![]() |
|||
|
|||
Ce livre est une manière de roman : celui d'une enfant qui grandit, découvre le monde et s'émancipe. C'est aussi le roman de celui qui l'élève, à qui elle échappe peu à peu. Deux vies mêlées (et même trois, car c'est en creux le roman de l'absente), où la fiction sert une autre vérité que celle des événements. S'il s'agit d'un roman quant au récit, c'est bien un livre de poésie, affranchi de tout prosaïsme, multipliant les formes et les rythmes... (Extrait de la Présentation de l'éditeur). Le projet de ce livre est très ancien. Les premières traces avérées, quelques pages dans une revue, datent de 1994. J’ai longtemps conservé sans y toucher un manuscrit de soixante-quatre poèmes. Il y est fait allusion dans Le voyage de Bougainville : Je brûle tout sans faute après ce
Bougainville Ce qui nous troublait s’obscurcit peu à peu. Mais le hasard gouverne, et un jour tout reprend
vie. Entre temps, Mara s’est métamorphosée. L’absente aussi, changeant
de nom, de visage, de patrie. L’esprit s’obstine au même au moyen
d’images changeantes. Le vrai gagne, le plus souvent, à se cacher. (Extraits dans Écrit(s) du Nord n°6, Diérèse n°74, Incertain
regard n°19, Les Carnets
d'Eucharis 2021). |
Extraits
Critiques
|
Extraits |
|||||
Les enfances de Mara |
Le Grand Huit |
La passion Mara |
.I.
Mara dans les neiges exposée au Vercors
frissonnant en langes dans sa tour d'abandon
chauve laiteuse la voix accordée aux viscères
Mara en cornette enfantée d’une morte
babillant insatiable alphabet de voyelles
les yeux fendus de fièvre masque mongol
trébuchant funambule chasse aux araignées
puis des idéogrammes sur des papiers fripés
Mara au-dessus des jardins un bouquet
d’orties entre les dents rien ne peut nous atteindre
ces images confuses que le vent va mêler
et rendre au hasard tracées dans la poussière
du bout d’un bâton ces mots d’une langue
à jamais perdue les ranimer
un instant
et faire œuvre de vérité en
dépit
du mensonge où il faut pourtant se cacher
.VI.
Trois brasses de ciel dans la fente d’un mur
grange batelière et la crête
du Vercors
comme dans un accroc du
papier de riz
les monts de Shinano trois
vers
emprisonnaient le monde vent
flottant
la compagnie des oiseaux et des mouches
et l’herbe fraîche royaume
des enfants
à quoi Mara s’amarie sans
effort dans ses bras
un être de chiffon aux membres défaits
par le mur fendu je
l’espionne allongé
sur le coude copiant dans le
carnet humide
les formes modelées par la lumière d’avril
un pays
éternel où Mara
et Sato se confondent les
cars des VFD
et les chevaux du Seigneur de Kaga
Détournez-vous ! Baissez les yeux !
si beau
le monde qu’on ne peut le
fixer sinon
d’un œil dans la fente d’un
mur que les mots
ne savent le saisir
infirmes sinon
dans une brève étreinte
.X.
Ces dents cachées dans la mâchoire de lait
entassées en vrac
radiographie un sac
d’osselets contempler
incrédule puissante
vanité Rascar
Capac sous ta joue
en mie de pain qui ricane
la Nature
œuvre en secret magicienne
aux cent tours
qui nous étrange
insensiblement cent
métamorphoses de l’incertain
macaque
qui flotte en apnée au fond de l’estomac
jusqu’au squelette final et
avec elles
le petit dieu caché sous l’os bosselé
qui croît et se convulse
apprendre aimer
travailler puis nous emporte
la nuit
ou Pluton ou Pachacamac
comment
sans effroi te voir changer
livrée au temps
gémissant en sommeil une dent
perdue
sous l’oreiller tandis que sous ta
joue
Marac l’os friable se fend
.XIV.
Mara-des-étés au-dessus des jardins
agitant dans un rire un bouquet d’orties blanches
minuscules fleurs épilées mais qui
se frotte
à l’absence peut-il oublier la
brûlure
Mara-des-nombres dévalant sur un pied
l’échelle qui conduit du ciel à la
terre hardie
à battre le monde la mémoire en
repos
si loin la barque sur l’eau
fade loin déjà
Mara-des vertiges suspendue à la plainte
des cordes exultant dans
l’orage chassant
à coups de talons les malédictions
la mort
existe-t-elle le tilleul
bruisse et se répand
suis-je seul à voir rôder entre les arbres
éblouie sous les sels
d’argent l’absente
O*** qui de loin la
protège se sacrifiant
pour celle qui l’accomplit dans la lumière
.XXIV.
Du vin dans un verre des fruits des œillets
une flûte sur un livre ALMANACH POVR
L’AN DE GRACE MIL SIX CENT XXXXVI
un damier d’ivoire et tous les instruments
de la passion des sens si je
renoue ce soir
avec la vieille philosophie
ce n’est
ni le fait
d’un lâche courage ni
d’une âme accablée mais dans
l’été indien
où les couleurs s’enflamment
une brusque
allégresse qu’importe qu’on
arrache
avec l’herbe odorante la racine et la boue
que les dents broient sous la pulpe confite
l’amande amère et que les
plains-chants
soient l’ornement des plaintes la
brise
qui mêle au jardin les tilleuls chrysostomes
ranime l’image punaisée au
mur le vin
chatoie les œillets
frissonnent et penchée
sous l’inquiète vanité Mara
peint
l’innocence une cavatine aux
lèvres
rédimant la vision née des macérations
d’un inflexible janséniste
.IV.
L’île
morte société d’égaux
retranchés
dans leurs vieilles frontières grecs romains
évangélistes
inapaisés en compagnie
des oiseaux un geai à grands cris poème
de Zanzotto mais m’obsède Far
senza… un autre chant plainte
amoureuse
qui de la cave humide au canot funèbre
accompagnait l’absente O*** mia
cara…
assez mon cher Hahn assez
les allées se perdent qui menaient à elle
et vont au diable cyprès buis
lauriers
et de beaux bâtiments d’éternelle structure
rien pour me guider l’alphabet qui tout règle
jeté en désordre ADON
BELM FQ
arpentant les divisions près d’une jeune fille
à tête de sphinx et tout à
coup c’est là
pierre grise un nom l’état-civil et quatre
vers sous le lichen inspirés des Anciens
une barque légère et des asphodèles
qu’on peine à déchiffrer les yeux
brouillés
.X.
Rien n’est plus délicieux échappant un soir
au lacis des ruines comptoirs
de garum
égouts noirs chambres de passe aux lits plâtreux
coït interrompu rien n’est
plaisant comme
ayant recraché le nuage de cendres
de s’éprouver vivant une
closerie
sous les grenadiers résidence d’un peuple
de guêpes soûles la cadence
garder
la cadence et sans se
retourner sur soi
ni sonder sa fin louer
l’instant Mara
de son éventail chasse le temps la peau
à vif déchirée par les mûres
ce sang
qui coule vif et clair ne sera pas long
à cailler et noircir verser
en attendant
l’huile et répandre le sel
bar au fenouil
chair sans fiel
délectable et combattre
les fumées de l’esprit par le vin remède
d’Hildegarde de Bingen qu’a sur l’ardoise
prescrit l’aubergiste malinconia
Roero Areis 2x
.XXI.
Sous les ponts de Brixton un caravansérail
monceaux d’épices d’herbes poivrées toutes
les tentations et des langues
flexibles
frottées de chaux et de bétel
tableau
des cinq sens chacun à chaque
pas
flatté ou rudoyé de cent
façons mais rien
comme enflammant l’œil et
pétrifiant la main
ces filles des races brunes
pour qui
tout est cérémonie jeunes
Perséphone
au nez percé d’une fibule et lourdes sirènes
chancelant sous l’excès de leurs mamelles
puis c’est l’étal aux viandes on s’abandonne
à des pensées que ne renieraient pas
les vieux luthériens des
seaux remplis d’os
des viandes saignant sous les mouches
vanités sensibles dont ne nous sauvent pas
nos monstrueux appétits au
milieu de quoi
indifférente à l’apologue
Mara ne voit
qu’un jeune homme en turban damassé
qui lit Byron assis sur son
genou
.XXVII.
Déjeuner de maigre au bord d’un lac
harengs secs oignons verts un aigre fromage
répétition du même en infimes variations
et la cloche au loin d’un
glas pyhä ! pyhä !
pyhä !
cantique de deuil suuri
iumalamme qu’ânonne
Mara
au graduel volé dans l’église noire
de Juva qu’un autre loue le
Ciel
et dénigre les passions mais
jamais
je ne sois chantre dans le talent des tombes
le couteau peut rouiller et le cheveu blanchir
je ne sais rien sinon que la matière est bonne
l’existence une joie qu’accroît le présage
de la terre humide le nord
même
n’est pas sans ornements ce
marécage
qui de rien fait sa gloire presles fougères
cette eau luisante où carpes et tanches
aspirent un peu du ciel qui fuit et font
en hâte comme nous au milieu du jour
leur banquet de maigre
exaucent mieux
que tous les pyhä !
.XXXI.
Au milieu de deux eaux au pied de trois collines
un fort en étoile Theresienstadt où
la baraque aux vermines où le revier
les cours sont vides la ville étouffante
une épure au charbon où seule
Mara vit en sourdine appelant ceux
dont le nom n’est plus qu’un peu de suie
dispersés par le vent avec les bribes
d’une langue qui ne peut s’énoncer
qui fait suffoquer à seulement l’entendre
Hanuš Růžen... figée
dans la cendre les yeux voilés un rameau
d’églantier dans la main desséché
à balbutier la litanie aile légère
qui s’envole et s’abat au milieu des bat-flancs
et retrouve le ciel et je reste interdit
trop de sentiments contraires trop
de sentiments la mémoire à jamais
un purgatoire o qui nous rendra l’oubli
et le présent perpétuel
.III.
Mara sur la rive
vagabonde où le vent
trace des chemins aussitôt
refermés un orage
à la taille noué dénoué
divinité des eaux
perdue dans ces lieux de
hasard une ombre
sur ses pas qui se forme et
s’efface
Une rumeur enfle deux rivières
accolées
luttent dans les joncs galets
mâchés
prairies mortes que l’esprit du vent secoue
et des bandes d’oiseaux par instants décochés
d’une fronde aveugle quia…
Deux dragons affrontés mêlant leurs anneaux
longue plainte och…
deux îles basses
sur le carreau des eaux
pénitents gris
allongés dans le soir humble
louange quia
fluunt
un chant de gorge et decurrunt...
Mara sur la rive fuyante
longue querelle
de forces contraires brassées
d’herbes
courants heurtés si
légère happée
par ces lieux nomades à
intervalle un cri
flèche errante kia…
déchirant
.XV.
Désert de Saint-Bruno
double solitude
sous les serres lumineuses
où alternent
la croix et les étoiles
theatrum orbis terrarum
de longs murs aveugles
d’où s’échappent
chants et bourdons
leçons des siècles obscurs
soumettre
l’âme obstinée
à tirer sur sa longe
et le corps garder
pour la terre
voix anonymes
qui s’élèvent d’âge en âge
se répondant
éternelle admonition
Vouées à l’incessant
commerce des rites
aux louanges
une plainte mêlée
insistante
la même
à travers les siècles
qui poursuit sa querelle
même corde tendue à se rompre
vibrant sourdement
libera me…
perpétuant
une sagesse amère
ce monde admirable
illusion
la chair
misérable
et les passions folies
de sanguinibus…
un trait de plume dans le vent
.XXVII.
Chambre de pension Leopardi sous la borne
de l’ancien ghetto où deux vieilles sœurs
se perpétuent murs gris plancher rugueux lit
rempaillé de journaux rideaux gris constellés
de trous de cigarettes vaghe stelle
dell’Orsa...
fenêtre sur canal la brume
s’infiltre et l’aigre odeur de l’eau stagnante
au flanc d’une barque une bête morte leçon
de théologie naturelle puis
au loin
sur les lagunes l’oraison d’une cloche
et un chant s’élève de femme nubile
aux ailes déployées qui monte et se fige
dans cette figure du vol des crécerelles
dite du Saint-Esprit
un instant comme si
le ciel s’ouvrait et malgré
les sœurs grises
les rideaux gris le cloaca minima
nous ne sommes plus d’ici
.XXXII.
Fondamente Nove de méchants murs de brique
W L’AMORE et
sur la mer laiteuse
la porte batelière les gonds
grincent
un canot sort jeune homme et prêtre noir
au milieu des fleurs
hôpital-des-deux-saints
que chercher là quelle faute
enfouie
que tout
l’être refuse l’éther
prenait à la gorge dédale de
couloirs
salles de chaux à paravents
au fond
une porte blindée SILENZIO
là
antichambre dans l’odeur
grasse des bouquets
de maigres trésors bague d’ambre collier
et sous un linge immaculé une
novice
front
rasé visage transi
où l’image se dissipe de ce
qui fut
si bref abandonnée au
temps un bras
pendant sur le carreau glacé
oubliant
les noms et les lieux
étrangère à soi
pareille à ces fleuves qui n’ont pas de nom
et se perdent dans l’hiver
Haut de page |