Voici les réflexions fort intelligentes que j'ai reçues d'un amateur très éclairé, Matthieu (écrivez-lui) :
(...)
Comme je m'y attendais, X-Files recèle comme la plupart des séries
américaines de nombreux sens au-delà de la première lecture ... Et ceux-ci ,
je les ai retrouvés dans cette très intéressante analyse ...
Toutefois, si je peux me permettre d'apporter ma petite pierre à l'édifice,
je voudrais attirer ton attention sur un moment du pré-générique (approximativement la 4ème minute), où j'ai cru observer un clin d'oeil des
scénaristes. En effet, alors que son mari est en train de se faire tuer au
rez-de-chaussée, on voit dans la chambre conjugale, un petit frémissement
dans un verre d'eau qui m'a rappelé une célèbre scène de "Jurassik Park" .
Mais, au-delà du clin d'oeil scénaristique, je pense que l'idée
sous-jacente est de critiquer ce nouveau mode de vie de la société
américaine qui consiste à retourner à la vie en petite communauté
surprotégée du monde extérieur et où la vie y est tellement réglementée
qu'elle en devient impossible, une sorte de "human park" toute proportion
gardée... C'est vrai cela fait beaucoup de choses pour un simple verre d'eau, mais qui sait ?
De plus, je pense qu'il y a dans cette 6ème saison d'X-Files, une nouvelle
approche que l'on retrouve bien dans cet épisode ...
Je m'explique, au début de la grande aventure, la série était
essentiellement axée sur les intrigues et très peu sur les personnages, puis
au fur et à mesure des saisons, est apparue la dimension de la conspiration
et un peu plus de profil psy sur les personnages, mais la 6ème saison
semble reléguer l'intrigue de plus en plus loin dans l'épisode (cette
histoire de monstre sent le déjà-vu, comme bon nombre d'intrigues récentes), pour laisser la place à une sorte de jeu entre les scénaristes et les
téléspectateurs, avec au milieu les maintenant légendaires Mulder et Scully
et leurs relations de plus en plus ambigües : on assiste en fait de plus en
plus à des histoires où ces derniers font "comme si" ils étaient ensemble (Les Amants Maudits et d'autres petites scènes dans chaque épisode), mais
il s'avère toujours qu'il ne se passe jamais rien ...
Qu'en penses-tu ??? (...)
Matthieu
N.B : Comment la brebis galeuse de la petite ville a-t-elle fait pour
survivre au monstre et venir ainsi sauver Scully ?
Voici ma réponse :
(...) Pour une coïncidence c'est une coïncidence ! Car en voyant l'épisode j'ai immédiatement pensé à Jurassik Park et j'en ai fait la même analyse que toi : à savoir que les scénaristes avaient renversé l'effet. La personne qui constate le tremblement fatidique n'est pas celle qui va se faire trucider !
En outre, je suis également d'accord avec toi, les scénaristes
ont détourné la série à leur profit (et au
nôtre) ... mais si je puis me permettre, cela fait déjà
très longtemps ! Je pense notament à l'épisode
au titre allemand Die Hand die verletzt où les scénaristes
Glenn Morgan et James Wong, qui quittèrent à l'époque
la série pour faire la leur (Above and Beyond) font écrire
à leur satanique professeur de science naturelles : "It's been nice working with you", message d'adieu sur un tableau noir qui est en fait
destiné à Chris Carter.
Je signale en passant que le frère de Glenn, Darin Morgan,
est aussi un excellent scénariste, beaucoup plus désopilant
et inventif que son aîné : War of the Coprophages, Clyde Bruckman's
final Repose, Jose Chung's "From Outer Space" sont des épisodes qui
fonctionnent au troisième degré (minimum) puisqu'ils incluent
au moins :
- une intrigue paranormale (cafards, visions prémonitoires, enlèvement)
- une déconstruction du récit (scènes répétées
ou redondantes, témoignages contradictoires)
- une autoréférence ironique à la série
(c'est Darin lui-même qui incarne le jeune victime d'enlèvement
et il porte un T-Shirt Above & Beyond la série
de son frère qui parle de colonolisation interplanétaire
!)
Enfin, je suis encore d'accord avec toi pour considérer que la 6ème saison marque un tournant. Le premier signe que j'ai détecté est la quasi disparition des "mulderismes" qui faisaient le sel des premières saisons (ah ! ce Mulder quel humour !). Je pense effectivement que c'est parce que les personnages ont pris de l'épaisseur (en même temps que le bureau de Mulder s'agrandissait). Mais dire qu'il ne passe jamais rien entre Mulder et Scully là je ne suis pas d'accord ! Certes leur relation est des plus platoniques, mais j'ai ma petite théorie là-dessus : je crois que Chris Carter est un vrai romantique, au sens historique et littéraire du mot, c'est-à-dire qu'il croit à la force des sentiments, à la dévotion, aux pouvoirs des éléments naturels, bref à tout ce qui fait le romantisme avant de faire le fantastique : l'irrationnel. Or, Mulder et Scully sont bien plus étroitement liés par ces forces (sur)naturelles que par une pure attirance physique. Leur relation est également très codée à la manière de l'amour courtois moyenâgeux, donc à mon avis Mulder et Scully ne font pas "comme si", ils obéissent à des codes auxquels Chris Carter fait presque explicitement référence dans Prométhée post-moderne, Détour ou Les Amants Maudits.
Voilà, c'est tout pour aujourd'hui, j'arrête ma frime !
A bientôt.
Pour finir, une appréciation nettement moins enthousiaste :
(...) Maintenant pour ce qui concerne le fond, j'aimerais être aussi enthousiaste que toi et pouvoir dire que X-Files est une série à part. Mais pour le
moment, si j'aime bien (sans plus), je ne ferai certainement pas de cette série une loi de la série SF.
La fiction est trop souvent le support de certaines extravagances du capitalisme (Arcadia Falls) ou l'occasion de vulgarisation d'une réalité
qu'on ne sait pas lire (Roswell) qu'elle ne fait que montrer sans vraiment dénoncer.
Par exemple dans - Arcadia -, les interventions de Mulder, pour dérangeantes qu'elles soient, ne vont jamais au-delà d'une certaine limite. Sa
femme, Scully elle aussi est très "square". Ce sont des personnages qui n'explosent pas et sont trop contingentés par le poids de leur monde.
En fait , ça me fait dire que ces emballages télévisuels sont inscrits dans le dogme dès le début et ne sont pas sensés bousculer cette confusion
du réel qu'ils dénoncent gentiment...
(c) éric alglave 1999