Checkmate

Introduction :

Checkmate (échec et mat) est probablement l'épisode le plus populaire du Prisonnier, parce qu'il est le plus spectaculaire, au meilleur sens du terme : il est une réussite esthétique incontestable. La métaphore suggérée par le titre, en revanche, est plus transparente : "nous sommes tous des pions" (we are all pawns) semble nous dire Patrick McGoohan depuis son Arrivée au Village et l'échec (!) de son évasion dans The Chimes of Big Ben le confirme peu après (voir illustration ainsi que les épisodes Arrival et Big Ben ).

L'intérêt n'en est pas diminué pour autant. La morale de cette épisode ludique (?) est que pour gagner au jeu - celui de la vie en société - évidemment - il faut en accepter les règles. Mais cela ne suffit pas à l'épanouissement individuel, car une obéissance aveugle aux règles du jeu nous transforme en simples pions manipulés par d'autres joueurs plus puissants que nous : ceux qui ont inventé les règles précisément !

Il s'agit donc de savoir si le Prisonnier parviendra enfin dans cet épisode à résoudre la quadrature du cercle : comment gagner (s'évader) sans (devoir) se plier aux règles...

L'histoire (1ère partie):

Après l'habituel générique, l'épisode s'ouvre sur une scène très inquiétante : le Rover (rôdeur) traverse les rues - animées - du Village en poussant un rugissement qui fige - réellement - les Villageois sur son passage. Seuls un viel homme s'aidant d'une canne (il doit être sourd) et, le Prisonnier (il est sûrement trop loin) ne sont pas paralysés.
Le viel homme se rend sur la grande place qui est aujourd'hui entièrement occupée par un jeu gigantesque échiquier. Le Prisonnier est immédiatement sollicité pour participer à la partie, dans le "rôle" du
pion de la reine !
Être un pion n'a rien d'enthousiasmant, aussi le Prisonnier profite-t-il de la partie pour bavarder avec "sa" reine - qui se montre par ailleurs fort aimable, ce qui est plutôt rare au Village - et glaner quelques informations sur ses congénères, mais elle ne répond pourtant pas à LA question :

P. : Who is Number One ?
Queen : It doesn't do to ask questions.
Qui est le N°1 ?
Ca ne se fait pas de poser des questions.

Cependant la reine ne semble pas se froisser pour autant et la conversation reprend. En apparence - car nous découvrons que le nouveau N°2 observe la scène depuis la salle de contrôle - la reine commente la partie d'échec grandeur nature, en réalité elle teste le Prisonnier :

Q. : That was a good move, wasn't it ?
P. : I know a better one : away from this place.
Q. : That's impossible.
P. : For chessmen. Not for me.
Q. : They told me there wasn't a hope.
P. : I don't believe what they tell me. 'you surprised ?
Q. : Maybe I could help you...
C'était un bon déplacement, n'est-ce-pas ?
J'en connais un meilleur. Partir d'ici.
C'est impossible.
Pour des joueurs d'échecs, pas pour moi.
Ils m'ont dit que c'était sans espoir.
Je ne crois pas ce qu'il me disent, ça vous étonne ?
Peut-être pourrais-je vous aider...

Et même si le N°2 n'y croit pas (car pour lui le Prisonnier "n'est qu'un pion" et il affirme que "la reine ne prendra aucun risque pour l'aider"), des contacts sont en train de se nouer en vue d'élaborer un plan d'évasion.

Quelques temps après, un incident interrompt la partie, sous l'oeil du majordome nain.
La "tour de la reine" a pris l'initiative de jouer de lui-même (alors que les deux adversaires officiels n'ont rien dit) et de mettre le roi opposé en échec !
Le dangereux individualiste est aussitôt emmené en ambulance à l'hôpital du Village dont la réputation (cf. entre autres A,B & C) et l'expérience en matière de comportement déviant ne sont plus à faire !

La partie reprend et s'achève par la victoire du camp du Prisonnier. Le vainqueur - un viel homme s'appuyant sur une canne - vient féliciter la reine et "son" pion qui permirent à eux deux de mater le roi adverse, puis il propose au N°6 de faire un tour dans les rues du Village. Leur conversation est, une fois de plus, à double sens. Chacun teste l'autre :

P. : Why do you use people ?
Winner : The psychiatrists say it satisfies the desire for power. 'The only opportunity one gets here.
P. : 'Depends on which side you're on.
W. : I'm on my side.
P. : Aren't we all ?
W. : You must be new here. In time most of us join the enemy against ourselves.
P. : Have you ?
W. : Let's talk about the game.
P. : Alright. Why do both sides look alike ?
W. : You mean how do I know black from white ? New men always ask that.
P. : Well ?
W. : By their dispositions. By the moves they make. You'll soon know who's for you or against you.
P. : I don't follow you.
W. : It's simple psychology. The way it is in life. You judge by attitudes. People don't need uniforms.
P. : Why complicate it ?
W. : It keeps your mind alert.
P. : What use is that to you here ? (...)
Pourquoi utilisez-vous des gens ?
Les psychiatres disent que ça satisfait la volonté de puissance. C'est la seule occasion ici.
Ca dépend de quel côté vous êtes.
Je suis de mon côté.
Comme nous tous, non ?
Vous devez être nouveau ici. Avec le temps, la plupart d'entre nous passent à l'ennemi contre eux-mêmes.
Vous aussi ?
Parlons de la partie.
Entendu. Pourquoi les deux camps ont-ils la même apparence ?
Vous voulez dire comment je reconnais le noir du blanc ? Les nouveaux demandent toujours ça.
Alors ?
A leurs dispositions. A leurs mouvements. Vous saurez bientôt qui est avec vous ou contre vous.
Je ne vous suis pas.
C'est de la psychologie élémentaire. Vous jugez aux attitudes. Les gens n'ont pas besoin d'uniformes.
Pourquoi compliquer les choses ?
Ca vous maintient l'esprit en alerte.
A quoi ça vous sert-il ici ? (...)

Mais le viel homme se remet à marcher, éludant la réponse. Le Prisonnier le rejoint rapidement devant la vitrine d'une boutique de jouets (!) :

P. : (...) Why you bother to keep your mind alert ?
W. : Now ?... From habit... Just to defy them... 'Too old.
P. : For what ?
W. : Escape.
P. : You had a plan ?
W. : Everybody has a plan. But they all fail.P. : Why ?
W. : It's like the game. You have to learn to distinguish within the blacks and the whites.
(...) Pourquoi vouloir garder votre esprit en alerte ?
Maintenant ? Par habitude. Pour les défier. J'suis trop vieux.
Pour quoi ?
M'évader.
Vous aviez un plan ?
Tout le monde a un plan. Mais tous échouent.
Pourquoi ?
C'est comme le jeu. Vous devez apprendre à distinguer les noirs des blancs.

Derrière eux, une main place un petit pantin dans la vitrine...

Le Prisonnier va mettre en pratique immédiatement la "leçon de vie" du joueur d'échec lorsque, en rentrant chez lui, il constate - avec irritation - qu'il est suivi par la "reine". Elle prétend vouloir l'aider à s'évader. Il reste méfiant :

P. : How do I know I can trust you ?
Q. : That is a risk you're gonna have to take.
P. : Not me.
Comment puis-je vous faire confiance ?
C'est un risque que vous devrez courir.
Pas moi.

La suite :

Checkmate (2ème partie)

Les images :

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Les notes :

La volonté de puissance : selon les points de vue, ce concept nietzschéen (cf. le livre Der Wille zur Macht) peut être soit négatif (dans la volonté de dominer les autres), soit positif (dans la volonté de se surpasser). De toute façon, il s'agit d'une tendance extrêmement égoïste. La volonté de puissance est la version "hard" du proverbe : "aide-toi, le Ciel t'aidera". Le vainqueur de la partie d'échecs géante ne cache donc pas sa forte personnalité (chose rare car peu appréciée au Village).

Les noirs et les blancs : prolongeons la métaphore et déclarons avec Patrick McGoohan que les bons (anglo-saxons) et les méchants (soviétiques), les conformistes (conservateurs, bourgeois, vieux...) et les anti-conformistes (travaillistes, prolétaires, hippies...) c'est "bonnet blanc et blanc bonnet" ou comme le dit un N°2 "six of one and half a dozen of the other" (c'est du pareil au même). Bref, il ne faut pas se fier aux apparences, l'habit ne fait pas le moine, etc... Tous les jugements simplistes sont ici battus en brèche !

Psychologie : la science qui étudie (logos) l'âme humaine (psyché). Le savoir, telle est la véritable puissance. Mais pas n'importe quel savoir. Le viel homme a montré qu'il ne se faisait pas d'illusion sur son intérêt pour les échecs (il aime contrôler). Son programme vaut comme un conseil avisé à l'intention du Prisonnier : se connaître soi-même, avant d'apprendre à connaître les autres.

Confiance : la connaissance de soi-même et d'autrui inclut une part de risque qui s'appelle, justement, la confiance. Le Prisonnier doit apprendre à faire confiance s'il veut quitter le Village...

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Texte : © éric alglave 1999
Images : © ITV/Polygram Video