L'ERE WILHELMINIENNE (1890-1914)

Dans les années 1880, l'abandon du "combat culturel" contre le Zentrum catholique (arrangement avec le Pape Léon XIII) et le virage protectionniste de la politique économique et sociale de l'Empire (lois sociales et tarifs douaniers), modifièrent profondément le paysage parlementaire : éclatement de la coalition majoritaire libéro-nationale, montée du Zentrum comme premier groupe parlementaire, constitution d'un important bloc oppositionnel de gauche (sociaux-démocrates + libéraux de gauche).
Les élections de 1881, perdues par les partis conservateurs proches de Bismarck poussèrent même ce dernier à songer sérieusement à un coup d'état pour neutraliser un parlement hostile et favorable à une République parlementaire ! Grâce à une campagne très habile portant sur la politique militaire, le Chancelier Impérial parvint à remporter les élections de 1887 où il obtint à nouveau le soutien d'une coalition majoritaire de conservateurs et de nationaux-libéraux. Jouant sur la peur de l'ennemi intérieur (à présent socialiste) et de la menace extérieure (crise Boulangiste en France), il fit renforcer les effectifs de l'armée (de 427 000 à 468 000 hommes).
Les élections de 1887 reconduisirent la majorité parlementaire du Cartel (das Kartell) déjà en place, aidée en cela par le suffrage censitaire toujours en vigueur dans l'Empire et qui pénalisait les partis populaires et urbains.

Le 9 mars 1888 mourrait Guillaume 1er. Son successeur, Frédéric III (Friedrich III.), déjà très gravement malade au moment de son accession au trône, ne régna que 99 jours. Bismarck, qui craignait son renvoi fut maintenu à son poste.
Mais le changement de Chancelier tant redouté intervint sous le règne du successeur de Frédéric III : Guillaume II (Wilhelm II.) jeune homme de 29 ans (Bismarck en avait 80 !) orgueilleux et avide de pouvoir. Les incompatibilités étaient trop nombreuses et les rivalités trop évidentes pour que le nouvel empereur puisse conserver longtemps un chancelier dont la personnalité lui faisait tant d'ombre (voir documents pour une comparaison des deux hommes à travers leurs portraits).

Le combat contre la social-démocratie, la politique de lutte contre les particularismes (nationalismes) locaux, le suffrage censitaire et la non-responsabilité du gouvernement devant le parlement furent des foyers de crise grandissant de "l'ère wilhelminienne". Et si le feu ne s'embrasa pas en une violente explosion sociale ou révolutionnaire, c'est qu'il fut tempéré par la vitalité du développement économique de l'Allemagne qui connut, à partir de 1895, une véritable seconde révolution industrielle et devint au tournant du siècle la première puissance industrielle d'Europe.
Quoiqu'il en soit, la bureaucratisation et la militarisation de la vie publique, ainsi que la politique extérieure "émotionnelle" et impérialiste de Guillaume II continuèrent à unir, pour le meilleur et pour le pire de l'Allemagne, nationalisme, militarisme et régime monarchique autoritaire.
En 1894, l'assassinat en France du président Carnot par un anarchiste servit de prétexte à un renforcement des lois anti-socialistes en Allemagne. Guillaume II était même prêt à aller jusqu'au coup d'état pour garder le pouvoir !
Le virage impérialiste de l'Allemagne fut en retard par rapport à l'expansion des autres puissances coloniales européennes qui avait débuté dans les années 1880. Les déclarations grandiloquentes de Guillaume II et ses actions de répression sanglante dans les colonies ne lui apportèrent pas le prestige escomptés. Au contraire, l'Angleterre et la France, très divisées en 1898 à cause de la crise de Fachoda au Soudan, se réconcilièrent en scellant l'Entente Cordiale en 1904. L'Allemagne ne sut pas en profiter. Elle ne sut pas non plus briser la Triple Entente entre la France, l'Angleterre et la Russie (ces deux dernières s'étant réconciliées en 1907).
En revanche, la France l'empécha à deux reprises, en 1905 puis en 1911, d'étendre son contrôle économique sur le Maroc au détriment du protectorat français. Guillaume II perçut les deux accords internationaux de 1904 et 1907 comme une tentative d'encerclement de l'Allemagne (alors qu'il s'agissait plutôt de l'exclure de la cour des grandes puissances mondiales) et les crises diplomatiques se multiplièrent entre l'Empire et la France.

Mais les tensions montaient aussi ailleurs en Europe. Le 5 octobre 1908, l'Autriche-Hongrie absorbait les territoires de Bosnie et de Herzégovine qu'elle occupait déjà, afin d'ôter à la jeune république turque toute envie de les reprendre. La Serbie voisine fit appel à son allié russe. Certes, ni la France, ni l'Angleterre ne souhaitaient se battre pour la Bosnie, et la Russie n'était guère enthousiaste, bien que devant défendre sa position dans la région ; l'attitude de l'Allemagne fut déterminante. Elle était en effet amie de la Turquie, mais elle décida néanmoins, par la voix du chancelier Bülow, de soutenir l'Autriche pour renforcer le lien avec celle-ci et faire exploser la Triple Entente. La Russie fit savoir qu'elle n'aiderait pas son allié serbe (la France refusait de s'impliquer) et la crise, évitée de justesse, se conclut par une victoire de la "diplomatie" allemande.

Les années 1910 à 1913 furent en outre marquées en Allemagne par une résurgence de la question d'Alsace-Lorraine. Sa transformation en état conféré de l'Empire, toujours envisagée mais jamais formalisée constitutionnellement, en faisait une région allemande de second rang et, au moindre prétexte (comme l'anecdotique désobéissance militaire de "l'affaire de Saverne") les opposants nationalistes (pro-français) se faisaient de plus en plus bruyants.
Mais l'opinion publique allemande, remontée à bloc par une économie coloniale florissante et une propagande impériale militaro-nationaliste, soutint la politique agressive de l'Empire au début des années 1910. Même la social-démocratie, pour la première fois vainqueur des élections en 1912, ne se prononça pas clairement quant à l'attitude face à la France (dissensions entre Rosa Luxemburg - pacifiste - et les dirigeants Bernstein et Scheidemann - plus mitigés). En France, Jaurès n'eut guère plus d'écho dans son camp...

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