The chimes of Big Ben

 

Préambule:

Dès ce deuxième épisode, le spectateur devine qu'il assiste à une série au déroulement cyclique.

La quasi totalité des aventures commence par un très long générique (environ deux minutes !) qui résume brièvement la situation du Prisonnier après son arrivée au Village.
Il s'y ajoute un post-générique tout aussi célèbre, qui finit sur la profession de foi : "Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre !"

L'introduction a duré près de trois minutes et l'épisode n'a toujours pas commencé ! Or pourtant, cette impression est toute aussi trompeuse que le reste de la série : le but de cette reprise rituelle est bel et bien de nous faire comprendre le caractère obsessionnel des événements qui se déroulent au Village.

L'histoire (1ère partie):

Le contraste est saisissant entre les minutes oppressantes du générique et l'annonce (faussement) joyeuse qui ouvre Le Carillon de Big Ben :

Good morning, good morning, good morning...
And what a lovely day it is. Rise and shine, rise and shine !
Before our program of early morning music, here are two announcements : the long range weather forecast is that the fine spell will continue for at least another month ; your local council, and remember it is your local council democratically elected by you, have decided to organize a great new competition.
Can you paint ? Can you draw ? Can you model in clay ? If you can, then your day is just six weeks today. All about it later, but now music...
Bonjour, bonjour, bonjour...
Et quelle belle journée en perspective. Levez-vous et rayonnez, levez-vous et rayonnez !
Avant notre programme de musique matinale, deux annonces : les prévisions météo à long terme nous assurent la continuation du beau temps actuel pour au moins un mois encore ; votre Conseil Municipal, et souvenez-vous qu'il s'agit de votre Conseil Municipal, démocratiquement élu par vous, a décidé d'organiser un nouveau grand concours.
Vous peignez ? Vous Dessinez ? Vous sculptez la glaise ? Si c'est le cas, rendez-vous aujourd'hui dans six semaines. Tous les renseignements vous serons fournis plus tard, mais mainteneant place à la musique...

Dans cette annonce, tout est soigneusement orchestré pour qu'au-delà des apparences anodines on devine un contrôle omni-présent :
- contrôle du sommeil et du réveil
- contrôle du temps qu'il fait
- contrôle de l'opinion
- contrôle des loisirs sociaux
Et enfin...
- contrôle de la vie privée (puisque nous pénétrons, sur fond de musique de dessin animé, dans la maison du Numéro 6 grâce aux caméras de surveillance que le nouveau Numéro Deux (
Leo McKern) observe de son bureau)

Or, c'est bien le contrôle qui sera l'enjeu de l'affontement entre ce Numéro Deux (que Le Prisonnier retrouve dans le Dénouement/Fall out) et notre Numéro Six déjà très irrascible, ce matin, au saut du lit !

Le Numéro Deux commente les images :

N°2 : He can make even the act of putting his dressing gown appear as a gesture of defiance !
Assistant : There are methods we haven't used yet of course...
N°2 : I want him with a whole heart, body and soul.
Assistant : He'll crack.
N°2 : Perhaps. One tiny peace at a time. I don't want a man in fragments...
Même enfiler sa robe de chambre devient chez lui un acte de défi !
Bien sur, il y a des méthodes que nous n'avons oas encore utilisées...
Je le veux tout entier : coeur, corps et âme.
Il finira par craquer.
Peut-être. Chaque chose en son temps. Je ne veux pas d'un homme en pièces...

La compétition se poursuit peu après dans la matinée. Le Prisonnier achève une partie d'échecs (quel hasard !) avec un vieux général en retraite.
Leur conversation est bien évidemment à double sens :

General : You're a fool, Number 6, that's my opinion (...) You'll be here for as long as you loose...
n6 : How ever long that is...
General : I just would try to settle down. No point in being uncooperative.
n6 : Was there ever a time when you were not cooperative ?
General : No point in fighting battles you can't win.
n6 : Perhaps you came here of your own free will ?
Vous êtes un fou, n°6, voilà mon opinion (...) Vous resterez ici jusqu'à ce que vous perdiez...
Peu m'importe ce que ça dure...
Je tenterais plutôt de m'installer. Inutile de se montrer resistant.
Y-a-t-il jamais eu une époque où n'ayez pas été collaborateur ?
Inutile de livrer des batailles que l'on ne peut gagner.
Peut-être même êtes-vous venu de votre plein gré ?

Le Numéro Deux survient sur ces entrefaites et constate :

N°2 : The General seemed a little sour.
n6 : Mate in seven moves.
N°2 : How many do you know ?
n6 : A few more.
N°2 : We must play some time.
n6 : Certainly we must. By post !
N°2 : Ha ha ha. I must add : "sense of humour" to your file.
Le Général semblait un peu chagriné.
Mat en sept coups.
Combien en connaissez-vous d'autres ?
Quelques uns.
Nous devrions une fois.
Certainement. Par correspondance !
Ha ha ha. Il faudra que j'ajoute : "sens de l'humour" à votre dossier.

La partie d'échecs verbale est interrompue par l'arrivée de l'hélicoptère dont on sort une femme inconsciente. Puis, la joute reprend :

n6 : What crime did she commit ?
N°2 : Nervous tension, that's all. She's come here to recuperate.
n6 : How much are you charging her ?
N°2 : Ha ha ha ! I really must bring your file up to date !
Quel est son crime à celle-ci ?
Hypertension, c'est tout. Elle est ici pour récupérer.
Combien lui faites-vous payer ?
Ha ha ha ! Il faudra vraiment que je réactualise votre dossier !

Le petit déjeuner qui suit ne fait que prolonger le duel entre les deux fortes personnalités :

n6 : I don't run on clockwork.
N°2 : You will my dear chap, you will.
(...) Don't worry Number 6, you'll be cured. I'll see to it. No more nightmares. If you have so much as a bad dream, you will come whimpering to tell it to me. Whimpering !
Je ne marche pas dans le sens des aiguilles d'une montre.
Mais ça viendra mon ami, ça viendra.
(...) Ne vous en faites pas, N°6,
nous vous guérirons. J'y veillerai. Plus de cauchemars. Si jamais il vous arrivait de faire un mauvais rêve, vous viendriez me le raconter en geignant. En geignant !

Pendant ce temps, la femme arrivée en hélicoptère s'éveille dans ce qu'elle croit être sa chambre et qui - nous apprend le Numéro Deux - n'est qu'une "exacte réplique de sa propre chambre évidemment". Assister à ce réveil rappelle au Prisonnier sa propre arrivée, dans des conditions identiques, il y a quelque temps.
Sa nouvelle voisine remplacera l'ancien
Numéro Huit :

n6 :What happened to the old one ?
N°2 :He vacated the premises. You noticed surely ?
n6 :Did he escape ?
N°2 :Ha ha ha !
n6 :There was no funeral...
N°2 :It's not always possible. You need a body.
Qu'est-il arrivé à l'ancien ?
Il a vidé les lieux. Vous avez dû le remarquer ?
Il s'est évadé ?
Ha ha ha !
Il n'y a pas eu d'enterrement...
Ce n'est pas toujours possible. Il faut un corps

La menace est à peine voilée : toute tentative d'évasion est punie de mort. En outre, il ne faut pas espérer avoir une sépulture décente !

La suite :

Chimes of Big Ben (2ème partie) !

Les images :

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Les notes:

souvenez-vous : l'humour féroce du "rappel" ne vaut que pour le spectateur extérieur au Village qui peut, lui, oublier tout à loisir (le peut-il vraiment ?) les manipulations langagières et optiques dont il se fait le jouet consentant (et conscient ?) lorsqu'il regarde un épisode du Prisonnier.
Pour un Villageois, la remarque tiendrait plutôt de la langue de bois d'un régime totalitaire...
Souvenez-vous du slogan "of the people, by the people, for the people"...

partie d'échecs : déjà dans Arrival le Prisonnier rencontrait un vieux marin très expert. Celui-ci devait d'ailleurs lui faire la remarque :"aren't we all just pawns ?" (Finalement, sommes-nous autre chose que de simples pions ?).
La thématique s'enrichit donc ici d'une nouvelle dimension : aux échecs, mêmes les pions ont une importance...
Dans Checkmate, Le Prisonnier sera le pion de la reine, et jouera un rôle capital. (voir image)

nous vous guérirons : on pense bien sûr à la triste habitude stalinienne d'interner en hôpital psychiatrique tout opposant récalcitrant ; mais ici il y a une deuxième dimension - renforcée régulièrement par le jeu de l'acteur Patrick McGoohan - plus destabilisante pour le spectateur : le Prisonnier est peut-être tout simplement un ancien espion qui craque nerveusement (comme sa nouvelle voisine) sous la pression de son métier !

Numéro Huit : Si le Six représente l'insoumission et l'individualité, je pense que le Huit symbolise l'aspiration à l'au-delà (du Village, bien entendu !); en mathématique, l'infini est, en effet, représenté par un Huit horizontal.

(c) Mathieu Robart

Chimes of Big Ben (2ème partie) !

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Images : © ITV/Polygram Video