André Paillot est mort le 22 décembre 1944
Quelques pensées de son épouse pleines de dévotion
vis à vis de l'oeuvre de son mari.
Surtout ne pas oublier...
(Modeste) contrat rempli
signé : Pierre-Yves Gautier (14 novembre 2001)
Extraits des cahiers de Germaine Le Coultre Paillot
Personnes citées : Coco (Claude) et Nano (Jean) les fils, Mme Anne-Marie Granger, assistante technique, Bernard Trouvelot premier patron de l'I.N.R.A. (Institut National de la Recherche Agronomique), M. Bruno inspecteur général des services vétérinaires, M.M. Bravard et Morin ?
4 janvier 1945 - Aujourd’hui, Coco est allé chercher la petite remorque que Papa avait fait faire pour la 402 en vue de ses tournées apicoles de l’été prochain. Il se réjouissait comme un enfant se réjouit quand on lui donne un beau jouet, il était impatient de l’avoir et s’énervait des lenteurs du fabricant. Et voici que ce n’est pas lui qui est allé la chercher et qui s’en servira. En voyant arriver la 402 ainsi complétée cet après midi, mon cœur s’est serré. Car je me représentais l’arrivée de ton petit père qui aurait été rayonnant en me faisant les honneurs de son acquisition.
Mme Granger était toute émotionnée ainsi. C’est si dur pour elle d’avoir perdu son maître, mais elle va continuer vaillamment la tâche, et veiller à tout, ainsi beaucoup de soucis me seront enlevés, et je serai moins seule. Si tu savais comme c’est douloureux d’entrer dans le cher labo où la pensée de mon chéri rayonnait. Tout est encore comme il l’avait laissé au matin même du jour où il nous a quittés.
Qui
donc désormais plongera ses regards dans le beau et précieux microscope où il
passait des heures à découvrir les infiniment petits, tout ce monde
merveilleux qui était la base de son idéal scientifique et qui lui donnait les
plus grandes joies. Cela aurait été si beau que l’un de vous puisse
continuer son œuvre. Je crois qu’au fond de son cœur, il l’a tant souhaité.
Photo parue dans l'Illustration du 2 août 1941 avec la légende suivante : "M. Paillot, directeur de l'hôpital des abeilles, examinant un rayon de miel contaminé" (*) |
7 février 1945 - Notre Nano est
enfin arrivé cet après midi avec un camion qui venait au ravitaillement
pour l’hôpital. Avec lui, il semble que le vide atroce de la maison
n’était qu’un mauvais rêve, et que bientôt, nous allons nous retrouver
tous comme autrefois, que le petit père va revenir d’un voyage avec tant de
belles choses à nous dire, tant de vibrants espoirs.
Et pourtant, en fin de matinée, j’ai
eu le cœur en déroute, lorsque les employés de Bichon sont arrivés avec tout
le matériel qui appartenait à Papa à la Faculté. Tout ce matériel qui représente
des années de beau labeur, et qui renferme en lui tous ses espoirs
scientifiques. Comme je vais garder pieusement ces nombreuses boites aux
lamelles de verre en lesquelles à travers le champ illimité de son microscope,
il découvrait un monde merveilleux.
Quand je pense avec quel amour, quelle
conscience, il préparait toutes ces choses et que maintenant il faut rassembler
et mettre momentanément de côté jusqu’à ce que l’ami Morin
essaie de les déchiffrer et de s’en servir pour compléter les notes.
Oui, quand je pense à cela, mon cœur se brise, et c’est comme si le petit père
m’était arraché à nouveau. Quand vous reviendrez, vous comprendrez ces déchirements
qu’à chaque instant on ressent en face de cette fin de tant de choses qui
faisaient partie de notre vie familiale.
Quelques échantillons de nouveau pour
la station et que Mme Granger
examine. C’est dur de porter cela sur la table privée de tout ce qui était
à lui, son travail, ses notes. Il semble que lui parti, tout devrait s’arrêter,
et rien ne s’arrête, mais ce n’est plus notre vie à nous qui y est mêlée.
Puisse du moins son esprit, son exemple, animer ceux qui vont essayer de
continuer son travail, j’entends ce qu’il avait entrepris pour
l’apiculture. Pour le reste, les grandes envolées vers les hauts sommets, je
compte sur le fidèle ami Morin
.
Mme Granger
a vu l’inspecteur général des services vétérinaires, M. Bruno qui
aimerait qu’elle entre dans ses services pour continuer dans l’apiculture.
Cela la tente mieux que de rester
sous la direction de Trouvelot. Je suis contente pour elle, elle aura ainsi des
responsabilités qui donneront de nouveau un grand intérêt à sa vie et sans
doute pas mal de travail assez itinérant..
12
mars 1945 - encore un message très touchant de M. Martin, président du
syndicat des producteurs de miel de France qui m’annonce qu’après s’être
entretenu avec le secrétaire perpétuel de l’Académie d’Agriculture et
Messieurs Bravard et Trouvelot, il a été décidé que le prix décerné par
les apiculteurs (sans doute le revenu de la souscription dont on m’avait parlé)
serait versé à l’Académie d’Agriculture qui, à sa séance de juin, me
l’attribuerait en souvenir de l’ensemble des travaux du petit père. Il me
dit du reste, que je recevrai cette somme déjà sans doute dans le courant
d’avril.
Vous ne pouvez savoir combien cette décision m’a bouleversée. Tout cet argent qui m’arrive à cause de Papa, dû à sa belle carrière scientifique, il me semble que c’est sacré, et que je ne devrais pas y toucher autrement que pour faire vivre cette magnifique moisson qu’il avait semée.
Ensemble, mes chéris, quand vous serez tous là, nous verrons ce que nous pourrons faire pour que son œuvre vive et continue à briller pour le bien de la science et de la chère Patrie.
J’ai eu les larmes aux yeux presque
toute la journée en pensant à tout cela dont j’aurais voulu être tellement
plus digne.
(*) Article élogieux (5 pages 36X27) d'un journal/revue très populaire avant guerre, un des plus fervents soutiens au régime de Pétain, ce qui déclencha sa disparition à la Libération
La nécrologie officielle d'André PAILLOT
Découverte des cahiers de Germaine