Les liens en jaune concernent mes remarques en bas de page.
Episode atypique exclusivement axé sur l'homme à la cigarette, il n'en est pas moins passionnant en nous permettant de mieux comprendre la personnalité complexe de CSM. Episode atypique également, car Mulder et Scully en sont presque totalement absents (on aperçoit Scully à la fin ; on ne fait qu'entendre la voix de Mulder). Atypique enfin, car il marque le début d'une plus grande autodérision des X-Files.
1°) Une personnification de la conspiration poussée à son paroxysme, l'autodérision :
Comme on commençait déjà à le soupçonner, CSM est pour les X-Files une personnification, une allégorie de la grande
conspiration qui est la marque de fabrique de la série.
On découvre ici, qu'il n'était pas seulement impliqué dans un complot visant à
cacher l'existence des ETs, et qu'il avait commencé sa carrière beaucoup plus tôt par l'assassinat de JFK et de Martin Luther
King. Deux assassinats qui, des décennies après, fascinent encore les foules de part les mystères qui les entourent quant à leurs
véritables meurtriers et à leurs mobiles. En outre, la population a toujours eu du mal à imaginer que des gens "exceptionnels"
puissent se faire assassiner d'une manière "classique" ou puissent mourir accidentellement. (Cf. mort de Marylin Monroe,
James Dean, Coluche, Claude François pour nous).
La vox populi a toujours penché pour la thèse du complot, d'un groupe
d'hommes de l'ombre qui tirent les ficelles, ou d'un mystérieux homme sachant tout sur tout. C'est ce que représente CSM
dans les X-Files : la somme de tous nos doutes et de toutes nos peurs. Accessoirement, on est toujours enclin a penser que cet
homme agit en marge des organes gouvernementaux et même à l'insu des chefs d'Etats.
AID: Should we... advise the President? CIGARETTE-SMOKING MAN: I work very hard to keep any President from knowing I even exist. |
ASSISTANT: Est-ce qu'il faudra avertir le président ? CSM : Je me suis déjà donné assez de mal pour que les présidents ne soupçonnent pas mon existence. |
On peut également relever le fait que CSM écoute les Bandits Solitaires et qu'aucun de leurs systèmes de brouillage n'est efficace contre lui, ce qui confirme notre hypothèse de l'existence de personnes qui peuvent tout savoir de nous sans pour autant que l'on soupçonne leur présence.
Un autre lieu commun que l'on retrouve dans les discussions de café du commerce à l'évocation de LA conspiration veut que ses agents soient pourvus de pouvoirs extraordinaires sur tout et tout le monde, mais qu'à chaque fois, on ne sache expliquer d'où ils tirent ce pouvoir.
C'est encore une fois le cas ici, où CSM a ses entrées dans toutes les agences gouvernementales, mais ne reçoit
d'ordre de personnes, décide de la vie et de la mort de chacun, donne des ordres à tous sans que pour autant on ne sache d'où il tire son autorité.
Et c'est encore plus flagrant dans cet épisode, où l'on apprend une grande partie de sa vie passée sans y
voir réellement d'où il tire son pouvoir ; car, même s'il semble avoir participé aux plus grands complots de ce siècle, on ne sait
toujours pas de quoi il tire ses prérogatives.
Plusieurs hypothèses :
- Un grand charisme (même s'il n'en manque pas cela ne saurait suffire...)
- Il pourrait posséder des informations compromettantes (mais encore une fois, cela ne nous explique de qui il tire son pouvoir)
- C'est un E.T et il a des pouvoirs surnaturels (J'y crois moyennement malgré la fertilité de l'imagination des scénaristes
X-filiens !)
CIGARETTE-SMOKING MAN: How many historic events have only the two of us witnessed together, Ronald? How often did we
make or change history? And our names can never grace any pages of record. No monument will ever bear our image. And yet once
again, tonight,the course of human history will be set by two unknown men... standing in the shadows. (...) Go ahead. Make history. |
CSM: Combien de grands événements historiques n'ont eu d'autres témoins que nous deux, Ronald ? Combien de fois
avons nous fait ou changé l'histoire ? Et nos noms ne figureront jamais dans aucun manuel scolaire. Aucun monument n'arborera
jamais nos portraits. Et pourtant, ce soir encore, le sort de l'humanité sera infléchi par 2 anonymes, agissant dans l'ombre.
[...] Allez-y faites l'histoire. |
En conclusion, aucune de ces hypothèses ne convainc complètement et pour cause, car il n'y a pas d'explications, c'est ce qui permet de créer ce mythe des manipulateurs de l'ombre. Et les scénaristes sont tellement conscients des limites de ce système qu'ils ont décidé de le pousser à fond dans cet épisode dans une scène assez extraordinaire car on ne peut s'empêcher de se
dire en la voyant : "Ah , j'en étais sûr", mais après deux minutes de réflexion on se rend compte que l'on s'est fait prendre à notre propre piège, car les scénaristes nous disent ici exactement tout ce que l'on toujours voulu entendre : Nos destins sont contrôlés par des forces supérieures et nous n'y pouvons rien. Et quelque part, cette situation nous convient parfaitement, car elle nous permet de nous déresponsabiliser.CIGARETTE-SMOKING MAN: All right, gentlemen. Let's make this short and sweet so we can all go home for Christmas... Domestic unrest operations? LYDON: Yeah, the Anita Hill thing has lost steam since October. CIGARETTE-SMOKING MAN: Well, let it go. We played it right. Unfounded allegations will be flying around in no time. L.A.? MATLOCK: The Rodney King trial has been moved to Simi Valley,just as you instructed. (A machine beeps. The read-out reads: "TUE DEC 24, 1991 3-15 PM" Then:"SADDAM HUSSEIN LINE TWO") CIGARETTE-SMOKING MAN: Call back. CIGARETTE-SMOKING MAN: Well, gentlemen, if that'll be all... (The machine beeps again twice. The Cigarette-Smoking Man looks at it.) "GORBACHEV HAS RESIGNED" CIGARETTE-SMOKING MAN: Gorbachev has just resigned. |
CSM: Très bien messieurs, soyons bref afin de pouvoir rentrer chez nous pour noël... Des opérations intérieures en suspens ? LYDON: Oui, l'histoire d'Anita Hill tombe un peu dans l'oubli depuis Octobre. CSM: Eh bien, laissons la tomber, nous avons joué à merveille dans cette affaire. Des allégations sans fondement ne tarderont pas à se répandre. Los Angeles ? MATLOCK: Le procès de Rodney King va aller à Simi Valley selon vos instructions. (Une machine émet des bips. Il apparaît sur un écran mardi 24 décembre 3h15 : "Saddam Hussein ligne 2") CSM: Je le rappellerai...
(D'autres bips émanent de la machine. Csm la regarde.) "GORBACHEV A DEMISSIONNE" CSM: Gorbatchev vient de démissionner.
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N.B : Cette dernière réplique est assez significative, que le fait d'avoir un ennemi aide toujours à se sentir vivant, cela donne une raison de vivre, d'où la visible appréhension de l'intéressé.
Bien entendu, toute la démonstration qui vient ici d'être faite, peut être retournée dans l'autre sens. On peut effectivement voir ici tout cet épisode au 1er degré et n'y voir que ce que l'on veut bien y voir.
2°) Un homme qui a toujours cherché à se fuir :
L'autre aspect de cet épisode se trouve bien sûr dans une perception accrue de la personnalité complexe de CSM. A la vision
de cet épisode, on ne peut s'empêcher de penser que la personnalité de CSM a de multiples facettes (comme nous tous
d'ailleurs !).
Tout d'abord, il apparaît qu'il est partagé entre son amour du pouvoir et de la manipulation et son envie de mener une vie
paisible. Ainsi, dès qu'il croit que l'univers littéraire lui ouvre ses portes, il rédige une lettre de démission (autre paradoxe, cf.
supra, comment pourrait-il démissionner de sa fonction, qui pourrait recueillir sa démission ?).
Paradoxalement, cet homme
de l'ombre n'aspire qu'à une chose : la célébrité, et plus qu'à la célébrité, à une reconnaissance. Et ce petit jeu le conduit jusqu'à la
schizophrénie avec la personnalité de Jacques Colquitt, héros de son roman.
TAKE A CHANCE: A JACK COLQUITT ADVENTURE
Written By Raul Bloodworth (Nom de Plume)
Tout est très révélateur dans ces deux dernières lignes :
- Son titre : " Saisit une chance " qui pourrait assez résumer les aspirations de l'homme à la cigarette.
- Mais aussi le nom de plume que je verrai bien comme le vrai nom de CSM.
Mais son implication dans le roman va beaucoup plus loin puisqu'il semble qu'il y narre ses propres aventures de conspiration (A noter que tous ses manuscrits sont refusés par les éditeurs comme étant invraisemblables.) et qu'il reprend les répliques qu'il fait dire à son personnage (Cf. la rédaction de son roman et la fin de l'épisode).
CIGARETTE-SMOKING MAN: I can kill you whenever I please... but not today. | CSM : Je pourrai vous tuer au moment où je le voudrais... mais pas aujourd'hui. |
Pour autant, tout n'est pas forcément si simple ; et on se demande si c'est l'homme qui influence le personnage ou le personnage qui influence l'homme ?
Peut-être un peu des deux finalement, après tout, comme le laisse entendre le titre original de cet épisode, CSM est un rêveur et comme tout les rêveurs, il cherche, par son imagination, à sortir d'une vie monotone pour
accéder à une vie beaucoup passionnante.
Frohike l'a finalement parfaitement bien cerné même s'il ne connaît pas tout de sa vie...
FROHIKE: Henry David Thoreau wrote, "The mass of men lead lives of quiet desperation." His life has been anything but quiet, yet I believe nothing but desperate. He's the most dangerous man alive, not so much because he believes in his actions, but because he believes his actions are all which life allows him. And yet... the only person that can never escape him... is himself. | FROHIKE: Henry David Thoreau a écrit, "La plupart des hommes vivent une vie de désespoir tranquille." Sa vie à lui a été tout sauf tranquille, je crois pourtant qu'elle a été animée par le désespoir. Personne n'est plus dangereux que lui, à cause de sa foi en ses actes bien sûr, mais surtout parce qu'il est persuadé de rien pouvoir faire d'autre de se vie. Et pourtant, le seul qui n'ait aucune chance de lui échapper, c'est lui même. |
On n'échappe jamais à ce que l'on est, on peut toujours se cacher derrière différents masques, on ne peut changer sa nature, on peut simplement la déguiser selon les circonstances et tromper les apparences...
DEEP THROAT: I'm the liar. You're the killer. CIGARETTE-SMOKING MAN: Your lies have killed more in a day than I have in a lifetime. I've never killed anybody. DEEP THROAT: Maybe I'm not the liar. |
GORGE PROFONDE: Je suis le menteur. Vous êtes le tueur. CSM: Vos mensonges ont tué beaucoup plus en un jour, que je n'en ai tué en une vie. Je n'ai jamais tué personne. GORGE PROFONDE : Ce n'est peut-être pas moi le menteur. |
Se donner plusieurs visages permet de nier certaines de nos perversions et d'éradiquer de notre mémoire ce que notre
conscience ne peut supporter. Ainsi, CSM affirme ne jamais avoir tué personne !!!!
Cette facette de sa personnalité peut-être
pas, effectivement. Ainsi, on pourrait tout connaître de la personnalité de CSM, qu'on ne le connaîtrait pas complètement pour
autant, car comme chacun de nous il porte sa part de mystère en lui.
3°) Quelques observations annexes :
- CSM est toujours habillé de la même manière sans aucune originalité, ni aucune volonté de se démarquer. Il a le look parfait
et typique du bureaucrate, et rien ne laisse supposer ce qu'il est réellement. Il est des fois où l'habit ne fait pas le moine ! Il
aurait donc toutes les raisons de vouloir s'imaginer une autre vie.
Alors finalement qu'est-ce qui pousse CSM a agir ainsi ? Pourquoi un homme qui finalement a l'air si inoffensif peut-il agir ainsi ?
- Il fume depuis qu'il a assassiné Kennedy, il se déclarait en tout cas non fumeur avant.
- Il a rencontré Bill Mulder à l'armée.
- On apprend le prénom vraisemblable de Gorge Profonde : Ronald .
Je crois que la réponse est en chacun de nous et qu'elle y est depuis des millénaires... Elle est inhérente à la nature humaine égoïste, égocentrique ...
Le début de l'épisode l'illustre d'ailleurs parfaitement, je terminerai donc cette analyse comme
commence l'épisode : "For nothing can seem foul to those that win." ("Car rien n'est rebutant aux yeux de ceux qui gagnent." Henry IV, Pt. 1 Acte 5, Sc. 1)
hommes de l'ombre qui tirent les ficelles : je vais encore plus loin dans l'analyse, en ajoutant que tout comme CSM a besoin d'une drogue - la cigarette - pour accepter son destin, l'homme de la rue a besoin d'une croyance - religion ou complot des "dieux", peu importe - et du décorum qui lui donne de l'importance - encens, drogues hallucinogènes, etc. - afin de supporter sa condition ordinaire. Il est toujours plus facile de croire que de toute façon on n'est pas maître de son destin que de faire son autocritique...
CSM écoute les Bandits Solitaires : On admirera, une fois de plus, l'humour des scénaristes car l'image est cocasse ! L'arroseur arrosé, l'apprenti sorcier pris à son propre piège, le serpent qui se mord la queue... et les contrespions espionnés ! |
personnes qui peuvent tout savoir de nous : cette infantilisation des adultes rappelle les sermons de curés de campagne (ou le petit doigt rapporteur des mères autoritaires) qui terrorisaient leurs "ouailles" en affirmant que le "bon dieu" les punirait car il voit tous nos méfaits et sait tout de nos intentions.
il n'y a pas d'explications : un mythe, une religion reposent en effet sur la croyance et non sur la certitude, la vérité et la preuve. CSM ne détient tout son pouvoir d'intervention et de nuisance que parce que beaucoup de gens croient en son pouvoir.
cela mérite réflexion : à l'instar de Flaubert, Chris Carter pourrait dire "CSM c'est moi" ; il est évident qu'il y a beaucoup plus du démiurge dans ce personnage obscur et profond que dans le naïf paranoïaque qu'est Fox Mulder. Le "rusé renard" se perd plus souvent qu'à son tour dans les "écrans de fumée" fabriqués à son intention...
Qu'est-ce qui pousse CSM à agir ainsi ? Réponse : la même chose qui le pousse à écrire des romans (où il raconte sa vie, d'ailleurs !), c'est-à-dire la quête du plaisir, des sensations fortes, de ce que les psychanalystes lacaniens appellent la "jouissance", bref du grand frisson. CSM porte des costumes ordinaires, il a un physique ordinaire MAIS il fait des choses extraordinaires, ou du moins il se l'imagine... Comme beaucoup de tyrans, il tire son incroyable efficacité d'une grande conscience de sa propre médiocrité originelle : c'est parce que ces romans sont rejetés par les éditeurs, que CSM, dont l'imagination est ainsi frustrée, passe à l'action.