Deux grands scénaristes (Glenn Morgan et James Wong) et un grand acteur (Brad Dourif) - pour interpréter le "méchant" Luther Lee Boggs - font de ce milieu de 1ère saison un chef d'œuvre.
Pour le prouver, j'emprunte à Chris Williams (en les modifiant un peu) les quatre règles que respecte le présent épisode :
1°) Le "méchant" de la semaine (MDLS) :
Il s'agit bien évidemment de Luther Lee Boggs et non du meurtrier qui sévit dans les rues de la ville. Son passé de tueur en série parle pour lui. Mais c'est surtout son refus d'aider Mulder et Scully à trouver le nouveau meurtrier qui paraît "monstrueux". Voilà un homme qui ne recule devant aucun chantage au sentiment (envers Scully qui vient de perdre son père) et aucune mystification (avec le bout de tissu donné par Mulder) pour obtenir sa remise de peine.
Non seulement sa peur de la mort le rend humain mais sa rouerie le rend même encore plus humain, lui qui se bat jsuqu'au dernier instant et avec toutes les armes dont dispose un être pensant pour échapper à son sort !
Enfin, ce qui fait de Boggs un grand MDLS c'est la crédibilité que lui confère l'acteur Brad Dourif, dont l'interprétation donne chair à ce criminel endurci. Dourif donne au destin de Boggs une dimension tragique en passant du regard de psychopathe le plus "allumé" qui soit à des expressions de douleur morale qui font que le spectateur doute sans cesse de la sincérité de Boggs sans oser tout à fait exclure qu'il soit un authentique médium.
Du coup, et c'est là toute l'habileté de Morgan et Wong, nous oscillons en permanence entre les points de vue de Mulder et Scully sauf que cette fois-ci 1°) c'est Scully qui croit et Mulder qui doute ; et 2°) le MDLS est si crédible que nous avons réellement peur ! Car si Scully se trompe sur Boggs, elle va souffrir inévitablement des pseudo-révélations qu'il lui fera sur son père ; et si Mulder se trompe (ce qui est le cas), il est en grand danger (ce qui est le cas) !
2°) Pas de deus ex machina :
Rien de tel ici, même si les "visions" de Boggs s'avèrent authentiques car Mulder et Scully ne se contentent pas de suivre ses indications. Lorsque Scully se montre affectée, Mulder garde la tête froide et les deux agents du FBI mènent malgré tout une véritable enquête.
En outre, l'introduction du personnage, sans lien apparent avec les meurtres, est magistrale :
MULDER: In one week, Luther Lee Boggs will take a seat in the North Carolina
gas chamber.
SCULLY: How is he related? MULDER: He claims to have information relating to the kidnapping. He described Hawley’s bracelet down to the last detail. This is information that only family members could have known. SCULLY: Or the kidnapper. MULDER: Boggs feels that if his talents help save these kids then his sentence should be reduced to life in prison. SCULLY: His talents? MULDER: He claims to have obtained this information through psychic transmission. SCULLY: Mulder, do I detect a hint of skepticism? MULDER: Perhaps. Boggs has been there before... in the chamber. My profile helped send him there. He was actually strapped to the chair before receiving an executive stay. He claims that this experience activated in him the ability to channel spirits and demons. I believe in psychic ability, without a doubt, but not in this case. Not Boggs. SCULLY: So you believe that Boggs is orchestrating the kidnapping from the inside. A scam to save his life? (Mulder nods. He hands her a file.) MULDER: At the age of six, Luther Boggs slaughtered every pet animal in his housing project. When he was thirty, he strangled five family members over Thanksgiving dinner and then sat down to watch the fourth quarter of the Detroit - Green Bay game. Some killers are projects of society. Some act out past abuses. Boggs kills because he likes it. SCULLY: And they’ve requested you speak with him? MULDER: Actually, he’s requested to speak to me. SCULLY: Why you? MULDER: He read my profile on him and he believes I’m the only one who truly understands what he is. Anyway, I leave for Raleigh this afternoon. SCULLY: I’ll go with you. |
Dans une semaine, Luther Lee Boggs, s'assiéra dans la chambre à gaz de Caroline du Nord.
En quoi est-il lié à cette affaire ? Il prétend avoir des informations en rapport avec l'enlèvement. Il a décrit le bracelet de Hawley jusque dans les moindres détails. Une information que seule sa famille aurait pu connaître. Ou le ravisseur. Boggs pense que si ses talents aident à retrouver ces gosses sa sentence sera commuée en prison à vie. Ses talents ? Il prétend qu'il a obtenu ces informations par transmission de pensée. Mulder, n'aurais-tu pas une pointe de scepticisme ? Peut-être. Boggs a déjà connu ça... La chambre à gaz. Mon expertise psychologique avait aider à l'y envoyer. Il était même déjà attaché à la chaise quand il a obtenu un report. Il prétend que cette expérience a activé en lui la capacité psychique à communiquer avec les esprits et les démons. Je crois en cette capacité psychique, mais pas ici, pas chez Boggs. Alors tu crois que Boggs met en scène ce kidnapping de l'intérieur. Une astuce pour sauver sa peau ? (Mulder acquiesce et lui passe un dossier.) A l'âge de six ans, Luther Boggs a massacré tous les animaux de sa maison. A trente ans, il a étranglé cinq membres de sa famille au repas de Thanksgiving avant de regarder le dernier quart-temps du match Detroit-Green Bay à la télé. Certains tueurs sont des projections de la société. Certains réagissent à des abus dans leur enfance. Boggs tue parce qu'il aime ça. Et ils t'ont demandé de lui parler ? En fait, c'est lui qui a demandé à me parler. Pourquoi toi ? Il a lui mon profil sur lui et il croit que je suis le seul à comprendre ce qu'il est réellement. Quoiqu'il en soit, je pars pour Raleigh cet après-midi. J'irai avec toi. |
L'enquête consistera donc - faute de mieux et surtout de temps - à suivre les indications distillées au compte-gouttes par un serial killer condamné à mort ! Celles-ci s'avéreront aussi justes que périlleuses pour Mulder, car à l'instar de Hannibal "Cannibale" Lecter (lire Dragon Rouge, Le Silence des Agneaux et Hannibal de Thomas Harris) Boggs joue avec les enquêteurs. Le suivre c'est accepter de payer un prix élevé, c'est passer un pacte avec le Diable.
3°) L'approfondissement des personnages de Mulder et Scully :
Trois moments forts (dans le bureau du FBI, au motel, à l'hôpital) font évoluer les deux personnages.
Dans le bureau :
Pour la première fois, Mulder appelle Scully "Dana", au grand étonnement de celle-ci. Il le fait par amitié et par compassion pour sa collègue endeuillée. Mulder a donc un cœur !
Scully consulte un dossier intitulé "Federal Bureau of Investigation DC-X-167512 Visionary Encounters w/ The Dead". Scully n'est donc pas fermée aux expériences paranormales ! Il faut dire qu'elle a eu une vision de son père au moment de sa mort...
Au motel :
Scully a une seconde vision de son père. Elle avoue à Mulder - en croyant lui faire plaisir - qu'elle a retrouvé le bracelet de Elisabeth Hawley en suivant les indices donnés par Boggs. Scully cherche donc à plaire à son partenaire.
Mulder se vexe parce qu'il ne veut pas accréditer le qualificatif de "martien" (spooky) qui lui colle à la peau. Il se soucie donc de son image.
A l'hôpital :
L'épreuve a mûri les deux enquêteurs. Ils retrouvent leurs anciennes positions (Mulder le croyant, Scully la sceptique) mais une nouvelle connivence les unit.
SCULLY: I was considering Boggs. If he knew that I was your partner,
he could have found out everything he knew about me. About my father...
MULDER: Scully. SCULLY: "Beyond the Sea" was playing at my parents’ wedding. Visions of deceased loved ones are a common psychological phenomena. If he knew that my father had... MULDER: Dana. After all you’ve seen, after all the evidence, why can’t you believe? SCULLY: I’m afraid. I’m afraid to believe. MULDER: You couldn’t face that fear? Even if it meant never knowing what your father wanted to tell you? SCULLY: But I do know. MULDER: How? SCULLY: He was my father. |
Je repensais à Boggs. Si il savait que j'étais ta partenaire, il a pu découvrir tout ce qu'il savait sur moi. Sur mon père...
Scully. "Beyond The Sea" a été joué au mariage de mes parents. Les visions des chers disparus sont un phénomène psychologique connu. Si il savait que mon père était... Dana. Après tout ce que tu as vu, toutes ces évidences, pourquoi tu n'y crois pas ? J'ai peur. J'ai peur d'y croire. Tu n'as pas pu affronter cette peur ? Même si elle signifiait que tu ne saurais jamais ce que ton père voulait te dire ? Mais je le sais. Comment ? C'était mon père. |
Scully est une femme encore très jeune qui est toujours à la recherche de l'approbation paternelle (et maintenant de l'admiration de Mulder). La scène de l'enterrement et la scène finale donnent ainsi à l'épisode une cohésion psychologique qui non seulement enrichit l'intrigue mais aussi rend les personnages plus attachants.
4°) Le fil directeur sous-jacent :
La trame souterraine profonde de l'épisode n'est évidemment pas l'anecdote elle-même mais une thématique qui deviendra récurrente par la suite, à savoir la problématique de la croyance ou de la foi.
Nous découvrons ici quatre conceptions différentes de ce thème : la croyance "new age" de Mulder (OVNIs, extra-terrestres), la croyance mi-chrétienne mi-païenne de Scully (visions), la croyance "prophétique" de Boggs (spiritisme) et la croyance humaniste de Mrs Scully (amour familial).
Ces quatre variations sur un même thème ne sont évidemment pas fortuites. Glen Morgan et James Wong ont voulu cette quadruple perspective parce qu'elle permet de mettre en valeur les personnages de Mulder et Scully. La dernière phrase de Scully ("C'était mon père") fait écho à celle - identique - prononcée par sa mère lors de l'enterrement ("C'était ton père") et clôt la période du doute. Dans sa foi (confiance, croyance) retrouvée Scully peut à présent entamer sereinement son travail de deuil. La marque de la vraie foi c'est précisément le fait qu'elle ne veuille pas assister à l'exécution de Boggs ; elle n'a pas besoin de preuve pour savoir ce que son père voulait lui dire.
La "foi" de Mulder travaille en sens inverse ; il "croit" aux extra-terrestres depuis qu'il croit avoir assisté à l'enlèvement de sa sœur Samantha en 1973. Cette "révélation" (ou "épiphanie", manifestation du divin) initiale lui tient lieu de certitude. Mais son métier d'enquêteur le pousse à rechercher des preuves étayant sa croyance.
Dans Beyond The Sea leurs deux "fois" commencent par se rapprocher (dossier X-Files), puis elles se croisent (visions), s'affrontent (dispute au motel) et finissent par s'harmoniser (scène finale) à la grande satisfaction du spectateur.
Chris Williams : un autre "analyste" des X-Files qui a défini quatre critères pour apprécier la qualité d'un épisode. Vous pouvez consulter ses règles ici et l'intégralité de son commentaire sur Beyond the Sea ici.
Boggs : Autre signe de "croyance", les deux tatouages qu'il porte sur les phalanges de chaque main rappellent ceux du prédicateur terrifiant incarné par Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur.