Episode 3X17 : Pusher / Autosuggestion

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Entrée en scène d'un nouveau grand méchant - hors conspiration - voici : Robert Patrick Modell. Interprété par un acteur talentueux (Robert Wisden), Modell est de la veine des Eugene Victor Tooms (1X02/1X20 Squeeze/Tooms), Luther Lee Boggs (1X12 Beyond the Sea), ou plus tard John Lee Roche (4X08 Paper Hearts). A l'instar de Tooms, Modell revient dans un second épisode : 5X08 Kitsunegari.
Dépassant le cliché du caricatural psychopathe/tueur en série/ancien du Viêt-Nam, Robert Patrick Modell acquiert une présence réellement inquiétante grâce au jeu très sobre mais très intense (dans le regard notamment) de Robert Wisden.

Le paradoxe est précisément que le personnage n'est au départ absolument pas crédible. Jugez-en : cet homme aurait le pouvoir de "pousser" (en anglais "to push") ses victimes à agir contre leur propre intérêt (la plupart du temps jusqu'à en mourir) et cette faculté lui viendrait (?) d'une tumeur au cerveau !
Or, non seulement on y croit dès la fin du pré-générique mais on frémit par la suite tant le don du "pusher" semble réel et son empire sur Mulder terrifiant ! Car le scénariste (l'excellent Vince Gilligan) a su doser habilement et avec ironie les scènes de la vie quotidienne où le tueur évolue, par exemple, dans un supermarché de la ville de Foodmore (en français "plus de bouffe" !) avec musique d'ambiance sur laquelle Modell chantonne ingénument, ET les scènes vraiment effrayantes où il "pousse" - entre autres - un policier à démarrer sa voiture sous le nez d'un camion arrivant de sa droite.

Modell est d'autant plus angoissant que nous le voyons réagir fort sainement - comme tout un chacun - et sourire sincèrement lorsqu'il découvre la couverture d'un magazine montrant une créature mi-homme mi-douve qui serait sensée hanter les égouts de la ville (cf. 2X02 The Host/L'Hôte). L'instant d'après, il blêmit à la vue d'une voiture de patrouille se garant sur le parking du supermarché.
Dès lors, il mènera la danse jusqu'à la fin de l'épisode :

PUSHER : Let's get this show on the road. Que le spectacle commence !

Et nous comprenons vite que cet homme dangereux a le don d'influencer les gens par sa seule parole ! Il lui suffit de focaliser l'attention de sa victime sur un mot, une phrase ou une couleur (il crée ainsi une fixation sur le bleu céruléen d'un camion) pour l'amener ensuite à lui obéir.

Cet épisode est donc - à mon avis - un hymne au pouvoir de la parole, à l'éloquence. C'est aussi un hommage à tous ceux qui savent manier la langue avec aisance et élégance (c'est-à-dire, par exemple, les scénaristes !). Mais Vince Gilligan n'est pas dupe de son talent. Il sait que les mots peuvent avoir un pouvoir dévastateur. L'usage de la propagande sous le Troisième Reich en une preuve accablante.
Telle est au moins la théorie de départ de Mulder :

MULDER : Suggestion is a powerful force. The science of hypnosis is predicated on it, as are most TV commercials. I mean, they're designed to plant thoughts in your head.
SCULLY : Inducing someone to buy hair color is a little different than inducing them to drive in front of a speeding truck.
MULDER : But the mechanism of suggestion is the same. It's just a lot more powerful in this case. I mean, this guy calls himself "Pusher." Can't we take that to mean that he pushes his will onto other people ?
La suggestion est un pouvoir très puissant. La science hypnotique est basée dessus, comme la plupart des spots publicitaires. Je veux dire qu'ils sont conçus pour implanter des idées dans nos têtes.
Inciter quelqu'un à acheter du shampooing colorant est un peu différent de l'inciter à se jeter sous les roues d'un camion lancé à pleine vitesse.
Mais le mécanisme est le même. C'est juste beaucoup plus fort dans le cas présent. Je veux dire, il se nomme lui-même "pousseur". Ne pouvons-nous pas supposer qu'il "pousse" les autres à suivre sa volonté ?

La seconde piste est plus mystérieuse. Modell semble féru de culture japonaise. Il se prend pour un "ronin" (samouraï sans maître) et libelle ses petites annonces au nom de "osu" (pousseur). C'est pourtant cette piste que suivent les agents.
De cabine téléphonique en terrain de golf, de parking désert en cour de justice, ils poursuivent, attrapent puis laissent repartir Modell. La théorie du "pousseur" ne convainc pas la cour. Et pour cause ! Il hypnotise le juge !
Après l'audience, Mulder lui renvoie la balle : il le "
pousse" à vérifier si ses chaussures sont bien lacées et celui-ci s'exécute.

Mais la scène la plus réussie est à mon avis celle de la crise cardiaque de Frank Burst provoquée au téléphone ; la montée de la tension est jouée à la perfection, associant la course contre la montre pour localiser l'appel, la douleur croissante de Burst et l'impuissance de Mulder (car il a tout compris) ; et l'ensemble est magistralement orchestré pour "clouer" le spectateur sur son siège ! La prochaine victime de Modell sera Mulder, car le "ronin", qui se sait condamné par une tumeur au cerveau, veut en finir face à un adversaire "digne de lui".
La grande confrontation - le "clou" de l'épisode - a lieu au Fairfax Mercy Hospital. Mulder traque Modell, muni d'une mini caméra frontale qui transmet ses déplacements en temps réel. Du coup, le téléspectateur devient, comme Scully et les membres des SWAT qui l'accompagnent, un acteur angoissé - quoique/parce que passif - de cette scène finale !
Après avoir remis son arme à Scully (au bord des larmes tant son inquiétude est grande), Mulder lance l'action comme Modell l'avait fait au début :

MULDER : Let's get this show on the road. Que le spectacle commence !

Le "pusher" vient de passer un scanner cérébral (qui confirme le stade terminal de sa tumeur) et, lorsque Mulder arrive dans la salle d'examen, Modell le piège "en direct" sous nos yeux et ceux de de Scully.

Et c'est elle qui met fin au duel de roulette russe opposant le "pusher" à son collègue. Elle perturbe le son de la voix de Modell en prenant elle-même la parole, puis elle déclenche un signal d'alarme qui délivre Mulder de l'emprise à laquelle il était soumis. Mulder l'abat.
Robert Patrick Modell tombe dans un coma que l'on pense irréversible. Il reviendra pourtant, au cours de la cinquième saison (5X08 Kitsunegari), hanter une nouvelle fois Mulder et Scully...

Notes :

influencer les gens par la parole : Il ne s'agit évidemment pas d'un hasard. Le "pusher" est en fait un baratineur, et c'est justement ce qui le rend dangereux ! Faut-il y voir une critique plus générale des orateurs (politiques ou autres)...?

ceux qui savent manier la langue : si Tooms est quasi-muet, il n'en va pas de même pour Boggs et Roche qui sont, comme Modell, de grands rhéteurs (= experts en rhétorique).

pousse : Mulder démontre ainsi la justesse de sa théorie. Par le simple pouvoir de la parole, il est capable de "pousser" quelqu'un à faire quelque chose qu'il n'avait pas l'intention de faire. Modell se fait prendre à son propre piège.

scanner : L'appareil le plus sophistiqué de la médecine actuelle se retrouve à égalité avec la mini caméra : tous deux ne sont que les modestes instruments de nos vaines tentatives de voir les secrets de notre monde. Or, la série ne cesse de nous le répéter : "La Vérité est ailleurs" ; elle est dans la parole. Believe the lie, Trust No One, etc... Toutes les formules déclinées par les X-Files sont axées sur la force du langage ; contrairement à l'idée reçue, c'est l'esprit qui dicte à l'oeil ce qu'il voit. La parole précède et commande la vue.

Robert Patrick Modell pousse ses victimes au suicide ou au meurtre :

Swat Officer

Face au juge

Frank Burst

Mulder

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