Fall Out

Après un bref rappel des événements survenus dans l'épisode précédent, nous enchaînons directement sur un prologue inhabituel. Des vues aériennes du Village se succèdent sur une musique inédite (dont le "All You Need Is Love" des Beatles !), puis nous plongeons sous le Grand Dôme.

Deux problématiques philosophiques dominent cet épisode :
- le pouvoir de la parole et ses limites
- la connaissance de soi

1°) le pouvoir de la parole et ses limites :
Le Prisonnier est conduit devant une assemblée de représentants masqués de diverses composantes de la société. Un travelling nous montre les étiquettes posées devant eux : activistes, réactionnaires, thérapeutes, nationalistes, pacifistes, renégats, éducateurs se côtoient sur les bancs d'un hémicycle que protègent (surveillent ?) d'innombrables soldats en armes ! En outre, il nous est montré clairement que ces représentants sont sous l'oeil d'une caméra... portant le Numéro Un.
Le Président de cette parodie "cour" (déjà rencontré dans Living in Harmony) fait l'apologie du Prisonnier qui reçoit le titre de Sir et s'installe sur un authentique trône. Il s'attache ensuite à démontrer en quoi l'ex-prisonnier diffère des "rebelles" ordinaires et fait comparaître pour cela un jeune homme (lui aussi déjà présent dans Living in Harmony) à l'accoutrement excentrique, le N°48, qui, pendant cette parodie d'audience, va semer le chaos dans les travées de l'assemblée par le seul pouvoir du verbe (certes divin) en chantant le negro spiritual "Dry Bones".
La subversion de ce chant tient aux paroles plus qu'à l'attitude provocante du N°48. Il s'agit d'un miracle accompli par Ezékiel (37, 1-14) dans le désert. Les "os séchés" sont ressuscités par le verbe de Dieu et forment une nouvelle armée. L'ex-N°6 regarde avec bienveillance son jeune alter ego et suspend le jugement qui doit le condamner.

Le second "rebelle" n'est autre que le défunt Numéro Deux que l'on vient justement de ressusciter ! Une fois de plus, il fait la démonstration - inattendue - du pouvoir immense de la parole en un discours capital :

I feel a new man ! (...)My Lords, ladies and gentlemen, a most extraordinairy thing happened to me on my way here. It has my lot in the past to wield a not inconsiderable power. I have had the ear of statesmen, kings and the princes of many lands. Governments have been swayed, policies defined and revolutions nipped in the bud at a word from me in the right place and at the propicious time. Not surprising therefore that this community should find a use for me. Not altogether by accident that one day I should be abducted and wake up here amongst you. What is deplorable is that I resisted for so short a time. A fine tribute to your methods !
I wish to thank you for a recognition of my talents which placed me in a position of power second only to ONE.
Je me sens un autre homme ! (...) Mes seigneurs, mesdames et messieurs, une chose des plus extraordinaires m'est arrivée en venant ici. Il fut mon lot par le passé de jouir d'un pouvoir non négligeable. J'ai eu l'oreille de chefs d'état, de rois et de princes de nombreux pays. Des gouvernements ont été balayés, des politiques définies et des révolutions tuées dans l'oeuf d'un mot de ma part, à la bonne place au bon moment. Pas étonnant que cette communauté m'ait trouvé une utilisation. Par rien moins qu'un hasard, je fus enlevé et je me réveillai parmi vous. Ce qui est déplorable, c'est que j'ai résisté si peu de temps. Un coup de chapeau à vos méthodes !
Je voudrais vous remercier d'avoir ainsi reconnu mes talents, ce qui m'a placé à un poste de pouvoir subordonné d'UN seul.

La parole l'ayant libéré, il défie la caméra - derrière laquelle est sensé se cacher le Numéro UN - en le (la) regardant en face et en crachant dessus ! Il est emmené manu militari sous le regard goguenard du N°6 auquel il lance un non moins ironique "be seeing you !".

Deux hommes, d'origines sociales et d'âges différents, ont donc réussi à s'affranchir du carcan imposé par cette "cour" et à faire entendre leur voix. C'est maintenant au tour de l'ex-prisonnier de s'exprimer.

2°) la connaissance de soi :

Le discours auquel l'invite le président est un ultime piège. Car, si le N°2 et le N°48 se sont exprimés en leur nom propre, l'ex-N°6 est investi par ses nouveaux "pairs" d'un rôle quasi messianique. Par la voix, il doit leur montrer la voie. Ce rôle de "gourou", s'il est flatteur pour l'ego plutôt orgueilleux du Prisonnier, montre en même temps les limites du pouvoir du verbe.
L'orateur est en effet salué bruyamment par des vivats dès qu'il ouvre la bouche, rendant ses propos - pourtant destinés à l'assemblée - inaudibles. La conclusion - fataliste - s'impose : la parole n'a de pouvoir véritable que lorsqu'elle est utilisée pour se défendre et s'affirmer, par pour guider ou éclairer une foule (cf. la situation analogue dans Free for all). Ce désenchantement (au sens propre) est donc salutaire car il permet de faire son deuil de toute velléité d'abus de pouvoir dans une démocratie.

Le dernier tiers de l'épisode final est mené à un rythme effréné.
Le constat amer qu'il est impossible de transformer une société totalitaire par la parole conduit à un inévitable déchaînement de violence. Le Prisonnier, tel Spartacus, se libère de ses entraves en allant rencontrer - enfin - le N°1.

3°) Who is Number One ? - YOU are, Number Six !

Une longue scène sans dialogue marque le tournant de l'épisode. C'est la figure du cercle qui la domine entièrement.
L'ex-Prisonnier gravit un escalier en colimaçon, symbolisant à la fois l'ascension vers la connaissance plus élevée de soi-même mais aussi l'absence de repère, car on tourne en rond.
Dans une pièce ronde, nous retrouvons l'ex-N°2 et le N°48 enfermés dans deux cylindres transparents portant les mentions orbit 2 et orbit 48 (voir photo).

Il rencontre alors un personnage masqué vêtu d'une robe blanche à capuchon. En même temps, il aperçoit son propre visage dans une écran de télévision (probablement la caméra du Numéro UN). Le personnage masqué donne une boule à son visiteur qui lui arrache son masque pour découvrir un second masque, de singe cette fois ! Tout au long de cette séquence, le Prisonnier est tendu à l'extrême. La révélation de l'identité du N°1 - le N°6 lui-même ! - est un tel choc qu'il s'enfuit par l'escalier et délivre les deux prisonniers "rebelles" et met à feu une fusée qui provoque une explosion dans la caverne du trône. Les trois hommes vont ensuite y faire le coup de feu - à la mitraillette - contre les militaires qui évacuent la place en hâte.
Le chaos visible à l'écran reflète celui qui habite le N°1/6 ! Il faudra tout le sang froid du fidèle Majordome Nain pour sauver les trois fuyards de la catastrophe. C'est lui qui pilote le camion qui les mène hors du Village. Les évadés se sont réfugiés dans la "prison" sur roues de l'embryo room (voir Once Upon A Time) et en chemin pour Londres, il sabrent le champagne en musique !

La boucle est bouclée, lorsque le N°1/6 retrouve sa Lotus et reprend - sous un coup de tonnerre annonciateur d'orage imminent - le chemin qu'il emprunta au début du premier épisode (Arrival)...

Les images :

Cliquez sur l'image pour revenir au texte.

Portmeirion, the real Village

assemblée de représentants masqués

Living in HarmonyThe Judge

Living in HarmonyThe hearing

ex-N°2 defies N°1

going upstairs...

good bye number two !

Les notes:

la musique inédite : pour le "dénouement" il était bien logique que le Prisonnier retrouve son "époque" ; la musique y contribue, contrastant avec les sonorités superficielles des fanfares villageoises. Mais l'hymne à l'amour des Beatles - All you need is love - atteint une dimension supplémentaire si on prête l'oreille aux paroles :

There's nothing you can make that can't be made
No one you can save that can't be saved
Nothing you can do but you can learn how to be you in time
It's easy

All you need is love...

Rien de ce que tu peux faire n'est hors de portée
Qui que tu veuilles sauver peut être sauvé
Rien que puisses faire mais tu as encore le temps d'apprendre à être toi
C'est facile

Il te faut juste l'amour...

Plus qu'un message d'espoir naïf ou utopique, la chanson illustre plutôt ici la victoire du N°6 dont la personnalité ("you") a triomphé de toutes les embûches, mais cela n'en fait pas pour autant un être hors du commun ("nothing you can make..."). L'ironie du propos, c'est qu'il n'a pas mis énormément d'amour à (re)devenir lui-même ! Patrick McGoohan n'est pas dupe...

attitude provocante : il commence par s'adresser familièrement - il utilise des expressions impertinentes de gosses des rues - au Président, afin de le déstabiliser, puis il se met à chanter.

démonstration : comme le N°48, il commence par déstabiliser l'assemblée par des éclats de fou rire très dérangeants. Le rire n'est pas l'apanage des humains, à la différence des animaux, même sociaux ?

discours capital : c'est la lucidité de son analyse qui fait de l'ex-N°2 un rebelle au même titre que les deux autres. En tant que serviteur il fut un N°2, aujourd'hui mort. Il est maintenant devenu un (autre) homme, c'est-à-dire un individu libre des ses paroles et de ses actes.

désenchantement : le N°6 ne possède pas naturellement (dans son tempérament) la distance humoristique, cette arme qui avait permis au N°2 et au N°48 de ne pas succomber aux sirènes du pouvoir. Son humour est sarcastique et grinçant, donc tourné vers la critique de ses semblables, tandis que le rire est synonyme d'auto-dérision.

sans dialogue : face à lui-même, les mots sont désormais inutiles. La parole cède la place à l'action.

singe : la scène n'est pas sans rappeler, ironiquement, celle du miroir dans The Schizoid Man.

musique : toujours le negro spiritual Dry Bones, chant d'émancipation traditionnel des esclaves noirs d'Amérique.

bouclée : la figure du cercle visualise le concept psychanalytique de répétition. Une des clés de l'analyse - qui sert d'abord et avant tout à se connaître soi-même - est précisément la reconnaissance, le repérage, de ce mécanisme inconscient de répétition qui caractérise le mode de fonctionnement du psychisme. Reconnaître ce motif de récurrence, c'est découvrir ce qui nous pousse à agir, de façon similaire, dans des situations pourtant apparemment différentes. C'est donc en apprendre sur sa propre personnalité...

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Texte : © éric alglave 2001
Images : © ITV/Polygram Video