituantes de Vienne, Budapest et Francfort. Or, l'ampleur des constations nationalistes exigeait, du point de vue de François-Joseph, une réponse énergique.

La mise au pas de la Hongrie :
François-Joseph commença dès l'automne 1849 cette reprise en main en nommant le baron Geringer gouverneur général. La Hongrie se retrouva ainsi du jour au lendemain absorbée dans l'Autriche ! Le pays fut "réorganisé" (quasi démantelé) en 5 districts, on lui ôta la Transylvanie, sépara la Voïvodine serbe du reste, créa la région autonome de Temesvar.
Les préfets seraient désormais nommés par Vienne, les Diètes et les autres assemblées territoriales étaient dissoutes. Des fonctionnaires autrichiens, secondés par des gendarmes (corps créé en 1849 !), occupèrent les postes de l'administration hongroise.
Or, en dépit d'une répression politique sévère, les Hongrois supportèrent stoïquement la présence autrichienne, car la politique économique de l'Empire, elle, fut nettement moins obtuse et intransigeante ; l'abolition du servage fut confirmée, ainsi que celle des droits de douane entre Autriche et Hongrie, favorisant les échanges marchands à l'intérieur d'une zone unifiée à l'image du Zollverein prussien.

L'Italie du nord en état de siège :
S'appuyant sur Radetzky, Schwarzenberg et François-Joseph (qui détestait les Italiens) soumirent la région à de lourdes amendes, taxes et emprunts forcés destinés à intimider les couches aisées les plus hostiles à l'Autriche.
Le contrôle politique et judiciaire fut renforcé par la fusion du Sénat Milanais avec la Cour Suprême de Vienne et la mutation d'office des juges dans la capitale autrichienne !

La germanisation de la Bohême :
Après avoir déjoué un complot de Bakounine (en 1850), les hommes du ministre de l'Intérieur Bach écartèrent, arrêtèrent ou exilèrent tous les opposants politiques et intellectuels tchèques (Havlicek, Palacky, Smetana, etc.), et les journaux indépendants furent supprimés.
La Bohême et la Moravie furent elles aussi divisées en districts administrés par des gouverneurs qui obéissaient directement au ministre Bach. La seule langue administrative unique et obligatoire devint l'allemand ; la bureaucratie s'empara des deux provinces.

La politique vis-à-vis de la Prusse :
Schwarzenberg envisageait quatre solutions pour la reconstruction du monde germanique :
- une fédération dirigée par le Parlement de Francfort (de 1848) ;
- une "Petite Allemagne", réduite à la Prusse ;
Mais ces deux solutions étaient contraires aux intérêts autrichiens, et :
- la reconstitution de la Confédération Germanique de 1815 ;
- une nouvelle Confédération de la "Grande Allemagne" incluant cette fois-ci, outre l'Autriche et l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie, la Galicie, etc. L'ensemble compterait 70 millions d'habitants.

En fait, Berlin et Vienne n'étaient d'accord que sur un point : supprimer le Parlement de Francfort, symbole de démocratie et de faiblesse pour François-Joseph et Frédéric-Guillaume IV (Friedrich-Wilhelm IV.) En refusant, le 2 avril 1849, d'être nommé empereur d'Allemagne par le Parlement de Francfort, ce dernier retardait la naissance d'une "Petite Allemagne" (il faudrait attendre 1871 avant que l'occasion se représente) et rendait du même coup service à l'Autriche !
Mais la rivalité entre les deux principaux pays allemands ne s'éteignit par pour autant. Les partisans de la Grande ou de la Petite Allemagne s'affrontèrent à propos du Grand-Duché de Hesse-Cassel (Großherzogtum Hessen-Cassel) dont le souverain menacé par le peuple (!) demanda l'aide de Francfort. On envoya l'armée bavaroise, mais la Prusse protesta contre cette ingérence dans ce qu'elle considérait comme un état de "son" Allemagne restreinte. En accord avec la Bavière et le Wurtemberg, l'Autriche, également soutenue par la Russie, se prépara à la guerre contre la Prusse. La négociation finale qui vit la (dernière) victoire diplomatique de Schwarzenberg eut lieu à Olmutz (la fameuse "Reculade d'Olmutz", 2 novembre 1850).
La Conférence de Dresde (1851) restaura la Confédération Germanique de 1815, mais la rancœur de la Prusse alla jusqu'à empêcher l'entrée de l'Autriche dans le Zollverein (Union Douanière). En fait, cette demi-victoire ne faisait que retarder la montée en puissance du nationalisme germano-prussien.

2°) Le néo-absolutisme de François-Joseph (1852-1859) :

Franz-Josef Après la mort de Schwarzenberg, François-Joseph prend en main tous les rênes du pouvoir (absolu). La bureaucratie devient omniprésente et omnipotente (grâce aux 36 Principes énoncés dans la Patente du 31 décembre 1851, laquelle abolissait la Constitution de 1848) ; au soutien de l'armée et de l'Église Catholique (Concordat de 1855), l'Empereur s'adjoint les services d'écrivains officiellement chargés de chanter ses louanges ! L'Empereur promulgue les lois "sur avis de mon Conseil des Ministres" !
Enfin, l'Empire est germanisé : la langue administrative unique est l'allemand, dont l'enseignement est rendu obligatoire dans tous les établissements secondaires et supérieurs (sauf en Lombardie-Vénétie et à Cracovie).

La politique économique, en revanche, fut plus souple et l'Empire connut un véritable essor dans ce domaine. Les paysans furent émancipés et les terrains agricoles furent remembrés (au profit de grands propriétaires). Les droits de douane disparurent entre Autriche et Hongrie, et ils furent considérablement réduits avec la Prusse et les états du sud de l'Allemagne. De même, le système fiscal fut unifié et modernisé et le crédit favorisé (naissance de la banque d'affaires Rothschild).
Finalement, on peut dire que la période du néo-absolutisme facilita le succès du libéralisme économique mais qu'elle fut un frein considérable au libéralisme politique.

3°) La politique extérieure (1859-1866) :

La guerre de Crimée (1854) :

C'est le renversement d'alliance de l'Autriche qui causa l'échec du néo-absolutisme. La Russie, partenaire privilégié jusqu'à la mort de Schwarzenberg, fut délaissée au profit d'un rapprochement avec la France et la Grande-Bretagne à la faveur de la guerre de Crimée (1854).
François-Joseph refusait, en effet, de partager toute influence sur l'Europe Orientale (Balkans) où la Russie, au contraire soutenait les chrétiens opprimés par l'Empire Ottoman. Il choisit donc de rester neutre dans le conflit opposant la Russie aux Turcs, qui étaient soutenus par la France et la Grande-Bretagne. Il parvint même à empêcher la Prusse d'intervenir.

La crise italienne de 1859 :
La France de Napoléon III profita de la cassure austro-russe pour faciliter un soulèvement nationaliste en Italie. Et comme François-Joseph refusait toujours de faire la moindre concession de commandement militaire (qui aurait pu lui apporter le soutien de la Confédération Germanique), il fut contraint, après les défaites de Magenta et Solferino (4 et 24 juin) d'abandonner la Lombardie en juillet 1859.

La perte d'influence face à la Prusse (1866) :

Ces échecs ne présageant rien de bon pour le conflit avec la Prusse, considéré comme inéluctable, l'Empereur abandonna le néo-absolutisme pour engager en 1862 des négociations secrètes avec les Hongrois. les contours d'une double monarchie furent esquissés dès 1865, mais elles furent interrompues à la veille de la guerre contre la Prusse.
Au début des années 1860, l'Autriche conservait l'espoir de maintenir son influence en Allemagne car les petits états germaniques préféraient une Autriche affaiblie à une Prusse dominatrice, gouvernée fermement par Bismarck depuis 1862. C'est ainsi qu'il affaiblit l'Autriche en l'excluant de l'Union Douanière (Zollverein) en 1864.
Mais c'est l'intention que manifesta la Prusse, en 1866, d'annexer le Duché du Holstein qui mit le feu aux poudres. Les deux rivaux avaient mené une brève guerre contre le Danemark en 1864 pour conforter la domination germanique sur les duchés de Schleswig (pour la Prusse) et Holstein (pour l'Autriche), mais la Prusse intrigua avec l'Italie pour s'emparer du Holstein et, en échange, céder la Vénétie à l'Italie.
Vaincue à Königgrätz, l'Autriche dut accepter la dissolution de la Confédération Germanique, permettant ainsi à la Prusse de renforcer son contrôle sur la Confédération de l'Allemagne du Nord, embryon du futur empire constitué en 1871. Les états du Sud (Bavière, Bade, Wurtemberg, Hesse-Darmstadt) conservèrent une "existence internationale indépendante" théorique, mais leur liens militaires et commerciaux avec la Prusse les plaçaient de facto dans l'orbite de cette dernière. Quand à la Vénétie, ultime possession italienne de l'Autriche, elle passa dans le giron de l'Italie.

4°) Le compromis avec la Hongrie (1860-1867) :

La persistance du mouvement contestataire libéral et nationaliste en Hongrie conduisit François-Joseph à assouplir sa position intransigeante.
Une première expérience fédéraliste fut menée en 1860. Une constitution "octroyée" par l'Empereur (le Diplôme d'Octobre 1860), reconnaissait aux états (et en premier à la Hongrie) le droit de disposer de prérogatives législatives particulières. Les Diètes et les chancelleries furent rétablies.
Mais l'initiative fut accueillie fraîchement tant par les Tchèques que par les libéraux hongrois, défenseurs du droit des nations historiques. De même, les libéraux allemands déploraient l'absence de régime véritablement parlementaire.

Le texte "octroyé" s'avérant inapplicable, François-Joseph en proposa donc une nouvelle mouture, cette fois-ci plus centralisatrice : la Patente de Février 1861. La manœuvre était destinée à agréer la grande bourgeoisie conservatrice et prévoyait une système bicaméral avec Chambre des Seigneurs (Herrenhaus comptant 130 nobles) et Diète Impériale (Reichsrat comptant 343 députés de tous les états, élus au suffrage indirect).
Les élections hongroises donnèrent une majorité de 80% aux opposants libéraux partisans de la Constitution de 1848. Pendant quatre années, la diète hongroise boycotta le Reichsrat à Vienne. François-Joseph répliqua en réinstaurant le régime autoritaire "provisoire" et répressif de 1849. Mais les Hongrois se défendirent en refusant d'appliquer les décrets impériaux et de payer l'impôt autrichien.
De provocations en affrontements et de tractations en rapprochements, le hongrois Deak et le nouveau chancelier autrichien Belcredi parvinrent à un compromis : Belcredi abrogea la Patente de Février 1861 et restaura la constitution hongroise. La nouvelle diète (libérale modérée) élue fin 1865 s'attela, dès le printemps 1866, à la rédaction d'un texte d'apaisement avec l'Autriche. La courte guerre contre la Prusse (juin-juillet 1866) et la défaite de Sadowa cela le destin de l'hégémonie habsbourgeoise sur la nation hongroise.
Budapest récupéra les pays perdus (Croatie, Slavonie et Transylvanie) et en échange, François-Joseph accepta de jurer solennellement le texte du compromis et de se faire couronner à Pesth le 8 juin 1867.
Des ministères communs furent créés (Affaires étrangères, Finances et Défense), ainsi qu'un parlement commun, composé en fait de délégations paritaires nommées par les deux parlements nationaux, chargé de voter le budget. La constitution autrichienne fut amendée afin de tenir compte de ces nouvelles dispositions. L'article 19 de la Constitution révisée précisait par exemple que "tous les groupes ethniques de l'État ont des droits égaux et chaque groupe ethnique a le droit inviolable de préserver et de cultiver sa culture nationale et sa langue."

Le compromis de 1867 n'était en fait satisfaisant que pour les deux seules entités dominantes de l'Empire (Autriche et Hongrie) car il ne réglait pas le sort des autres "nations" (tchèque, slave, polonaise, etc.). Les deux "grandes" nations historiques ne représentaient en effet même pas à elles deux la majorité de la population totale (Autriche 24% et Hongrie 20%)...

Suite : Déclin politique et prospèrité économique de la Double Monarchie austro-hongroise (1867-1914)

Histoire de l'Autriche index général

© eric alglave 2001