Dance of the dead

L'histoire (2ème partie) :

La scène suivante donne le ton nouveau : nous sommes sur la plage. Le Prisonnier a revêtu son smoking ( en anglais : Tuxedo) et contemple le large. La N°2 l'interpelle (elle-même en costume de Peter Pan) :

N°2 : You're expecting someone, Mr. Tuxedo ?
P. : Mr. Peter Pan ?
N°2 : So it seems.
P. : With his shadow ?
N°2 : You're beeing hostile, again. What were you looking at ?
P. : A light.
N°2 : A star.
P. : A boat.
N°2 : An insect.
P. : A plane.
N°2 : A flying fish.
P. : Somebody who belongs to my world.
N°2 : This is your world. I am your world. If you insist on living a dream, you may be taken for mad.
P. : I like my dream.
N°2 : Then you are mad...
Vous attendez quelqu'un, M. Beau Costume ?
M. Peter Pan ?
On dirait.
Avec son ombre ?
Vous redevenez hostile. Que regardiez-vous ?
Une lumière.
Une étoile.
Un bateau.
Un insecte.
Un avion.
Un poisson volant.
Quelqu'un de mon monde.
Ceci est votre monde. Je suis votre monde. Si vous persistez à vivre votre rêve, vous serez pris pour un fou.
J'aime mon rêve.
Alors vous êtes fou...

La scène suivante, inhabituellement longue, est la scène centrale de l'épisode et peut-être même de toute la série : on y voit le Prisonnier entrer dans la salle de réception de l'hôtel de ville.
La foule costumée s'écarte en deux rangées de personnages aux visages fermés. Un silence de mort accueille l'arrivée du visiteur. Et alors qu'il s'avance vers le milieu de la salle, à la rencontre de la N°2 qui l'a précédé, la foule se referme derrière lui, l'engloutissant dans un brouhaha des plus oppressant.
Les costumes ont beau être somptueux, les masques magnifiques, les cocktails délicieux, l'atmosphère n'en est pas moins
macabre. Le ton faussement enjoué et artificiel de la N°2 ne trompe personne :

N°2 : What ? No dancing ? Tonight's for dancing ! ... (looking at N°6) Amongst other things... Quoi ? Pas de danse ? Ce soir est fait pour la danse ! ... (vers le N°6) entre autres choses...

Le Prisonnier la rejoint et, après s'être perfidemment émerveillé devant la qualité de l'administration de la soirée, demande pourquoi il est le seul à ne pas porter de costume. La réponse est cinglante : "peut-être parce que vous n'existez pas !" Voilà qui renverse singulièrement la perspective de toute la série. Devrions-nous comprendre que Le Prisonnier est au Royaume des Morts ?

La suite de la scène de carnaval va d'ailleurs confirmer nos craintes (et celles du N°6). Après un simulacre de danse avec son "chaperon" (la N°240 fort judicieusement déguisée en bergère !) au cours duquel il essaie en vain de savoir qui a organisé tout ça ("the man behind the big door"), le Prisonnier s'éclipse de la salle de bal pour aller "visiter" l'hôtel de ville.

Le contraste est évident par rapport à la scène précédente : le Prisonnier enfile une blouse blanche afin de donner le change en cas de mauvaise rencontre ; et maintenant qu'il EST déguisé (donc "existant" selon l'interprétation de la N°2) il se voit confier par une technicienne peu perspicace un "avis d'extermination" (termination order, en V.O.) à remettre de toute urgence en main propre à la N°2. Il s'agit de la mort annoncée de Roland Walter Dutton.

Mais toutes les portes du couloir sont fermées à clé... sauf une qui s'ouvre automatiquement ! L'invitation à visiter les enfers est on ne peut plus claire.
Le Prisonnier traverse une série de pièces équippées de meubles de rangement et de bureaux servant à l'administration du Village. Puis il aboutit (comme nous le sentions intuitivement car la sinistre musique d'accompagnement nous y préparait)... dans une morgue ! Et dans l'un des tiroirs, il découvre le cadavre de la plage qu'il avait remis à l'eau. A cet instant précis - comme elle en a l'habitude - apparait la N°2... en compagnie du chat noir !

Elle lui révèle qu'en fait ce chat lui appartient. D'ailleurs c'est une chatte ("Never trust a woman. Even the four legged variety", constate amèrement le Prisonnier). Le cadavre va subir une "légère" transformation de façon à ressembler au N°6. Celui-ci comprend le but de la manoeuvre :

P. : So to the outside world...
N°2 : Which you only dream about...
P. : I'll be dead.
N°2 : A small confirmation... of a known fact.
Ainsi pour le monde extérieur...
Dont vous ne faites que rêver...
Je serai mort.
Simple confirmation d'un fait déjà connu.

La N°2 convie alors le Prisonnier à un petit spectacle de "cabaret". Il s'agit en fait d'une espèce de procès - digne de celui de Kafka - où l'accusé, qui ignore de quoi il est coupable, n'en est pas moins condamné par le tribunal.
Celui-ci est composé de trois "juges" : le médecin (déguisé en Napoléon), le crieur du Village (Néron) et la servante du N°6 (Reine Elisabeth I), incarnant trois représentants historiques du pouvoir politique absolu. La N°2 et la N°240 assurent respectivement la défense et l'accusation.
Comme on peut s'y attendre, le Prisonnier n'a aucune chance de s'expliquer ou de comprendre ce qu'on lui reproche réellement. Il est au fond coupable de "déviance", d'individualisme. La scène est illuminée de lumières tournoyantes qui rappellent le tourbillon de la réunion du conseil municipal dans Free for All (voir cet épisode).
Devant l'inefficacité de la défense (la N°2 demande la clémence parce que l'accusé sera finalement "maté"), le Prisonnier réclame la comparution d'un témoin : Roland Walter Dutton. L'autorisation est accordée. Mais l'ami du N°6 n'est plus qu'un zombie déguisé en bouffon de cour, au sourire idiot et au regard vide. La sentence tombe : la mort (évidemment) !

La fin de l'épisode bascule alors dans la folie la plus totale :
Le Prisonnier prend la fuite, poursuivi par la foule devenue hystérique. Sa
course à travers les couloirs, pièces et passages secrets de l'hôtel de ville finit par le mener dans un salon où il découvre - caché derrière un paravent - un télescripteur. Il arrache les fils d'alimentation de la machine espérant ainsi détruire les informations qu'elle est en train de transmettre.
Entre alors la N°2 qui porte l'estocade finale :

P. : Why are they trying to kill me ?
N°2 : They don't know you're already dead. Locked up in the long box. In that little room... (looking at N°240 through the mirror :) She's no longer your observer. Observers of life should never get involved.
P. : You'll never win.
N°2 : Then how very uncomfortable for you, old chap.
Pourquoi essaient-ils de me tuer ?
Ils ne savent pas que vous êtes déjà mort. Enfermé dans cette longue boite. Dans cette petite pièce... (montrant la N°240 dans le mirroir :) Elle ne sera plus votre observatrice. Les observateurs de la vie ne devraient jamais être impliqués.
Vous ne gagnerez jamais.
Alors comme ce sera très inconfortable pour vous, mon cher..

La N°2 part alors d'un énorme et cynique éclat de rire qui - comme par magie - remet en marche le télescripteur !

La conclusion :

Cet épisode - de loin le plus sinistre de toute la série - nous a plongé dans les angoisses les plus existentielles du Prisonnier : comment peut-on survivre à l'exclusion sociale, à la mort (sociale) ? Comment peut-on rester en vie lorsque l'on a perdu toute identité ("je ne suis pas un numéro") ?
Il reste une autre question cruciale : si le N°2 est la Mort, qui est le N°1 ?

Les images :

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Peter Pan

Le Jugement Dernier

Les notes:

fou : Poétiquement parlant, le Prisonnier revient bel et bien du Royaume des Morts. Rien d'étonnant à ce que la N°2 puisse dire qu'il est fou. Inversement, le N°6 tient à son "rêve" parce que c'est la dernière chose qui l'empêche de basculer dans la folie... Chacun voit les choses de son point de vue : une lumière peut n'être qu'une étoile lointaine, un bateau peut n'être qu'un insecte dans l'océan immense, un avion peut n'être qu'un poisson volant. La vérité a-t-elle un camp ?

macabre : Le titre de l'épisode Dance of the Dead trouve son équivalent dans l'expression française "danse macabre" qui remonte à une tradition du Moyen-Âge.

Royaume des Morts : En tous cas, la scène est suffisament ambigüe pour que le spectateur soit dans le doute. En deux scènes, TOUT a basculé dans l'incertude : le Prisonnier est peut-être effectivement fou, ou bien il est comme mort...

L'interprétation de la N°2 : selon elle, on existe tant que l'on est déguisé et on est mort dès que l'on est à visage découvert. En d'autres termes, la VIE (en société) est dissimulation et mensonge, seule la MORT (sociale, qui peut être une simple retraite professionnelle) est vérité. Mais la réciproque est encore plus évidente : le mensonge c'est la vie, la vérité c'est la mort !
Or, c'est bien ce qui arrive au Prisonnier : depuis qu'il a décidé de quitter le service secret et sa VIE faite de déguisement, de mensonge et de dissimulation, il est MORT pour la société, exclu de la civilisation humaine, mis hors champ à cause de sa sincérité.

La course : la succession des pièces n'est pas innocente. Se retrouvant bloqué à la morgue (!), le Prisonnier passe par une trappe et se réfugie sous terre (chez les morts) avant de ressortir (ressuciter d'entre les morts) dans une pièce où il peut observer ses poursuivants à travers un miroir sans tain : comme Alice, il est passé de l'autre côté du miroir !

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Texte : © éric alglave 1999
Images : © ITV/Polygram Video