Le crédit accordé à la chose, son poids, sa force physicochimique est tel dans une conception positiviste de la production que la cause est rejetée à l'extérieur du système précisément mis en cause. Ce que la phénoménologie a apporté par son principe d'immanence, de formalisation incorporée redit encore par le déjà là de Husserl, c'est qu'humainement il ne saurait y avoir de fait qui ne soit conçu, produit, légalisé, légitimé d'emblée, c'est à dire en même temps qu'il apparait et pour la raison qu'il ne peut être pensé , élaboré en dehors du dicible, du faisable, être sans être socialisé, apprécié sans référence à une règle.
Cela étant, la chose à dire, à faire, à instaurer, à obtenir explique aussi naturellement le fait: le sens, la fin, le type, le bien tendent à le nécessiter.
Mais dans tous les cas, le fait ne saurait être séparé des facultés et des fonctions culturellement et biologiquement organisées en chacun.
Pour se préparer à poncer la pierre, Henri mit des lunettes et un casque, ce qui le protégeait contre la poussière et l'isolait du bruit du tronçonnage électrique. Ces précautions correspondaient à un autre travail celui de la protection du constructeur; on ne peut dire qu'elles étaient reliées au ponçage mais à ses effets techniquement non gérés en l'absence d'aspirateur.
Pour scier la pierre, il disposa sur la terrasse un établi dépliable avec étau intégré et bloqua le volume qu'il fallait épanneler entre les mâchoires de bois (serrage). L'installation qui met l'ouvrage à hauteur des mains est liée à la commodité corporelle, non spécifiquement au ponçage une fois encore. Par contre le bois garnissant les mâchoires a sa nécessité dans l'ordre interne à la technique bien que participant à une autre tâche (la protection du bloc contre les marques du serrage) que le ponçage pour produire la même affaire à savoir un volume à facettes planes.
Relativement aux faits à observer on peut s'en tenir à l'analyse consistant à faire la relation entre un premier fait et un second, le premier devenant la cause de l'autre (analyse causaliste).
Cette appréhension des choses m'amènera par exemple à mettre en rapport une matière dure comme celle de l'acier avec une autre moins dure comme celle du verre ayant remarqué que l'une permet de rayer l'autre. On remarquera maintenant que sous cet aspect on peut noter d'autres effets notamment la fragilité du verre et la moindre fragilité de l'acier, l'opacité de celui-ci et la transparence de celui-là, l'oxydabilité du fer et la neutralité du verre dans le rapport à l'oxygène.
Je m'arrête pour relever la différence qui sépare de la liste ce dernier exemple: il est fait appel ici à une autre matière par rapport à laquelle nous comparons le fer et le verre; l'analyse s'élargit elle inclut une réalité extérieure à la relation de causalité étudiée: l'action n'est plus considérée uniquement en elle-même mais par rapport à un fait extérieur qui pour l'instant ne relève pas plus de l'activité que de la chimie.
En procédant ainsi j'ai porté l'attention ailleurs que sur le travail en train de se faire. Je peux encore développer ce rapport aux choses en me limitant à extraire des deux matières en jeu leur points communs: toutes deux sont rigides, étanches, sonores, etc... on ne distingue pas encore entre les caractéristiques liées au toucher, à l'aspect et celles liées au travail c'est-à-dire à l'exploitation d'un certain rapport à la matière. Il est à souligner qu'implicitement on élargit là encore l'analyse: les deux matières ne sont telles que par différence avec d'autres matières qui rendent réalisables d'autres matériaux: souplesse, perméabilité, matité sonore.
En somme on se rend compte qu'il peut y avoir une analyse qui va au-delà de l'analyse causale qui ne porte pas comme celle-ci sur un avant et après, un amont et un aval du courant de l'action, mais sur un réseau de relations qui intègre le fait dans un système de différences et d'unités où la simultanéité de la cause et de l'effet (qui ferait dire que la fin d'une action est déjà présente dans son début ), pas plus que leur apparente successivité n'a de sens.
Mais il ne s'agit pas non plus d'expliquer le fait technique par un système de facteurs qui le détermineraient positivement en rendant compte par exemple de la chute de l'installateur perché sur une échelle par un sol glissant, un équilibre instable, un geste qui déporte le centre de gravité hors de la surface de sustentation, ou un manque de sommeil. Jusqu'où remonter dans la chaîne de causalité? D'autre part, dans la liste des facteurs avancés, on trouve de tout: de l'objectif et du subjectif, de l'humain et du non humain, du psychique et du physique, mais surtout, jamais il n'est suspecté que les faits en question pouvaient être produits par nous et non donnés d'avance. Ce qui rend la science "humaine" c'est qu'elle admet en elle-même la subjectivité des faits qu'elle pose.
Approche réaliste et approche structurale; exemple, la question des étapes d'élaboration:
L'analyse structurale pose que toutes les opérations existent quantitativement et qualitativement avant de commencer, par différenciation et classement, par segmentation et ordre.
L'idée dont parle "Le Petit Larousse illustré", 1992 à propos du dessin animé, (ex. le synopsis: idée écrite du scénario) comporte en elle la technique qui la réalise; elle n'est pas pure conception, elle associe déjà le réalisateur à l'auteur (story-board et montage, choix des couleurs, gouachage et développement de la pellicule, assemblage des éléments sonores, bruits et musique en fonction de la durée (timing) et de l'ordre des plans, mouvement des personnages et déplacement de caméra). Ni l'auteur, ni le réalisateur ne forment leur projet de façon successive: toutes les tâches existent en même temps par leurs intégrations et leurs complémentarités, leurs oppositions et leurs similarités.
"Press and Click" (notice d'utilisation d'un stylo-feutre)
Le schéma instrumental est structurellement nié dans le sens où l'assemblage et la pression sont d'emblée tous les deux disponibles en tant que fin déjà là, incorporée à l'ouvrage (fin pour le constructeur, moyen pour l'exploitant).
On mesure ainsi comment la médiatisation culturelle de l'activité nous fait échapper à la durée nécessaire de l'action qui ne cesse que par l'assomption (abolition) du moyen dans la fin obtenue. Alors que l'on presse pour assembler et qu'ainsi un rapport de causalité semble subordonner l'assemblage à la pression, le rapport structural à l'activité outillée les fait coexister dans un rapport a-temporel puisque formellement toujours disponibke, l'outil échappe à l'action ; il n'est qu'assurance d'un pouvoir faire qui sépare le moyen de la fin, le fait de presser pour boucher, pour y substituer l'analyse des deux.
L'opération contredit cette réalité en finalisant la fin déjà là, l'instrument s'efforçant de la rendre efficace en dépit de l'outil qui nous rend artificiellement maladroit. A l'égal de la norme qui fait exister le mal, l'outil fiat exister la maladresse, nous situant dans un rapport de fonctionnement systèmatique à l'ouvrage.
Remarque:
Anticiper c'est encore se situer dans un système causal ( différent de la syndèse) où l'effet détrajective la cause. Ce système a toutes les caractéristiques de l'instrumentation procédant par ajustement du moyen à la fin, comme de la cause à l'effet. Ainsi, ayant à retirer d'un bac une scie radiale encombrante, j'avise qu'elle est partiellement recouverte de petites boîtes ouvertes remplies de pointes et de chevilles qui risquent de se répandre si je ne les ôte pas avant. La syndèse aurait été l'arrangement mutuel des deux dispositifs de rangement de telle sorte que la sortie de la scie n'oblige à aucune anticipation, la compatibilité fonctionnelle des deux rangements étant assurée techniquement.