BISMARCK & LA QUESTION DE L'UNITE ALLEMANDE

De 1849 à 1859, la politique des différents gouvernements allemands fut celle de la Réaction. Elle fut une tentative d'établir solidemment un état reposant sur les idées d'ordre bureaucratique et de hierarchie conservatrice. Elle fut égalemment un moyen de lutter contre toutes les tendances libérales qui avaient mené à la Révolution. La remise en cause des acquis de 1848 fut systématique. Mais il convient de préciser que ce furent surtout les petits et moyens états qui furent les plus zélés dans le combat réactionnaire. Un opposant libéral de Mayence, critiquant l'alliance de son Prince Electeur (l'évèque de Mayence) avec la "bureaucratique et particulariste" armée de son voisin de Hesse-Darmstadt, remarquait en 1859 : "Lieber das schärfste preußische Militärregiment als diese kleinstaatliche Misere." (Je préfère la plus dure des armées prussiennes à cette misère micro-étatique). Une telle opinion, assez largement partagée, permet de comprendre pourquoi la majorité des "néo-prussiens" de 1864/1866 salueront leur annexion (malgré la politique aggressive de Bismarck) avec plus de soulagement que de réticence.
Les années 1850 furent tout aussi réactionnaires en Autriche. En août 1851 est supprimée la responsabilité individuelle (de chaque ministre) et collégiale (du gouvernement) devant le parlement. Et le 31 décembre 1851, peu après le coup d'état de Napoléon III, la constitution fut abrogée et la monarchie absolue rétablie. Les anciens opposants révolutionnaires furent assignés à résidence (jusqu'en mai 1854). Les réformes en matière de justice, de presse, d'administration, d'association furent annulées. Le régime centralisa tout l'appareil d'état ; ni la Hongrie, ni les autres états non-germanophones (Croatie, provinces serbes, Tyrol, Vénétie, etc.) ne purent obtenir de statut particulier. Le système s'appuya toutes ces années sur la fidélité de l'armée et de la bureaucratie d'état ; il fut également soutenu par l'église catholique.
En Prusse, la Réaction ne fut pas non plus en reste. Lorsqu'en 1849 la deuxième chambre du tout nouveau parlement (politiquement très modérée) adopta la constitution impériale, le roi dissolut la chambre. L'assignation à résidence fut instaurée et le 30 mai était institué le droit de vote censitaire (de caste). La nouvelle chambre élue dut renégocier la constitution et les droits du roi et de l'armée (en faveur des deux derniers). La noblesse parvint même à arracher une consolidation de SA chambre (1854) ! L'autorité du roi et les privilèges de la noblesse furent donc en grande partie restaurés, mais, à la différence de l'Autriche le régime n'était plus absolutiste. Il faudrait plutôt parler d'ultra-conservatisme constitutionnel.

C'est Napoléon III, auto-proclamé Empereur des Français en 1852, qui perturba le jeu austro-prussien. Désireux de renforcer l'influence de la France en Europe, il prit fait et cause pour la Pologne (contre la Prusse et la Russie) et l'unification de l'Italie (contre l'Autriche).
La guerre éclata tout d'abord en Crimée, où Napoléon III s'allia à l'Angleterre et au Piémont pour défendre la Turquie contre la Russie. Les enjeux régionaux, fort importants pour la Russie, la Prusse et l'Autriche, les divisèrent peu à peu en dépit des alliances passées. L'Autriche voulut jouer la France contre la Prusse et la Russie, la Prusse oscilla entre neutralité et interventionnisme contre la Russie qui s'en trouva affaibli dans les Balkans.
La deuxième crise eut lieu en Italie. En 1858 fut signé un pacte entre le Piémont et la France. Lorsqu'en mai-juin 1859 les troupes franco-piémontaises remportèrent plusieurs victoires contre l'Autriche (Magenta, Solférino), se trouva reposée la question de la neutralité de la Prusse et de la Confédération. Mais c'est l'annexion de Nice et de la Savoie (1860) qui inquiétaient les Allemands, car ils y voyaient un premier pas de Napoléon III vers l'Alsace et la Lorraine. Heureusement pour le nouveau ministre-président de Prusse, Otto von Bismarck, l'Empereur des français fut quelques temps encore hésitant quant à la position française en Europe.
En fin diplomate, il saura profiter de cette situation propice pour laver l'affront de la "reculade d'Olmütz", où la grande Allemagne prussienne s'était heurtée au refus militarisé de l'Autriche. Le traité de Gastein (1865) mit provisoirement fin au différend austro-prussien sur le Schleswig-Holstein (partage de la province), mais la crise rebondit en 1866.
Bismarck était prêt à la guerre pour annexer et fédérer l'Allemagne de ses rêves. La neutralité de Napoléon III lui laissa les mains libres. Le 3 juillet 1866, la Prusse remporta la victoire décisive à Sadowa et la médiation française qui suivit permit le protocole de paix de Nikolsburg (26 juillet) divisant l'Allemagne en trois : la Confération de l'Allemagne du Nord (sous hégémonie prussienne), les états indépendants du Sud de l'Allemagne et l'Autriche, seule perdante.
Il suffit ensuite de quatre années à Bismarck, malgré les agitations diplomatiques de la France, pour parachever militairement l'unité allemande sous la bannière de la Prusse. Il provoqua la guerre avec Napoléon III en tronquant un courrier (la "dépêche d'Ems"), le transformant en un affront délibéré à la position française concernant la succession au trône... d'Espagne.

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(c) eric alglave 1999