Le contexte :
Lors d'une prise d'otages, Mulder intervient comme négociateur.
Cette situation de huis clos est l'occasion pour Chris Carter (qui, ici, fait tout lui-même du scénario à la réalisation) de montrer tout son génie. Les dialogues (notamment ceux de la négociation) sont remarquables de justesse et la réalisation alterne avec une grande intelligence rythmes et cadrages divers et originaux. Bref, Duane Barry est une grande réussite !
L'ambiguïté du personnage central :
Le mérite de Chris Carter est de toujours camper des personnages de "méchants" originaux. Dire, dans le cas présent, que Duane Barry a une personnalité riche et complexe n'est pas une banalité ; outre l'excellent jeu de l'acteur principal - Steve Railsback - qui sait en rendre aussi bien les côtés attachants que les côtés effrayants. Car Duane Barry est une personne multiple : Duane et Barry sont deux prénoms ; Duane est sémantiquement apparenté à dual (double) ; il parle de lui à la troisième personne ; il fut successivement dans sa vie (et est parfois simultanément) agent du FBI, abducté, partiellement amnésique puis menteur pathologique, interné psychiatrique violent puis docile, preneur d'otages... Un pathologiste du XIXe siècle l'aurait appelé "aliéné".
Or, c'est exactement ce qu'est Duane Barry ! Alien signifie "étranger, différent", et l'aliénation est la folie qui pousse un être humain hors de sa propre personnalité, qui le rend étranger à lui-même et différent des autres.
L'ambiguïté des images :
Un flash-back introductif nous montre comment Duane Barry fut - semble-t-il - enlevé par des extra-terrestres, le 3 juin 1985. Or, dans cette scène du prégénérique, la bande sonore apporte des informations non négligeables si - comme Scully - on doute de ce qu'on voit. La télé (que nous entendons dans la pièce du fond, tandis qu'un chien parcourt la maison) diffuse une satire de film de chevaliers qui colle étrangement aux événements. Jugez plutôt :
MAN #1 ON TV: Hold, punster! Find the prisoner!
MAN #2 ON TV: Find the prisoner! MAN #1 ON TV: There, there, whoa! Who's this? (The dog starts off to another room.) MAN #3 ON TV: There, there's been a mistake. Get me a lawyer. MAN #1 ON TV: Forward, punster. Where is the king? MAN #4 ON TV: In the great hall, sire. (The dog runs into the room with his owner, Duane Barry. Barry is lying on the bed.) MAN #5 ON TV: Enough! My horses. MAN #4 ON TV: Aye, sire. MAN #5 ON TV: "Ode to the Great Hawk." |
VOIX N°1 :Halte, bouffon ! Trouvez le prisonnier.
VOIX N°2 : Trouvez le prisonnier ! VOIX N°1 : Là ! Là ! Ouah ! Qui est-ce ? (Le chien passe dans une autre pièce.) VOIX N°3 : Attendez... Il s'agit d'une erreur. Appelez-moi un avocat. VOIX N°1 : En avant, bouffon. Où est le roi ? VOIX N°4 : Dans le grand hall, Sire. (Le chien entre dans la pièce où se trouve son maître, Duane Barry. Barry dort sur son lit.) VOIX N°5 : Assez ! Mes chevaux ! VOIX N°4 : Oui, Sire. VOIX N°5 : "Ode au Grand Faucon." |
Il n'est pas inutile de tenter une explication de ce passage. Étant donné la signification obscure de certaines répliques (Grand Faucon = ?) il pourrait s'agir d'un amalgame fait par Duane Barry lui-même pendant son rêve. Il se voit en chevalier emprisonné à tort (d'où l'anachronique allusion aux avocats) et ses ravisseurs (nous voyons des "petits gris" entourer le lit de Duane) comme des étrangers au langage bizarre ("bouffon" étant probablement le nom du cheval de l'homme N°1).
Parallèlement, le chien erre bel et bien dans la maison pendant que les personnages du film fouillent le château. Cette mise en abîme (le spectateur voit une série télé dans laquelle un personnage rêve qu'il dort devant un écran de télé qui diffuse un film dont l'action raconte de façon décalée ce qu'il est en train de rêver) a pour but de faire douter le spectateur de ce qu'il voit ; Duane Barry fait-il un cauchemar ou ce cauchemar est-il réel ? La neige qui apparaît soudain sur l'écran prouve-t-elle la réalité de l'enlèvement ou bien illustre-t-elle le moment où, dans son sommeil, Duane Barry commence à rêver à partir de la bande son perçue inconsciemment par son oreille ?
La levée partielle de l'ambiguïté :
Démêler le vrai du faux, le réel de l'imaginaire n'est pas chose aisée. Chris Carter confie donc cette tâche à trois personnages : Mulder joue l'identification et le partage des émotions de Duane Barry, Scully déterre son passé pour le moins confus (ancien agent du FBI, il a reçu une balle dans la tête en 1982) et Lucy Kazdin, responsable des négociations.
Si Mulder, comme d'habitude, fonce "tête baissée" dans le piège c'est bien sûr parce que Barry prétend avoir été enlevé par des extra-terrestres. Mais il n'en montre pas moins une extrême perspicacité psychologique tout au long des conversations qu'il a avec Duane. Il n'oublie pas non plus le sort des autres otages qu'il parvient à faire libérer in extremis. Toutefois, il joue un jeu dangereux pour sa santé physique et mentale (remémoration de l'enlèvement de sa sœur Samantha).
Scully mène l'enquête documentaire et c'est en découvrant que Barry est peut-être un menteur pathologique (suite à la balle qu'il a dans la tête) qu'elle tire Mulder de sa position délicate.
Lucy Kazdan, énergique et cassante voire autoritaire, mène les négociations tambour battant et selon la stricte procédure. Son unique but est de préserver la vie des otages, pas de croire Barry ou même Mulder. Mais sa probité intellectuelle est entière. a la fin de l'épisode, elle retrouve Mulder devant la chambre où Barry est hospitalisé à la suite de l'assaut et lui révèle les conclusions troublantes (pour elle) de l'enquête : les implants mentionnés par le forcené ont bel et bien été retrouvés dans son nez, son crâne et son abdomen ; ses dents ont subi des interventions chirurgicales de nature inconnue sur Terre... |
Le rebondissement final :
Barry sort brusquement de son coma et s'évade de l'hôpital. Dans la nuit, il enlève Scully tandis qu'elle parle au répondeur de Mulder. Elle vient de découvrir que l'un des implants de Duane est porteur d'une sorte de "code-barre" identificateur.
La suite : Ascension/Duane Barry (2/2)
Notes :
amalgame : on sait depuis Freud que le rêve associe souvent de façon incongrue des images et/ou des mots sortis de leur contexte habituel, d'où son apparente incohérence.
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