Bad Blood a pour titre français Le Shériff A Les Dents Longues, ce qui encore une fois dévoile à mon goût trop de choses dès le début.
Heureusement, cet épisode hilarant renferme d'autres aspects intéressants... A commencer par l'excellente interprétation comique d'une Scully excédée par les autopsies à répétition.
L'argument :
Dans le pré-générique, Mulder poursuit à travers bois, puis rattrape un jeune ado qu'il tue d'un coup de pieu planté dans le coeur ! Jamais nous n'avions vu Mulder aussi impulsivement violent - si ce n'est envers l'Homme à la Cigarette ou Krycek - c'est dire si l'affaire semble TRES sérieuse ! Et pourtant, nous spectateurs ne percevons pas la gravité du problème. Mulder vient d'assassiner (la préméditation ne fait aucun doute) un vampire. La belle affaire ! En quoi les vampires représenteraient-ils un danger plus grand que les extra-terrestres ? Pourquoi Mulder n'a-t-il pas plutôt cherché à garder une preuve de leur existence ?
Toutes ces interrogations doivent être celles de Scully, puisqu'arrivée sur les lieux quelques secondes plus tard elle découvre aisément que le "vampire" portait en fait un dentier en plastique de farces et attrapes !
Vampire or not vampire ? That's the question !
Evidemment, l'affaire fait grand bruit au FBI, et Mulder doit faire un rapport circonstancié. Or, bien qu'il affirme être sûr de ce qu'il a vu, il demande à Scully de lui présenter SA vision des faits.
Tel est le ressort principal de cet épisode : la confrontation des récits de Mulder et Scully diffère parfois à un tel point que l'on en vient presque à suivre deux épisodes distincts ! Et le décalage est d'un comique indéniable.
De quoi s'agit-il ?
Ce qui frappe immédiatement, c'est l'extrême nervosité et l'extrême malaise de Mulder dès qu'il s'agit de vampires. Lorsque Scully vient aux nouvelles, le lendemain matin, il fracasse - de rage - une poubelle qu'il a ratée au lancer de boulettes de papier. Or, Mulder est un bon lanceur. Ces deux indices nous révèlent que le trouble est profond et touche certainement quelque couche inconsciente de sa personnalité.
Scully, quant à elle, est certes intriguée par les vampires ; mais elle n'est pas déstabilisée. Qu'arrive-t-il donc à Mulder ?
Je pense que sa "vampirophobie" - qui remonte au moins à l'épisode 2X07 Les Vampires (3) - est liée à la quasi-absence de vie amoureuse qui caractérise sa vie extra-professionnelle. En effet, le vampirisme est une légende qui s'épanouit au coeur du XIXe siècle romantique : il est une métaphore fantastique (donc fantasmatique) de l'amour fou, de cette passion dévorante qui parfois anime les êtres humains. Scully en donne une description savante sous le nom d'hématodipsie, "une fixation psychologique qui pousse le malade à tirer une satisfaction érotique de la consommation de sang humain".
Or Mulder semble d'ordinaire très imperméable au côté - justement - excessif de l'amour. On dirait même qu'il en a peur. C'est donc l'angoisse d'être dévoré par l'amour qui explique la violence de ses réactions et la perte son habituelle lucidité.
Les Troubles de Mulder (dans la version de Scully) :
- sa première présentation des faits (selon Scully) met en avant les exsanguinations de bétail, pas la victime humaine ;
- tandis qu'au funérarium Scully tombe sous le charme du Shériff Lucius/Lucien Hartwell, Mulder a même oublié le nom de sa partenaire...
- ... alors qu'il prend avec une grande jalousie le fait - certes insolite - que le Shériff ait connaissance du prénom de Scully (les vampires seraient donc télépathes) ;
- sous l'empire de la drogue dissimulée dans la pizza, Mulder chante une chanson plutôt sexy et disco de Shaft (un groupe des années '70s) : "Who's a black private dick ? Who's a sex machine with all the chicks ? Shaft !", alors qu'il cite plus volontiers du rock ;
Les Troubles de Mulder (dans sa propre version) :
- il se décrit comme extrêmement calme et pondéré (croyant se donner le beau rôle), ce qu'il n'est jamais quand une affaire l'intéresse ;
- sa présentation extrêmement prudente de ce cas de vampirisme trahit l'extrême intéret qu'il essaie de masquer (cf. les "pourrait", "semble", "pas de conclusions hâtives" dont il se targue, tout comme son hypocrite "c'est ton opinion et je la respecte") ;
- il attribue une difformité extrême au séduisant Shériff (comme si chez Mulder l'équation amour + jalousie = vampirisme ou difformité, c'est-à-dire anormalité) ;
- il fait bailler Scully à l'écoute de son déballage d'érudition "vampirologique" (ce qu'elle ne se permet jamais, même s'il lui en vient l'envie) ;
- il pose lui-même le diagnostique clinique qui caractérise les vampires. Mais l'observation vaut aussi pour lui-même : "vampires are really, really obsessive-compulsive" (les vampires sont vraiment, vraiment obsessionnels-compulsifs) ;
Néanmoins, il faut reconnaître qu'à eux deux et même sur des longueurs d'ondes différentes, Mulder et Scully laissent échapper peu d'indices révélateurs (cf. les chaussures non lassées remarquées lors de la visite de la morgue, le narcotique dans la pizza trouvé au cours de l'autopsie,...).
Ainsi, derrière la farce, c'est avec ironie ET finesse que le scénariste (Vince Gilligan, digne successeur de Darin Morgan) nous confirme que les deux collègues du FBI font plus que se compléter professionnellement ; ils sont bel et bien faits l'un pour l'autre. Il suffit de noter avec quelle gentillesse Scully refait le noeud de cravate de Mulder tandis qu'ils attendent l'arrivée de Skinner.
En fin de compte, Bad Blood nous présente une variante - satirique - de la vie domestique ou "quasi-conjugale" du couple Mulder-Scully sur le versant "scène de ménage" : chacun veut avoir raison et tirer la couverture à soi. En fait, aucun des deux n'a totalement tort. La vérité n'est pas ailleurs, elle est au milieu ! Mulder le reconnait dans l'épilogue (sauf pour ce qui est de la machoire chevaline du shériff !)
Remarques finales :
Dans la série conjugale, cet épisode est à mettre en liaison avec ceux de la 6ème saison (notament Dreamland I & II, How the ghosts stole Xmas, Terms of endearment, Rain King, Arcadia, Milagro, Field Trip).
Enfin, Bad Blood appartient aussi à une deuxième catégorie : les épisodes "relativistes" (ceux qui défendent une pluralité de points de vue) comme Jose Chung's From Outer Space (3X20), Monday (6X14) ou Field Trip (6X21).
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