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Le nom du personnage qui donne le titre à cet épisode, le Père Orison, mérite un petit commentaire : il fait penser à "horizon", "oraison" ou encore à "arise son !" (lève-toi mon fils !) ; donc à des références religieuses. Or, tel semble bien être le but de cette suite du Fétichiste (2X13 Irresistible).
1°) Un épisode blasphématoire :
Si le premier volet de ce diptyque était morbide, celui-ci tire les leçons de la série Millenium. C'est d'ailleurs l'un de ses meilleurs scénaristes - Chip Johannsen est le plus proche de la face sombre de Chris Carter - qui se colle au "retour du fétichiste".
Loin du très inutile Retour de Tooms (2X20), Orison approfondit le personnage de Donnie Pfaster et élargit son champ d'influence... à la terre entière. Peu nous importe de savoir si Pfaster EST le Diable ou si seules ses victimes le perçoivent comme tel ; l'essentiel - la vérité - est ailleurs.
La vérité sur Donnie Pfaster se trouve dans la relation étroite (bien qu'antagoniste) qu'il entretient avec la religion. Tentateur en diable, Donnie Pfaster avait su faire vaciller la foi de Scully (voir 2X13 Irresistible) ; ici c'est un aumônier de prison qui fera les frais de sa duplicité.
Or le blasphème réside précisément dans le personnage de l'aumônier Orison. Voilà en effet un prêtre qui utilise de bien fourbes stratagèmes - l'hypnose - pour "convertir" les détenus !
Son style oratoire est très efficace et son langage fort ambigu :
God's love will set us free. And I believe... if I pray for that love... if I get down on my knees... (he does) ... and allow God to enter my hardened, lonely miserable heart and change me through and through ... that miracle ... will come. (he gets up and walks through the prisoners) Now, who here believes that with me? Do you? Do you? | L'amour de Dieu nous libérera. Et je crois... que si je prie pour obtenir cet amour... si je me mets à genou... (il le fait)... et si je permets à Dieu de pénétrer mon misérable coeur endurci et solitaire afin de me transformer de fond en comble... ce miracle... s'accomplira. (Il se relève et passe entre les détenus.) Et maintenant, qui, ici, croit en cela ? Toi, y crois-tu ? Et toi ? |
La suggestion mentale dont il est capable va même jusqu'à faire croire à l'un des prisonniers qu'il s'est coupé les doigts !
Orison est aussi un maître de l'évasion (au restaurant, à l'hôpital). Alors qu'un chrétien se veut responsable de ses actes - allant même jusqu'à l'expiation pour racheter ses fautes - ce drôle d'aumônier fuit les situations embarrassantes et aide même les criminels à s'évader de la prison où ils purgent leur peine !
Le tableau que Chip Johannsen dresse de la religion (Orison est un prédicateur malhonnête et il conditionne ses "ouailles" plus qu'il ne les convertit) est une critique acerbe de l'Amérique puritaine bien pensante : celle qui, sous couvert de compassion et avec la complicité des prêtres, asservit les plus faibles mais laisse libre cours au Malin.
Enfin, le coup de grâce est porté sur le texte sacré lui-même, la Sainte Bible, dont nous voyons à deux reprises (dans l'atelier de la prison et chez Scully) qu'elle n'est d'aucun secours, même aux plus fervents pratiquants, dans les moments où on aurait grand besoin d'aide !
2°) Une suite non redondante :
La confrontation qui ouvre l'épisode - entre Pfaster et Orison - dévoile d'emblée deux facettes du fétichiste qui avaient peu été développés précédemment : sa force mentale et son esprit d'initiative qui lui permettent de resister et de s'adapter aux plus délicates situations. En effet, Donnie Pfaster ne succombe pas au "charme" du Père Orison.
Ensuite, la façon dont Scully en vient à faire du cas Pfaster une mission personnelle
est habile : elle a des visions, puis elle entend des voix !
- son reveil digital indique 6:66 - le chiffre de la Bête - au lieu de 6:06 ; - elle perçoit un chant (voir la note de Matthieu plus loin) qui dit "Don't look any further/ Don't look any further/ Someone to count on/ In a world ever changing" (Ne cherche pas plus loin/Ne cherche pas pluis loin/Quelqu'un sur qui compter/Dans ce monde qui change tout le temps ; voir plus bas la note de Matthieu au sujet de la chanson). |
De plus, cet épisode est l'occasion de mettre à l'épreuve la foi de Scully dans le pouvoir qu'à Dieu de guider les hommes, en l'occurrence Orison :
SCULLY: Where are you going, Mulder?
MULDER: To prove that man's a liar. SCULLY: How do you prove that somebody isn't being directed by God? You don't believe that it happens? MULDER: God is a spectator, Scully. He just reads the box scores. SCULLY: I don't believe that. MULDER: You think God directs that man? You think He directs him to kill? |
Où vas-tu Mulder ?
Prouver que cet homme est un menteur. Comment prouveras-tu qu'un homme n'est pas guidé par Dieu ? Tu ne crois que ça arrive ? Dieu est un spectateur, Scully. Il se contente de compter les points. Ce n'est pas ce que je crois. Tu penses que Dieu guide cet homme ? Tu penses qu'il le pousse à tuer ? |
Pourtant Scully ne s'en était pas laissé conter par le Père Orison. Observez comment Chip Johannsen permet à l'aumonier de dévier la conversation grâce à des formules, certes stéréotypées mais suffisamment ambigües pour s'appliquer à Scully, et comment cette dernière, pressentant la manipulation, passe du respectueux "mon père" au "monsieur" de politesse :
REVEREND ORISON: Believe in the Lord, Agent Scully.
He believes in you.
SCULLY: That's nice... But my partner and I are more concerned with several disappearances from maximum-security facilities that seem to involve you. REVEREND ORISON: Don't be concerned. God has them. SCULLY: What do you mean? Reverend? REVEREND ORISON: You're a Believer, aren't you? SCULLY: This has nothing to do with me, sir. REVEREND ORISON: It has everything to do with you. You have faith... have had faith. You hear Him calling you but you're unsure what to do. (...) REVEREND ORISON: You stand as you do now, neither here nor there... longing... but afraid, waiting for a sign. But the signs are everywhere. SCULLY: What happened to the inmates, sir? REVEREND ORISON: Everything has a reason, Scout. (SCULLY looks shocked.) Everything on God's earth. Every moment of every day the Devil waits for but an instant. As it is, it has always been. The Devil's instant is our eternity. |
Ayez foi en Notre Seigneur, Agent Scully. Car Lui, Il a foi en vous.
C'est très bien... Mais mon partenbaire et moi sommes plus préoccupés par plusieurs disparitions de quartiers de haute sécurité où vous sembleriez impliqué. Ne soyez pas préoccupés. Ils sont avec Dieu. Que voulez-vous dire, mon père ? Vous êtes croyante, n'est-ce pas ? Cela n'a rien à voir avec moi, monsieur. Cela a tout à voir avec vous. Vous avez la foi... vous avez eu la foi. Vous entendez son appel, mais vous ne savez pas quoi faire. (...) Vous êtes debout comme maintenant, là ou ailleurs, en attente, mais effrayée aussi, en quête d'un signe. Mais les signes sont n'importe partout. Qu'est-il arrivé aux détenus, monsieur ? Chaque chose a sa raison d'être, scout. (Scully a l'air troublée) Tout ce qui se trouve sur la Terre de Dieu. Chaque moment de chaque jour le Diable n'attend que l'instant propice. Il en a toujours été ainsi. Un instant pour le Diable est une éternité pour nous. |
Evidemment, la coïncidence est troublante avec les événements que Scully a vécu. Du coup, on en vient à se dire que cet aumonier est décidemment assez "démoniaque" lui-même !
J'interprête, pour ma part, la scène où Pfaster se montre à Orison sous son véritable visage comme le moment où l'apprenti sorcier fait face à sa propre création (un démon) qui peut tout aussi bien être une réalité physique que surtout une allégorie, une manifestation romanesque des horreurs dont le Révérend est capable.
3°) Un dénouement politiquement non-correct :
Certes, comme dans le premier épisode, Scully se fait sequestrer, Mulder arrive au drnier moment et le suspense est à son comble, car 1°) Scully est sans défense (en pyjama), et 2°) la scène, qui les plans sur Scully et sur Pfaster est tournée - dans sa conclusion - au ralenti ; l'effet est saisissant ! Mulder vient d'arriver, donc Scully va être sauvée in extremis par son chevalier srvant... MAIS Scully surgit derrière Donnie Pfaster (déjà tenu en joue par son partenaire) ET ELLE L'ABAT SANS SOMMATION !
La plus catholique et bien pensante des agents du FBI vient de commettre un meurtre en direct sous les yeux de son collègue !
Certes, elle a peu à craindre de la justice des hommes (Mulder la soutiendra et justifiera son geste) mais qu'en est-il de la justice divine ?
(SCULLY pulls her Bible back out of the drawer and looks at MULDER.)
MULDER: You can't judge yourself.
|
(Scully sort la Bible de son tiroir et se tourne vers Mulder.)
Tu n'as pas à te juger. |
Enfin, le personnage de Scully mûrit et devient humain trop humain, c'est-à-dire faillible, imparfait, en état de pêché !
Quelle évolution depuis le tout début de la série, où la jeune Scully vertueuse était affectée aux Affaires Non Classées pour torpiller le travail de Mulder ! Finies désormais les leçons de morale, de logique, de rationnalité et d'obéissance aux lois et réglements ! A partir de maintenant, Scully devient adulte : elle bascule du côté de Mulder et des personnes responsables de leurs actes. Car ce dernier assume depuis déjà fort longtemps le fait d'être un "Martien" aux yeux de ces collègues. Tout comme il sait ne pas respecter la Loi quand sa quête de la vérité s'avère incompatible avec un protocole quielconque.
Or Scully a toujours été soit du côté de l'ordre, soit en retrait (et toujours désaprobatrice) vis-à-vis des infractions de Mulder. A présent, elle va devoir assumer une partie de sa personnalité que Donnie Pfaster a révélée : sa pulsion aggressive, sa soif de violence, son goût attirance pour la Mort.
Car, ne nous y trompons pas, Scully n'est coupable ni aux yeux de Mulder, ni des ses supéruieurs, ni même des spectatuers ! C'est son psychisme rigidement cadenassé par ses certitudes - catholiques et scientifiques - qui en prend un sacré coup !
Peu importe donc que Donnie Pfaster soit vraiment le Diable (qui croit de toute façon aux histoires des X-Files ?), ce qui importe c'est que Chris Carter et Chip Johannsen ont réinventé/réinterprété la figure du Diable : il est le révélateur de la part d'ombre que chacun tâche d'enfuir au plus profond de soi.
Mulder a affronté ses démons il y a bien longtemps, Scully vient seulement de la faire ; on comprend son état de bouleversement...
la part d'ombre : j'emprunte l'expression au titre du roman de Stephen King "The dark Half", dont la thématique est d'ailleurs très proche. Un écrivain à succès prend conscience qu'il ne maîtrise pas, contrairement à ce qu'il croyait, tout le processus de la création littéraire. Son inconscient se charge de le lui faire comprendre...
"Ne cherche pas plus loin/Ne cherche pas plus loin/Quelqu'un sur qui compter/Dans ce monde qui change tout le temps":
L'autre avantage de cette petite chanson est bien évidemment celui d'avoir un double sens. Si on peut y voir une preuve de l'investissement de plus en plus grand de Scully dans cette affaire, on peut aussi y voir une oeuvre du Diable tentateur qui semble dire à Scully de céder à ce que lui disent ses instincts vis à vis de Mulder, lequel semble parfaitement correspondre à cette
petite chanson. Comme toute grande sentimentale, Scully serait donc à la recherche de l'homme idéal et c'est pour cela qu'elle ne voudrait pas aller plus loin avec Mulder. A moins, que cela soit lui son homme idéal et qu'elle ne veuille pas risquer de tout perdre en allant plus loin avec lui...
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