Premier épisode entièrement écrit et réalisé par David Duchovny, The Unnatural (intitulé Le Grand Jour en français), propose un développement plutôt intéressant - même s'il reste consensuel et plein de bons sentiments - sur l'exception et la normalité.
L'intrigue :
Un jeune joueur de base-ball noir des années 1940 au talent très prometteur gâche la chance de sa vie (son "grand jour") de se voir recruter par une grande équipe nationale pour ne pas révéler qu'il est en fait ... un extra-terrestre ! Signalons en passant que la petite équipe à laquelle il appartient s'appelle "Les Gray" (en anglais "grey" signifie "gris").
Un agent du FBI (qui n'est autre que le frère d'Arthur Dales, l'ivrogne déjà rencontré cette saison-ci dans l'épisode Agua Mala et la saison dernière dans l'excellent "Compagnons de route") se prend d'amitié pour ce joueur de base-ball littéralement hors du commun (Unnatural) et tente en vain de le protéger - lui et son secret - des racistes du Klu Klux Klan et des racistes de sa planète d'origine...
L'intérêt de cette histoire réside déjà dans la qualité de la réalisation - soignée - de David Duchovny.
Ensuite, il faut y voir une profession de foi de l'acteur-réalisateur assez semblable à celle de Darin Morgan (autre acteur-réalisateur de la série, durant les troisième et quatrième saisons) : tous deux ont condensé en cinquante minutes leur philosophie de la vie en général et des X-Files en particulier.
Or, l'interprétation qu'il font de la série est en fait assez proche : certes "la vérité est ailleurs", mais elle n'est pas forcément là où les autres scénaristes auraient tendance à nous emmener (les étoiles, les conspirations internationales, la magie ou les sectes) ; le quotidien suffit à nous proposer de quoi alimenter notre imagination et notre soif d'évasion (le base-ball comme opium du peuple américain) ; l'extra-ordinaire est en chacun de nous ou du moins en notre prochain (le voisin est un noir ou un ... extra-terrestre).
Mais The Unnatural n'est pas qu'un hymne gentillet à la tolérance entre les "races" ou une critique discrète du sport-spectacle comme moyen - discutable - d'émancipation d'une minorité nationale ; c'est aussi, comme dans Jose Chung's "From Outer Space" (Le Seigneur du Magma) de Darin Morgan un détournement de la série.
En effet, il y a aussi deux extra-terrestres dans The Unnatural : un joueur de base-ball et un membre du Klu Klux Klan.
1er niveau de lecture :
Il existe donc aussi des rivalités et des conflits d'intérêt chez les "petits hommes gris" ! Car l'homme du KKK est en fait le tueur des nombreux autres épisodes (souvent doubles comme La Colonie ou Le Projet) où il traque d'autres "renégats" extra-terrestres, compromis avec des humains ou sortis des griffes du Syndicat. Il explique au joueur que sa communauté reprouve la "fraternisation" avec les humains et qu'en conséquence il doit être éliminé ! C'est simple et facile à comprendre... Cette logique est aussi celle qui anime l'Homme à la Cigarette et le Syndicat.
2ème niveau de lecture :
Mais on ne peut pas faire l'impasse sur la relecture du racisme faite par Duchovny : il ne s'agit pas réellement du traditionnel affrontement entre les méchants blancs racistes riches du Sud contre les pauvres gentils noirs opprimés.
1°) Les deux adversaires sont extra-terrestres : ils sont donc tous deux des monstres, au sens étymologique du mot, des êtres hors norme, donc a-normaux. Il est dès lors moins surprenant qu'ils se retrouvent tôt ou tard.
2°) Ainsi, non seulement les apparences sont trompeuses mais en plus on peut renverser les rôles ; puisque UNE seule et même race d'extra-terrestres peut prendre l'apparence de DEUX camps humains opposés. La seule concession que Duchovny fasse au conformisme c'est de mettre le noir dans la peau du gentil, de la victime, mais il ne fait en l'occurence que respecter la réalité historique.
3°) Enfin, l'intolérance et le racisme entre humains n'est pas non plus franchement condamnée dans cet épisode (elle n'est pas prônée non plus !) : le fond est beaucoup plus ambigü puisque c'est le même droit à la différence qu'invoquent l'un et l'autre des extra-terrestres pour changer (le tueur) ou ne pas changer d'apparence (le joueur de base-ball). Au fond, ils n'ont raison (ou tort) ni l'un ni l'autre. L'éthique personnelle l'emporte sur la morale collective.
3ème niveau de lecture :
Le fin mot de l'histoire n'est donc semble-t-il pas dans la défense des minorités, mais dans le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres.
A plusieurs reprises dans l'épisode Mulder discute avec le frère d'Arthur Dales sur le sens qu'il convient de donner à cette histoire ; et à chaque fois, il finit par se faire vertement rabrouer par Arthur Dales N°2 (il porte le même nom que son frère). Ainsi il conclut l'un de ces échanges d'une gorgée de bière qu'il accompagne d'un "je suis un con" plein de lucidité !
Tandis que Mulder veut à toute force voir dans l'évènement une preuve du complot d'invasion extra-terrestre qu'il cherche à déjouer depuis six ans, Arthur Dales N°2 insiste sur la très belle amitié qui a uni en 1947 son frère et un jeune joueur de base-ball talentueux.
Or, contrairement aux apparences ce qui n'est pas naturel (unnatural) ici ce n'est pas l'extra-terrestre (car nous avons tous quelque chose de différent) ; ce n'est pas le racisme (car nous éprouvons tous peur et/ou dégoût devant l'inhabituel) ; ce n'est pas le base-ball (car nous avons tous une passion plus ou moins avouable pour un sport, un chanteur,etc...). Non, ce qui sort de l'ordinaire c'est justement la passion elle-même, dans ce qu'elle a d'outrancier, d'irrépressible et de non-humain et de sur-humain (ce qui fait qu'on se "dépasse" à travers elle).
David Duchovny est un être passionné, et il nous le fait comprendre ici de fort belle manière...
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